Le Giec a présenté le 25 septembre un nouveau rapport spécial (après celui consacré à la différence d’impacts entre 1,5 et 2°C de réchauffement et après celui consacré à l’usage des terres) consacré à l’océan et la cryosphère face au changement climatique1 . Ces rapports (tous commandés par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques) sont destinés à faire la synthèse de toutes les connaissances scientifiques disponibles afin d’informer les décideurs, ainsi que les sociétés civiles et les populations.

Jean-Pierre Gattuso, océanographe, est directeur de recherche CNRS au Laboratoire d'océanographie de Villefranche et à Sorbonne Université et chercheur associé à l’Iddri. Il est l’un des co-auteurs de ce rapport, avec notamment Alexandre Magnan, chercheur à l’Iddri. Dans cet entretien, il dresse la liste des dangers qui pèsent sur l’océan et alerte sur l’urgence d’enclencher des actions résolues.

Le rapport du Giec sur l’océan dont vous êtes l’un des co-auteurs a déjà eu un retentissement mondial considérable. Il dresse un constat saisissant de l’impact du changement climatique sur l’océan.

En effet, il apparaît que les impacts du changement climatique sur l'océan et la cryosphère ainsi que les risques futurs sont sans précédent. Ce qui me frappe le plus parmi toutes ses conclusions, c’est la révision à la hausse de l'augmentation du niveau de la mer. D’ici la fin de ce siècle, et si on ne s’engage pas dans une démarche d’adaptation ambitieuse, il faut s’attendre à des niveaux de risque élevés sur les littoraux bas (inférieurs à 10 mètres d’altitude) tels que les îles des atolls et certaines communautés arctiques, et ce même si les efforts de décarbonation de nos économies nous placent sur une trajectoire d’un réchauffement limité à 1,5 ou 2°C compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. Et dans un scénario à plus hautes émissions, même les mégacités des pays développés et les grands deltas agricoles auront à faire face à des risques élevés, voire très élevés. Sans action climatique, le niveau de la mer pourrait augmenter de 1,1 m et, avec l'accroissement de la fréquence et de l'intensité des tempêtes, provoquer des événements de submersion annuels là ou leur fréquence n'est que centennale aujourd'hui.

Par ailleurs, la désoxygénation et l’acidification de l'eau de mer ont des impacts sur la survie des espèces et le maintien des écosystèmes, mais la problématique la plus immédiate, selon moi, est l’élévation de la température. De plus, l’homme à un impact en trois dimensions, puisque les effets du changement climatique sur l’océan ne se voient pas qu’en surface : ils touchent aussi les profondeurs, et donc toute la colonne d’eau. Ce rapport démontre que les changements passés et futurs engendrés par le changement climatique s'étendent du sommet des montagnes aux côtes et au plus profond des océans, des tropiques aux pôles.

L’océan va-t-il, comme on a pu le lire, devenir notre pire ennemi ?

Je suis très surpris par cette affirmation et considère qu'en réalité l'océan est en fait notre meilleur ami ! Il nous fournit d'immenses services comme la régulation du climat au travers du stockage de chaleur et de CO2, la fourniture de protéines pour l'alimentation, le maintien de la biodiversité, etc. L'océan est aussi victime du changement climatique (réchauffement, acidification, augmentation du niveau de la mer, diminution de l'oxygène), ce qui met en péril les services qu'il nous rend.

Pourtant, l’océan, s’il est un puissant véhicule des risques associés au changement climatique (perte de biodiversité, migration des espèces marines, raréfaction des ressources halieutiques, blanchissement et mortalité des coraux, submersions marines, salinisation des lentilles d’eau souterraines et de sols, etc.), est aussi notre meilleur allié dans le combat climatique, du fait du choix important d’options qu’il offre pour réduire à la fois les émissions de gaz à effet de serre et les impacts sur la biodiversité et les activités humaines.

Quelles sont ces options ?

Certaines sont fondées sur la nature, d’autres relèvent de la technologie2 . Les solutions fondées sur la nature, comme la restauration des mangroves ou des récifs coralliens, peuvent être mises en œuvre comme des solutions « sans regret ». En revanche, il faut rester prudent avec les solutions uniquement technologiques qui pourraient avoir des effets secondaires préjudiciables et notamment perturber les grands équilibres de l’océan. Chaque territoire doit se saisir de la question et peser ses prises de décisions en tenant compte des possibilités que la science, via ce rapport notamment, propose, et de ses spécificités locales, car les pressions qui pèsent sur l’océan sont multiples, à la fois climatiques et non climatiques (surpêche, pollution, transport maritime, etc.) : ces impacts se cumulent. Le réchauffement ajoute un problème de plus à un océan déjà fragilisé. Les menaces sont à la hauteur des enjeux, et plus les menaces augmenteront, moins le panel d’options restera ouvert.

La mobilisation pour le climat s’est amplifiée au cours ces derniers mois. Peut-il en être de même pour l’océan ?

L’effort de protection des océans n’est pas récent. Des outils existent et la prise de conscience de la société civile, là aussi, s’accroît. Il faut que la société civile demande des comptes aux États. Ce rapport, qui dresse une synthèse de toutes les connaissances scientifiques dans le monde sur océan, cryosphère et réchauffement climatique, participe à un moment politique qui semble opportun, avec le récent sommet climat du secrétaire général des Nations unies à New York, et avant la prochaine COP climat, dont le pays hôte, le Chili, veut faire une Blue COP. Ce rapport fournit dans le fond un message positif. Car il montre que la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre permet de stabiliser ou de modérer les impacts, lesquels, si on n’agit pas, seraient très inquiétants. Il fournit également des pistes sur les mesures d'adaptation pour limiter les risques inéluctables. Il est urgent de prendre les mesures qui placeront les sociétés humaines sur une trajectoire compatible avec l’Accord de Paris, et l’avenir de l'océan et de la cryosphère est donc entre nos mains.