Au moment où tous les pays de la planète cherchent à sortir d’une crise économique et sociale liée à la Covid-19 dont on ne peut toujours pas mesurer ni la durée ni l’ampleur, il faut ajouter à l’urgence de la reconstruction l’impératif de transformation : reconstruire et décarboner les économies, réduire les inégalités et les vulnérabilités que la crise a aggravées et mises en évidence. Les échéances internationales de la COP 15 sur la biodiversité et de la COP 26 sur le climat, qui se tiendront en 2021, seront des moments politiques fondamentaux qui prendront le pouls de notre capacité à tenir ensemble ce double objectif de reconstruction et de transformation. D’ici là, comment déclencher les actions nécessaires des acteurs publics et privés, et mettre en place la coordination internationale nécessaire pour relever un tel défi ? Le sommet « Finance en commun », organisé en novembre sous le patronage du président de la République française et avec la participation du secrétaire général des Nations unies, constitue un des moments clés de l’agenda politique des prochains mois, et se penche sur un enjeu crucial : le financement des efforts de reconstruction et de transformation durables.

Comment financer le sauvetage, et la transformation, de pans entiers de l’économie ?

Chaque pays, chaque territoire est différent : chacun devra trouver son propre chemin de reconstruction et de restructuration de son économie, dans le cadre de l’Agenda 2030 pour le développement durable et de ses Objectifs de développement durable (ODD), qui doivent rester la boussole universelle, pour traiter les causes profondes des inégalités et des vulnérabilités dans toutes les sociétés.

Or force est de constater que les efforts de relance, pour les pays qui en ont les moyens budgétaires, ne sont encore que trop rarement alignés avec les objectifs environnementaux et même sociaux des ODD : dans la plupart des cas, malgré de notables exceptions qu’on constate par exemple en Europe1 , les efforts de relance visent avant tout à donner au plus vite un coup de fouet à la croissance économique, pour éviter les faillites et les destructions d’emploi, sans nécessairement pouvoir s’assurer que ces dépenses publiques vont dans le sens du chemin de reconstruction durable du pays en question. Et lorsqu’ils sont effectivement orientés en faveur de la transformation vers les ODD, les mécanismes de suivi et de redevabilité pour s’assurer que les dépenses vont dans le bon sens sont absents.

Les plans de relance, surtout quand ils démontrent de nouvelles formes de solidarité comme le plan européen entre États membres de l’Union européenne, sont donc des outils indispensables, mais le déblocage de montants financiers très importants doit impérativement se doubler d’une capacité d’orientation et d’accompagnement de ces financements pour qu’ils atteignent leurs cibles ; en témoigne l’enjeu de la rénovation énergétique du bâtiment, mise en priorité de manière très pertinente dans le plan de relance français, mais pour lequel les mécanismes de ciblage et d’orientation des fonds constituent le prochain grand défi2 .

Dans ce contexte, un dialogue permanent, dans tous les territoires, entre les acteurs économiques, les collectivités locales, la société civile, les syndicats, les investisseurs et le secteur financier est nécessaire, au risque que les énormes montants qui sont actuellement débloqués ne correspondent pas à des projets d’avenir pour ces territoires, et au risque également d’accroître encore la crise démocratique si les citoyens ne peuvent ni constater ni orienter l’utilisation de ces fonds.

Dans les pays qui n’avaient déjà pas avant la crise les ressources fiscales nécessaires pour construire un véritable plan de reconstruction de l’économie, cette situation s’est encore aggravée avec la crise. Le secteur informel, très fortement touché, ne peut être aidé par les politiques de maintien de salaires menées en Europe, et ne contribue pas, lorsqu’il continue à fonctionner, aux recettes de l’État. Le besoin d’intervention publique se fait donc encore plus cruellement sentir dans ces situations, posant crûment la question de la capacité de ces pays à emprunter alors que la réduction de leur endettement leur a coûté des efforts parfois extrêmement violents depuis plusieurs décennies. Elle pose aussi la question de la mise en place d’un système fiscal leur garantissant une meilleure capacité d’intervention, et les efforts de sauvetage de leurs économies devront porter en germes le développement à terme de leurs outils de fiscalité nationale.

Pour ces situations critiques également, la capacité d’intervention financière est absolument centrale, mais elle est en risque de manquer l’enjeu de la reconstruction si elle ne se double pas de la capacité à connaître les spécificités des territoires, les besoins des populations mais aussi leurs atouts et ressources particuliers.

Alignement des banques publiques de développement avec l’Agenda 2030 pour le développement durable : une révolution émergente à accélérer

Dans la diversité de ces situations économiques et fiscales, les banques publiques de développement ont un rôle clé à jouer compte tenu de leur capacité à intervenir de manière contra-cyclique dans la crise3 et de leur connaissance des besoins spécifiques des territoires et pays où elles sont implantées.

Aujourd’hui, leurs portefeuilles d’investissements sont encore trop peu alignés avec l’agenda de transformation des ODD, et vont encore, dans l’ensemble, trop peu dans le sens de la décarbonation de l’économie4 .

Mais beaucoup de ces banques de développement innovent, commencent à expérimenter des formes très intéressantes d’intégration de l’Agenda 2030 (objectifs combinés en matière de climat, de biodiversité, de réduction des inégalités ou des discriminations liées au genre) non seulement dans l’affirmation de leurs grandes priorités stratégiques, mais à toutes les échelles de leurs processus de fonctionnement, depuis l’évaluation des projets individuels jusqu’à la gestion de leur portefeuille de projets, et même jusqu’à une transformation assez radicale de leurs relations avec les acteurs du territoire où elles interviennent, pour inclure toute la diversité des forces vives de ces territoires et aussi pour devenir de véritables accompagnateurs de la construction de nouveaux projets d’avenir durable pour ces territoires5 .

Il faut donc les encourager à se mettre très rapidement dans une courbe d’apprentissage collectif pour qu’elles se révolutionnent de l’intérieur, et toutes ensemble, pour aligner l’ensemble de leur organisation et leurs investissements avec l’ambition transformative de l’Agenda 2030, et qu’elles envoient ainsi un signal extrêmement clair à tous leurs partenaires avec qui elles interagissent dans leurs territoires, et aussi toutes ensemble au secteur financier international.

Rassemblées dans le cadre du sommet « Finance en commun », elles devront donc à la fois évaluer sans complaisance l’écart entre leur état actuel et l’objectif d’alignement avec l’Agenda 2030, mais aussi intégrer le plus rapidement possible les solutions les plus innovantes développées par plusieurs d’entre elles pour que cet alignement puisse se faire le plus rapidement possible, parallèlement aux efforts financiers de reconstruction. Elles sont potentiellement porteuses d’une solution déterminante pour réussir ensemble reconstruction et transformation : le fait qu’elles se réunissent, dans leur grande diversité, pour échanger entre elles, et sous le regard des experts et de la société civile, est un bon signe. Il faut maintenant à la fois les pousser et les aider à accélérer l’élan qui s’amorce.