Lancées fin 2017 et aujourd’hui suspendues pour cause de crise sanitaire, les négociations pour l’élaboration d’un instrument juridiquement contraignant sur la biodiversité en haute mer se sont pour le moment largement centrées sur les quatre piliers constitutifs du futur accord. Mais les négociateurs devront également porter une attention particulière au dispositif institutionnel de mise en œuvre de l'accord, condition essentielle pour assurer l’opérationnalité du traité.

Le processus d’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale – plus communément désignées sous le terme « haute mer »1 – a été lancé fin 2017 par l’Assemblée générale des Nations unies et trois réunions de négociations ont jusqu’ici été organisées à New York. Initialement prévue en mars 2020, la quatrième réunion, censée aboutir à la finalisation du traité, a été reportée sine die pour cause de crise sanitaire mondiale. Sous l’impulsion de certains États, de la société civile et de la présidente de la conférence intergouvernementale, Rena Lee (Singapour), les délégations profitent néanmoins de cette période pour avancer, informellement, sur le contenu du texte, rapprocher leurs positions et créer des coalitions.

Pour l’heure, les discussions, formelles et informelles, ont avant tout porté sur les quatre éléments du « Package Deal », cœur du futur traité, à savoir : (i) les ressources génétiques marines (RGM), y compris les questions relatives au partage des avantages liés à leur exploitation ; (ii) les mesures telles que les outils de gestion par zone (OGZ), notamment les aires marines protégées (AMP) ; (iii) les études d’impact environnemental (EIE) ; et (iv) le renforcement des capacités ainsi que le transfert de la technologie marine. Le dispositif institutionnel – rangé dans la composante « questions transversales » – n’a quant à lui fait l’objet que d’une modeste attention alors même qu’il conditionne l’opérationnalité du futur accord.

À cet égard, le mandat de la future Conférence des Parties (COP) s’avèrera décisif pour assurer l’application du traité. C’est elle qui devrait, par exemple, adopter des lignes directrices sur les éléments clés du texte, créer les organes subsidiaires jugés nécessaires ou encore adopter le budget. Il est donc primordial que la COP soit véritablement en mesure de prendre des décisions sans être dépendante d’autres organisations, sectorielles ou régionales. Prenons l’exemple des outils de gestion par zone, et notamment des AMP. Pour éviter les situations de blocage – et sans compromettre l’obligation de ne pas « porter préjudice » aux instruments, cadres juridiques et organes existants2 –, la COP devra avoir la capacité de non seulement reconnaître, mais également « compléter » les mesures mises en place par les organisations existantes. Plus largement, l’accord devra permettre de s’appuyer sur les nombreux organes existants, sans pour autant laisser le système reposer entièrement sur ceux-ci, mais en adoptant parallèlement une approche globalisante à travers le mandat conféré à la COP.

Autre point crucial du futur dispositif : les règles de vote au sein de la future COP. Comme de tradition dans la diplomatie onusienne, la recherche du consensus devrait rester la règle première. Toutefois, l’expérience récente des négociations au sein de la Convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR), où deux pays entravent la création d'AMP souhaitée par les vingt-deux autres Parties, démontre, s’il en était encore besoin, la nécessité de laisser la porte ouverte à la décision majoritaire, et ce pour éviter les situations de blocage. À ce stade, cette option est seulement envisagée dans l’avant-projet de traité (Article 48-3bis), mais reste « entre crochets ».

Le rôle du futur organe scientifique et technique (Article 49) et du Centre d’échange (Article 51), dont les fonctions restent aujourd’hui largement à définir, le financement du fonctionnement de l’accord (Article 52) et plus largement de son application, dont les contours restent encore assez flous, et la désignation du secrétariat (parmi les organisations existantes ou en en créant une instance ad hoc – Article 50) constituent également des points essentiels pour le futur traité.

Plus largement, il est indispensable que les négociateurs gardent systématiquement en tête la nécessaire anticipation des conditions de mise en œuvre du futur accord. La vertu d’un accord international ne doit plus être uniquement évaluée au regard de la qualité juridique de ses dispositions, mais de son opérationnalité. À cet égard, le renforcement des systèmes de suivi, contrôle et surveillance ainsi que la création d’un système de rapportage efficace et transparent, ouvert aux regards de la société civile et possiblement complété par un comité de conformité, sont autant d’outils qu’il conviendra d’examiner avec soin.

On résume souvent l’enjeu des négociations en cours comme l’opportunité de créer des AMP en haute mer. Mais l’effectivité de ces mesures, et plus largement de l’ensemble du futur édifice, se joue aussi dans les dispositions, certes techniques mais stratégiques, du futur dispositif institutionnel. Il est donc temps que les délégations s’emparent de ce débat.

Ce billet de blog est issu d’une discussion organisée en juin 2020 lors d’une réunion du Groupe national informel haute mer. Co-présidé par l’Iddri et l’Office français de la biodiversité (OFB), ce groupe réunit deux fois par an les différents acteurs français (représentants des ministères, de la recherche, du secteur privé, des ONG) intéressés par les questions relatives à la gouvernance de la haute mer.

  • 1En réalité, les zones marines situés au-delà des juridictions nationales désignent deux types de zones : la «;npsb&haute mer;npsb&», soit la colonne d’eau située au-delà des zones économiques exclusives, et «;npsb&la Zone;npsb&», c’est-à-dire les fonds marins et leur sous-sol au-delà des limites des plateaux continentaux.
  • 2La Résolution 72/249 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 24 décembre 2017 et ouvrant officiellement les négociations indique expressément que ni le processus ni son résultat « ne doivent porter préjudice aux instruments et cadres juridiques en vigueur pertinents ou aux organes mondiaux, régionaux et sectoriels pertinents ». Cette disposition a été, et est toujours, l’objet de très nombreux commentaires et interprétations.