Ce billet écrit par l’équipe Deep Decarbonization Pathways (DDP) de l’Iddri à la fin de la COP 28 examine la prise en compte des questions agricoles lors des négociations et en analyse la portée à la fois politique et technique dans la perspective de transformations structurelles de ce secteur au niveau national comme à l’échelle globale.

Le secteur de l'agriculture, la foresterie et autres utilisations des terres (AFOLU en anglais) est à l'origine de 22 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Et la capacité des forêts et des autres écosystèmes à piéger le carbone de l'atmosphère ainsi que les rendements agricoles seront affectés par l'augmentation des températures et l'évolution des conditions météorologiques. Au-delà de son importance pour l'action climatique, l'agriculture est le principal facteur de perte de biodiversité à l'échelle mondiale, et elle fournit des moyens de subsistance à près de la moitié de la population mondiale ainsi que la grande majorité des aliments que nous consommons.

La transformation de ce secteur doit donc répondre à des objectifs d'atténuation, d'adaptation et de résilience climatiques, de conservation de la biodiversité, de moyens de subsistance ruraux et de sécurité alimentaire. Cela nécessite des transformations systémiques, notamment en protégeant et en restaurant les écosystèmes grâce à des politiques de conservation et en veillant à ce que les communautés rurales puissent utiliser les forêts de manière durable : en transformant les pratiques agricoles pour réduire les impacts environnementaux en diversifiant les paysages agricoles et en réduisant l’utilisation excessive d'engrais ; et en réduisant les pertes et les déchets alimentaires, ainsi que la consommation de viande, lorsque pertinent.

Compte tenu de son rôle dans l'action climatique, l'AFOLU mérite une place centrale dans les conférences des Parties. Si les forêts ont toujours fait l'objet d'une attention particulière dans le cadre de la Convention Climat des Nations unies (CCNUCC), il n'en va pas de même pour l'agriculture et les systèmes alimentaires, jusqu'à la COP 28, lors de laquelle ces sujets ont fait l'objet d'une attention particulière. Qu'est-ce que cela signifie pour la transformation de l'AFOLU à l'avenir ?

La Déclaration sur les systèmes alimentaires et l'action climatique : une reconnaissance politique de la nécessité de transformations systémiques

Au début de la COP 28, 154 États, dont les principaux producteurs agricoles tels que les États-Unis, l'Union européenne, la Chine et le Brésil, ont déclaré leur intention d'accélérer l'action sur les systèmes alimentaires dans la Déclaration sur l'agriculture durable, les systèmes alimentaires résilients et l'action climatique – la première déclaration officielle sur l'importance de l'agriculture dans le cadre de la CCNUCC. L'Inde et de nombreux pays les moins avancés (PMA) n'ont pas encore signé. La déclaration est importante pour (au moins) deux raisons.

Premièrement, il a toujours été difficile de parler de l'atténuation des émissions de GES provenant de l'agriculture et des systèmes alimentaires dans le cadre de la CCNUCC, les discussions se concentrant sur l'adaptation de l'agriculture à un climat changeant – la priorité pour l'Inde et les pays africains. La déclaration reconnaît l'importance de l'agriculture et des systèmes alimentaires pour atteindre les objectifs mondiaux en matière d'adaptation, de sécurité alimentaire, de moyens de subsistance des agriculteurs, d'atténuation et de biodiversité. Cela se traduit par un engagement concret à inclure l'agriculture et les systèmes alimentaires dans les plans climatiques nationaux (contributions déterminées au niveau national, CDN), en mettant l'accent sur l'atténuation, l'adaptation nationale (plans d’adaptation nationaux) et la biodiversité (stratégies et plans d’action nationaux) et les plans de lutte contre la désertification, ainsi que dans les objectifs du cadre mondial pour la biodiversité décidé lors de la COP 15 de la Convention des Nations unies sur la biodiversité, en décembre 2022.

Le Brésil, qui accueillera la COP 30 sur le climat, cherche à montrer l'exemple en annonçant un plan national de transformation écologique axé sur la socio-bioéconomie, qui proposera une transformation du secteur brésilien de l'alimentation et de l'utilisation des terres conformément aux divers objectifs mentionnés dans la déclaration. Cette annonce mérite d'être analysée en détail en tant qu'exemple précoce de mise en œuvre de la déclaration, y compris la cohérence avec la CDN actualisée du pays.

Deuxièmement, la déclaration se concentre sur l'agriculture et les systèmes alimentaires, ce qui témoigne de la reconnaissance de l'importance des actions visant à transformer la production agricole et l'utilisation des terres, ainsi que des actions visant à modifier les régimes alimentaires et à réduire les pertes et gaspillages alimentaires. Ce point est important car les leviers de changement ainsi que les facteurs qui limitent les choix des agriculteurs se situent en aval de la chaîne d'approvisionnement (transformation, vente au détail, consommation) ; il est également cohérent avec le sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires.

Bien qu'insuffisants, ces deux éléments montrent que les négociations internationales sur le climat reconnaissent de plus en plus la nécessité de transformations systémiques des systèmes d'alimentation et d'utilisation des terres.

Négociations sur l'agriculture et l'action climatique : révéler différentes visions du développement de l'agriculture

Depuis 2017, la CCNUCC accueille des négociations sur l'agriculture, avec le Koronivia Joint Work on Agriculuture (KJWA) ; et à la COP 27 en 2022, le programme de travail de Charm el-Cheikh sur l'agriculture et l'action climatique (SSJW) a été adopté. Le KJWA a produit une liste d'options pour l'adaptation de l'agriculture, dont certaines présentent des avantages connexes importants pour la biodiversité, la sécurité alimentaire et nutritionnelle et l'atténuation du changement climatique. À Charm el-Cheikh, il a été convenu d'organiser des ateliers sur la manière de mettre en œuvre ces solutions, en établissant un programme de transformation de l'agriculture et des systèmes alimentaires. Toutefois, les négociations ont échoué en raison de désaccords sur la question de savoir si les travaux sur l'agriculture devaient être menés par un organe de coordination permanent ou non.

C'est pourquoi les thèmes des ateliers n'ont pas été abordés lors de la COP 28. Toutefois, les propositions soumises au processus de la CCNUCC au début de l'année révèlent trois visions principales :

  • l'agriculture intelligente face au climat, axée sur les technologies et les données afin de réduire les émissions et d'augmenter la productivité ;
  • des transitions régénératives et agroécologiques, axées sur la diversification des paysages et de la production agricole, la réduction des intrants chimiques et leur remplacement par des sources naturelles de fertilisation et de lutte contre les nuisibles, les moyens de subsistance des petits exploitants et, le cas échéant, une transition protéique ;
  • l'accent est mis sur la garantie que des moyens de mise en œuvre adéquats en termes de financement, de renforcement des capacités et de transfert de technologies sont fournis aux pays qui en ont besoin ; soit une vision « non alignée » par rapport aux deux visions susmentionnées.

Les solutions qui permettent de résoudre au mieux les problèmes d'atténuation, d'adaptation, de biodiversité, de pauvreté et de sécurité alimentaire du secteur sont spécifiques à chaque pays. Cependant, toutes les solutions ne contribuent pas positivement aux défis identifiés, et il est très important que les visions et les politiques nationales, ainsi que les institutions mondiales, promeuvent des trajectoires qui y parviennent. La feuille de route de la FAO sur la réalisation de l'ODD 2 sans dépasser le seuil de 1,5°C est un exercice très important à cet égard. Elle souligne la nécessité de disposer de visions nationales pour guider les CDN. Cependant, elle soulève certaines questions, notamment en ce qui concerne l'absence de la nature dans les actions et les trajectoires qu'elle propose. La biodiversité est essentielle pour la résilience de la production agricole et des écosystèmes agricoles, ainsi que pour la capacité des arbres et des sols à stocker le carbone. Une trajectoire mal gérée qui ne parvient pas à trouver un équilibre entre la nécessité d'assurer la sécurité alimentaire mondiale et d'atténuer les émissions de gaz à effet de serre des systèmes alimentaires et la protection de la biodiversité risque également de dégrader la biodiversité.

Mise en œuvre des visions et accélération de l'action nationale : évolution des leviers internationaux 

La coopération internationale est nécessaire pour permettre aux pays de mettre en œuvre leurs visions sur les forêts et l'agriculture. Elle doit être basée sur les besoins, identifiés au niveau national. La déclaration de la COP 28 en souligne le rôle essentiel, et à Dubaï :

Au-delà de la COP 28, les principaux bailleurs de fonds publics pour le développement (Fonds international de développement agricole, banques multilatérales de développement) évoluent rapidement dans le cadre de la réforme en cours de l'architecture financière internationale. Ils doivent concevoir des approches pour connecter leurs portefeuilles d'investissement et leurs politiques sectorielles sur les systèmes agroalimentaires aux trajectoires de transformation nationales compatibles avec les objectifs en matière de climat, de biodiversité et de sécurité alimentaire. Comprendre comment cela peut se faire sera une priorité dans la perspective de la COP 30 au Brésil.

Si l'attention accrue portée aux systèmes alimentaires lors de la COP 28 est bienvenue (en parallèle de celle accordée à la transformation du secteur de l'énergie, au cœur des négociations), ces initiatives sont les pièces d'un puzzle qui est loin d'être achevé. Les initiatives et les processus évoqués dans ce billet doivent se traduire par des actions concrètes. Pour ce faire, dans le sillage de la COP 28, un dialogue devrait s’établir entre les pays et les principales institutions internationales sur les besoins internationaux des pays et sur la manière dont les pays et les institutions internationales peuvent répondre à ces besoins.