La crise sanitaire actuelle a montré, tant dans son émergence que dans ses impacts, des risques et des vulnérabilités multifacettes et interconnectés, tant en termes humanitaires que sociaux, économiques et environnementaux. La plupart des 17 Objectifs de développement durable sont concernés, individuellement et surtout dans leur indivisibilité, qui constitue le cœur et la valeur ajoutée de l’Agenda 2030 pour le développement durable. Dans le cadre de la reconstruction post-crise, plus que jamais, la mise en œuvre de cet agenda universel est une nécessité, notamment pour réduire les vulnérabilités face aux crises, en optimisant les interactions entre les ODD. Ce billet propose des pistes.

La crise sanitaire met en lumière la pertinence de l’Agenda 2030

La crise liée à la pandémie de Covid-19, sans précédent, va avoir de forts impact sur l’ensemble de l’Agenda 2030 pour le développement durable et sur l’atteinte de ses Objectifs de développement durable (ODD)1 , dans tous les pays : perte de revenus, conduisant les segments vulnérables de la société et les familles à tomber sous le seuil de pauvreté (ODD1) ; risques de perturbation dans la production et la distribution alimentaire (ODD2) ; sur l’éducation avec l’arrêt des écoles (ODD4), également source d’accroissement des inégalités (ODD10) ; accroissement des violences faites aux femmes (ODD5) ; ruptures d'approvisionnement et accès insuffisant à l'eau potable qui entravent l'accès à des installations de lavage des mains propres (ODD6) ; baisse des revenus, réduction du temps de travail, chômage pour certaines professions (ODD8) ; détérioration de la situation et mise en danger des population vivant dans les bidonvilles (ODD11) ; voire risque de réduction de l'engagement en faveur de l'action climatique (ODD13). Par ailleurs, la dégradation de la biodiversité (ODD15) est probablement à l’origine de l’émergence de ce virus, sans parler de l’impact évident en termes de santé (ODD3). 

Cette crise rappelle ainsi le caractère intégré et interconnecté des défis communs et mondiaux auxquels nous sommes confrontés et exacerbe la question des vulnérabilités : risques écologiques et sanitaires sont liés ; et nos systèmes économiques et sociaux sont vulnérables face à ces risques. La réponse à la pandémie ne peut, dans ce contexte, être dissociée de l’Agenda 20302 , la réalisation des ODD devant nous mettre sur la bonne voie pour faire face aux risques sanitaires mondiaux et aux maladies infectieuses émergentes ; mais également, car ce sont les mêmes outils, pour lutter contre le changement climatique, la perte de biodiversité et la pauvreté3 . L’Agenda 2030 est plus pertinent que jamais, et doit permettre de construire des modèles de développement plus inclusifs et plus verts, pour plus de résilience face aux menaces à venir4 .

Tenir les promesses de l’Agenda 2030

Lors de l’adoption de l’Agenda 2030 en 2015, les États membres s’accordaient déjà sur le fait que l’objectif de « transformer notre monde »5  ne serait possible que si les ODD étaient intimement liés, dans une mise en œuvre intégrée. Mais les promesses de l’Agenda 2030 n’ont jusque-là pas été tenues6 . Il doit pourtant constituer une boussole pour sortir de la crise7 , impliquant de faire des choix drastiques et d’accepter les transformations des modèles de développement dont il est le porteur. 

Comme le rappelait l’année passée le Rapport global sur le développement durable (GSDR)8 , les co-bénéfices, les arbitrages et les choix difficiles sont au cœur du développement durable, mais n'ont pas toujours été appréciés en tant que tels. En effet, les premières interprétations qui mettaient l'accent sur les trois dimensions de la durabilité (économique, environnementale et sociale) ont plutôt renforcé la prise de décision en silos thématiques, bien souvent en privilégiant les avantages économiques immédiats par rapport aux coûts sociaux et environnementaux qui se matérialiseraient à plus long terme. Par ailleurs, cette approche a également constamment reporté l'examen des choix difficiles qui devaient être faits. Or l'Agenda 2030 est bien plus qu'une longue liste de souhaits, c'est aussi une vision intégrée de la manière d'atteindre les ODD, tout en faisant progresser conjointement le bien-être de l'humanité et de la planète. Dans ce cadre, les objectifs et les cibles sont utiles, mais surtout les interactions entre eux, qu’il convient d’optimiser. C’est pourtant cette dimension qui a jusqu’ici été la moins appliquée. 

Dans un monde de plus en plus globalisé et hyper-connecté, toute intervention au nom d'un seul objectif peut entraîner des conséquences imprévues, voire négatives, pour la réalisation d'autres objectifs. Or les interactions entre ODD peuvent aussi donner lieu à des co-bénéfices et à un potentiel important de transformation vers le développement durable. Cela nécessite de gérer les contradictions et les synergies entre secteurs, tels que les soins de santé, l'économie, les systèmes alimentaires et énergétiques. Les approches sectorielles qui se concentrent sur un seul objectif ou un sous-ensemble d'objectifs doivent être dépassées, la manière la plus efficace - voire la seule - de progresser sur un objectif donné étant de tirer parti des synergies positives avec d'autres objectifs tout en résolvant ou en améliorant les compromis négatifs avec d'autres encore : par exemple, quelles options pour lutter contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire tout en préservant la biodiversité et l’eau et en veillant à bien prendre en compte les inégalités de genre ? Les points d'entrée systémiques du GSDR (par exemple dans le secteur agroalimentaire ou énergétique) constituent un moyen d'exploiter d'importantes synergies, des effets multiplicateurs et des compromis entre plusieurs objectifs, mais aussi d'identifier les leviers et les acteurs qui peuvent permettre d'atteindre ces objectifs. 

Stratégiser les plans de relance en termes durables

Et la période post-crise constitue une opportunité d'accélérer les transformations structurelles pour un développement durable, les six points d'entrée systémique du GSDR pouvant constituer les grands chapitres d'une stratégie de développement durable au niveau des territoires ou des acteurs. Dans cette logique de reconstruction, il apparaît nécessaire de conditionner les annulations de dettes ou les sauvetages d’entreprises à l’adoption de trajectoires et de stratégies de développement durable. Cet alignement des investissements et des plans de relance avec le développement durable devra pouvoir être évaluée. Sur ce plan, par rapport à 2008, nous sommes beaucoup mieux outillés : adoption du règlement sur la taxonomie des activités vertes9 , développement des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), intégration des ODD dans les budgets10 , et dans le Semestre européen11 , critères pour évaluer les plans de relance12 , ou encore les travaux en cours pilotés par l’OCDE et le Programme des Nations unies pour le développement sur l’alignement de la finance privée sur l’Agenda 2030. La reconstruction doit s’appuyer sur des stratégies de financement et des cadres nationaux de financement intégrés (INFF)13  pour mieux relier les processus de planification et de financement ; pour ce faire, chaque pays doit répondre à ses propres conditions et priorités, tout en rompant avec la pratique actuelle qui consiste à « croître d'abord et à nettoyer ensuite ».

Le succès de l'Agenda 2030 nécessite en outre la coopération des gouvernements, des institutions, des banques de développement, du secteur privé et de la société civile à travers différents secteurs, lieux, frontières et niveaux. Sa mise en œuvre constitue un immense défi de gouvernance pour tous les pays, quels que soient leur niveau de développement et leur revenu. Cela exige des gouvernements et de l’ensemble des acteurs qu'ils travaillent au-delà des cloisonnements politiques et fixent des objectifs économiques, sociaux et environnementaux ambitieux et interdépendants qui dépassent les cycles politiques à court terme, comme rappelé par l’OCDE14  l’année passée.