Les spécialistes, politiques et praticiens, de la question de l’adaptation, de plus en plus conscients du fait que les risques liés au changement climatique s’étendent au-delà des périmètres nationaux, insistent sur la mise en place d’approches internationales, comme en témoignent les dernières stratégies d’adaptation de la Commission européenne et du Comité sur le changement climatique du Royaume-Uni, ainsi que le lancement du programme de travail de l'initiative Adaptation sans frontières (AWB - Adaptation without Borders) et de la Direction générale de l'action pour le climat (DG CLIMA) en 2022 pour soutenir la coopération internationale en matière d’adaptation afin de faire face aux risques en cascade liés au changement climatique. Les recherches portant sur les risques climatiques transfrontaliers n’en sont encore qu’à un stade embryonnaire et des lacunes subsistent sur la caractérisation de ces risques et les mesures de gouvernance et réponses politiques pertinentes. L'étude de l'Iddri fait un zoom sur les implications transfrontalières des migrations côtières déclenchées par les modifications affectant le niveau de la mer et présente une approche basée sur des pistes d’action impliquant la mise en œuvre d’actions politiques à plusieurs échelles et échelonnées dans le temps. Un tel cadrage pourrait aider les responsables des politiques et les décideurs à anticiper différentes sortes de risques climatiques transfrontaliers et à s’y préparer, en dessinant les contours de nouvelles voies pour la gouvernance multilatérale de l’adaptation. 
 

Les risques climatiques ont des impacts en cascade au-delà des frontières 

Les impacts mondiaux des risques liés au changement climatique — désignés par le terme de risques climatiques transfrontaliers dans l’initiative pionnière Adaptation sans frontières (AWB) — illustrent la nécessité pour l’adaptation d’assumer une approche transfrontalière et de tenir compte de l’interconnexion des sociétés et écosystèmes globaux. 

Un éventail d’exemples illustrent les multiples trajectoires de ces risques : ils concernent la biophysique, le commerce, les questions financières et les populations (Benzie et al., 2018). Par exemple, les importantes crues du fleuve Yangtsé survenues en Chine en 2000 ont eu un impact sur les ports et le trafic des cargos, perturbant les exportations d’équipement de protection pour les personnels de santé luttant contre la Covid-19 (Quiggin et al., 2021). Une récente étude du Stockholm Environment Institute (SEI) montre que plusieurs pays d’Afrique sont exposés à des risques transfrontaliers du fait de leur dépendance élevée aux importations de blé produit aux États-Unis — un secteur agricole particulièrement vulnérable au changement climatique —, avec des répercussions sur le commerce mondial des matières premières, la sécurité alimentaire et de potentiels troubles sociaux (Adams et al., 2021)

Les pouvoirs publics réagissent à la prise de conscience croissante quant à la nature systémique des risques liés au changement climatique. Le rapport d’étape sur l’adaptation du Comité sur le changement climatique du Royaume-Uni (publié cette année en juin) donne la priorité aux risques en cascade liés au changement climatique, faisant d’eux la base à partir de laquelle mettre à jour la gouvernance de l’adaptation du niveau national au niveau international (UK CCC, 2021). De même, la nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE (IDDRI, 2021) renforce les engagements pour la collaboration et la coopération internationales en matière d’adaptation, une attention toute particulière étant portée notamment aux effets transfrontaliers sur les chaînes d’approvisionnement mondiales et aux déplacements de populations (soutien apporté à l’initiative de la Grande Muraille verte en Afrique et mise au point de programmes d’adaptation dans les pays partenaires) (COM, 2021). Le Comité d’adaptation du CCNUCC aborde la nécessité d’intégrer ces risques dans le Bilan mondial dans le cadre de l’évaluation des progrès (Objectif global d'adaptation, article 7 de l’Accord de Paris) et des méthodologies pertinentes sont à l’étude (UNFCCC, 2021).

Ces différentes dynamiques associées aux risques climatiques transfrontaliers demandent d’intensifier les politiques d’adaptation en passant d’une perspective locale à une perspective globale et en mettant en place des dispositifs coopératifs en matière de gouvernance internationale. Si ces idées semblent bonnes sur le papier, voici quelques indications quant à la manière de les mettre en pratique. 

L'étude de l'Iddri analyse de manière approfondie les effets en cascade des migrations côtières transfrontalières et étudie quelles politiques peuvent venir appuyer les migrations en tant que stratégies positives d’adaptation à long terme (réduction de la vulnérabilité des migrants exposés au changement climatique et réduction des risques de maladaptation). L’étude propose une approche basée sur des pistes d’action pour élaborer des solutions politiques ciblant les conséquences transfrontalières des risques climatiques. Nous évoquons ici certains enseignements tirés de cette étude approfondie et possibilités d’application future de la recherche à d’autres risques climatiques transfrontaliers. 

La caractérisation des risques climatiques transfrontaliers : le cas des migrations côtières

Si les risques climatiques transfrontaliers font l’objet d’un intérêt croissant, les connaissances restent limitées concernant leurs caractéristiques et les méthodes nécessaires à leur évaluation. L’étude de l’Iddri se concentre sur les migrations côtières : les zones côtières sont l’un des systèmes les plus vulnérables aux risques liés au changement climatique (inondations, érosion, élévation du niveau de la mer, événements extrêmes) et en raison du « rétrécissement » des espaces pouvant apporter une solution à ces problématiques, le retrait et la relocalisation du capital humain deviendront inévitables dans nombre de zones côtières de très faible altitude (Haasnoot et al., 2021). 

L’étude comble une lacune importante : la plus grande part des documents d’orientation et de la recherche scientifique se concentrent sur les facteurs de risque, et des méthodes sont élaborées pour évaluer les trajectoires des migrations climatiques internes (voir Clement et al., 2021). Par exemple, les migrations côtières pourraient être déclenchées par : l’élévation du niveau de la mer, la perte des habitats à la suite d’événements météorologiques extrêmes, la priorisation des mesures de protection des structures dans les zones urbaines denses avec pour conséquence une augmentation de l’exposition au danger des zones rurales, la perte d’importants écosystèmes et moyens de subsistance. Toutefois, peu d’études traitent des effets en cascades associés (qu’ils soient positifs ou négatifs) et de la manière de s’y préparer. La caractérisation de ces principaux facteurs influents relatifs aux effets en cascade permet l’identification de piliers politiques (Figure 1). Comme le décrit également l’étude de l’Iddri, concevoir des mesures appropriées en matière de politiques et de gouvernance à différentes échelles (au niveau de la communauté, au niveau national et jusqu’au niveau multilatéral) signifie que les migrations peuvent être facilitées dans les stratégies d’adaptation transfrontalières et peuvent éviter les répercussions négatives ou la maladaptation. 

Figure 1. Caractérisation de la nature transfrontalière des migrations côtières (source : auteurs)


Pistes d’action pour anticiper les risques climatiques transfrontaliers et s’y préparer

La complexité des risques climatiques transfrontaliers est marquée par leurs dynamiques spatiales et temporelles, justifiant la raison pour laquelle les politiques doivent être planifiées en conséquence afin de mieux anticiper et se préparer aux répercussions. Dans l’étude consacrée aux migrations côtières, l’Iddri propose des pistes d’action conçues pour permettre une approche systémique et flexible afin de s’adapter aux aléas. Le cadrage possède trois importantes caractéristiques :  

1) La définition de piliers politiques pertinents pour les risques climatiques transfrontaliers : la caractérisation des effets en cascade permet d’identifier les politiques les plus importantes pour faciliter l’anticipation et l’état de préparation.

2) Une réponse politique à plusieurs échelles : concevoir des politiques à différents niveaux (du niveau local au niveau national en passant par les instruments politiques multilatéraux) signifie que différents acteurs sont mobilisés qui exercent des rôles et responsabilités différents pour ce qui est de gérer les impacts transfrontaliers des risques climatiques et de piloter l’adaptation.

3) La planification de piliers politiques au fil de différents horizons temporels : échelonner la mise en œuvre des instruments politiques dans le temps peut aider à définir les interventions prioritaires. Par ailleurs, l’interdépendance des politiques signifie que certaines d’entre elles en renforcent d’autres, tandis que tout retard peut entraîner de graves effets en cascade. Ces interdépendances sont inhérentes à l’approche basée sur des pistes d’action. 

Dans le cas des migrations côtières, cinq piliers politiques pour des migrations compatibles avec l’adaptation sont identifiés: (1) la mise en œuvre de mesures d'atténuation ambitieuses et le soutien international à l'adaptation, ce qui englobe l’attention portée aux pertes et préjudices (voir le Mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices, Warsaw International Mechanism for Loss and Damage - WIMLAD) ; (2) des politiques efficaces de réduction des risques côtiers du niveau national au niveau local ; (3) l’élaboration de politiques de migration robustes permettant de planifier les mouvements transfrontaliers de personnes ; (4) l’amélioration des capacités d’accueil ; et (5) des dispositifs participatifs pour assurer l'autonomisation des communautés et des individus par le biais de la préparation et du droit à décider. 

La Figure 2 illustre des pistes d’action à plusieurs échelles et échelonnées utilisant un scenario à ambition élevée pour les migrations et un horizon temporel s’échelonnant jusqu’en 2050 afin d’être compatible avec les préoccupations et difficultés scientifiques aussi bien que politiques. Ce scénario représente les meilleures conditions pour la mise en œuvre de piliers politiques pertinents. Il montre des exemples d’interdépendances clés (influences positives et négatives) entre les piliers politiques. Par exemple, autonomiser les communautés vulnérables aux migrations climatiques renforce leur capacité d’adaptation et des choix éclairés ; en revanche, retarder le retrait côtier dans les zones hautement exposées pourrait entraîner de graves retards pour ce qui touche à la capacité d’adaptation et compromettre la mise au point d’accords de circulation dans le cadre de la gouvernance régionale/internationale.

Figure 2. Pistes d’action (source : auteurs)


Un besoin de plus d’études approfondies sur les risques climatiques transfrontaliers 

Les risques climatiques transfrontaliers ont une dimension multi-acteurs, ce qui offre des opportunités de renforcement de la coopération internationale en matière d’adaptation. L’étude consacrée aux migrations côtières illustre le besoin d’adopter une approche à plusieurs échelles entre les différents mécanismes internationaux, les pouvoirs publics, le secteur privé et la société civile, y compris par le biais de l’autonomisation des groupes vulnérables de la société (notamment le droit à décider des communautés de migrants). En effet, ce dernier point vient illustrer les importantes discussions au sujet des migrations climatiques qui ont lieu dans le cadre du groupe de travail WIMLAD de la CCNUCC et l’entrée en activité du réseau de Santiago sur les pertes et dommages (Santiago Loss and Damage Network). 

Des examens approfondis des risques climatiques transfrontaliers mondiaux majeurs pourraient apporter une meilleure compréhension de la caractérisation de ces risques, et de la conception des pistes d’action à plusieurs échelles et échelonnées — ce qui pourrait fournir aux responsables des politiques et praticiens un moyen d’apporter des réponses coordonnées en vue de bâtir une résilience mondiale.