Selon l’avis consultatif rendu le 29 mai 2025 par la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) sur l’urgence climatique et les droits humains, la situation actuelle frappe de manière inégale les pays et les populations, et les États ont l'obligation de maintenir à jour leurs plans d'adaptation et leurs objectifs d'atténuation du changement climatique de manière à garantir le droit à un climat sain. En quoi cet avis est-il novateur ? Quel est son potentiel transformateur en matière de renforcement et de création de droit à l’interface humanité/environnement ?
En quoi consiste l’avis consultatif de la CIDH ?
L’avis consultatif du 29 mai 20251 vient en réponse à la consultation soumise par le Chili et la Colombie en janvier 2023. II s'agit du processus le plus participatif jamais mené par la CIDH, avec près de 265 observations écrites et 172 déclarations orales lors de trois audiences publiques tenues en 2024.
Le contenu du document rendu par la Cour, suivant la pratique de la région interaméricaine, constitue un mandat obligatoire pour les 20 pays qui reconnaissent sa compétence, en plus de s’imposer comme standard de conduite structurante à tous les membres de l'Organisation des États américains (OEA)2, qui devront ainsi adapter leurs cadres juridiques et leurs politiques publiques à la longue liste d'obligations établies par la Cour.
Interrogée sur les obligations des États sur le changement climatique et les droits humains, la Cour organise sa réponse autour des questions suivantes : quel est le contenu des obligations de respect, garantie et action nécessaires afin de rendre effectifs des droits tels que le droit à la vie, la santé, l’intégrité, la vie privée et familiale, la propriété, l’alimentation, le travail, la culture et l’éducation, ainsi qu’à un environnement sain ? Quelle est la portée de ces obligations face à l’urgence climatique, notamment en termes de droits attenants à la démocratie environnementale (information, participation et accès à la justice) et de protection des droits des enfants, des défenseurs de l’environnement, des femmes, des peuples indigènes et autochtones et des communautés vulnérables face au changement climatique et ses effets délétères ?
Les obligations contenues dans l’avis consultatif
Face à l'urgence climatique, tous les acteurs ont des obligations de « respect, de garantie et de coopération »3. Les gouvernements ne doivent pas prendre de mesures qui retardent la lutte contre le réchauffement climatique, doivent réduire les risques liés à cette crise, et il est impératif de s'entraider, tout en gardant à l'esprit que la responsabilité n'est pas partagée par tous. La solution proposée par la Cour consiste à prôner l’adoption de mesures urgentes et efficaces d’atténuation, d’adaptation et de développement durable qui intègrent les perspectives des droits de l’homme et de la résilience. La Cour précise la portée de ces obligations générales consistant à respecter, garantir et assurer le développement progressif des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux (DESC), et adopter des dispositions juridiques nationales.
L’obligation de respect - S’agissant de l'obligation de respect, la CIDH reconnaît que les États sont tenus de s'abstenir de toute conduite qui annule, ralentit ou tronque l'effet des mesures nécessaires pour protéger les droits de l'homme des effets du changement climatique, et doivent adopter toutes les mesures nécessaires pour réduire les risques découlant de la dégradation du système climatique mondial, ainsi que l'exposition et la vulnérabilité aux effets de cette dégradation. À cette fin, la Cour détaille les obligations minimales en matière de prévention des dommages environnementaux et précise quel niveau de diligence raisonnable renforcée doit être approprié et proportionné au degré de risque de dommages environnementaux.
L’obligation d’assurer un cadre juridique - En vertu de l’obligation générale d’assurer le développement progressif des droits économiques, sociaux et culturels, la Cour stipule que les États doivent allouer le maximum de ressources disponibles pour protéger les individus et les groupes qui, en raison de leur vulnérabilité, sont exposés aux impacts les plus graves du changement climatique.
L’obligation de créer des normes - Elle rappelle ainsi la nécessité pour les États d'adopter des mesures réglementaires. Ces dispositions juridiques internes doivent s'attaquer de manière efficace et globale aux causes et aux conséquences du changement climatique, en veillant à leur évolution, conformément aux meilleures données scientifiques disponibles, ainsi qu'à leur application durable et harmonisée avec les engagements internationaux pris dans ce domaine.
Les apports essentiels de l’avis consultatif
À l’appui des meilleures preuves scientifiques disponibles, la Cour précise un certain nombre de points essentiels pour faire face à l’urgence climatique. L’avis confirme ainsi l'interdiction impérative de toute conduite anthropique susceptible d'affecter de manière irréversible l'équilibre vital de l'écosystème commun. Pour la Cour, l'évolution interprétative des obligations des États envers les générations futures représente une avancée significative pour la protection des droits humains dans le contexte de l'urgence climatique actuelle.
Le droit à un climat sain - Sans se détacher de sa ligne jurisprudentielle très progressiste et écocentrée4, la CIDH va plus loin dans cet avis consultatif et devient la première juridiction internationale à développer le « droit à un climat sain ». Ce nouveau droit humain est à la fois un droit à part entière, qui pourra être invoqué de manière autonome en cas de litige climatique, et un complément indispensable au droit à un environnement sain, qui englobait le climat, l'air pur et l'eau potable. À la fois individuel et collectif, ce droit, désormais reconnu comme un droit fondamental par la CIDH, fonde et structure les obligations des États des Amériques.
La confirmation des droits pour la Nature - L’avis reconnaît la Nature et ses composantes comme sujets de droits, la Nature représentant une manifestation contemporaine du principe d'interdépendance entre les droits de l'homme et l'environnement. Pour la Cour, cette reconnaissance s'inscrit dans une tendance normative et jurisprudentielle croissante. Dans ce contexte, elle soutient que les États doivent non seulement s'abstenir de toute action causant des dommages environnementaux importants, mais ont également l'obligation positive d'adopter des mesures visant à assurer la protection, la restauration et la régénération des écosystèmes. En outre, la Cour reconnaît l'obligation de préserver l'équilibre de l'écosystème contre les comportements anthropiques causant des dommages irréversibles comme une norme à partir de laquelle aucun accord contraire n'est permis. Elle affirme que l'interdiction impérative de tout comportement anthropique susceptible d'affecter de manière irréversible l'interdépendance et l'équilibre vital de l'écosystème commun qui rend la vie possible aux espèces constitue une norme de jus cogens5. Les États sont donc tenus de coopérer afin de mettre fin aux comportements qui violent les normes obligatoires destinées à protéger un environnement sain.
La reconnaissance des vulnérabilités particulières - La Cour précise des obligations spécifiques dans les situations de vulnérabilité particulière, telles que celles rencontrées par les enfants, les peuples autochtones, tribaux et afro-descendants, ainsi que les communautés paysannes et de pêcheurs, et les personnes qui subissent des impacts différenciés dans le contexte des catastrophes climatiques. Elle reconnaît également la nécessité pour les États d'adopter des mesures pour protéger les personnes qui, bien que ne faisant pas partie des catégories traditionnellement protégées, se trouvent en situation de vulnérabilité en raison de facteurs dynamiques ou contextuels.
Des droits et garanties de protection pour les défenseurs de l’environnement - La Cour souligne que les États et les entreprises doivent redoubler d'efforts pour protéger ceux qui défendent l’environnement, dont le rôle essentiel est reconnu à la fois dans leurs efforts visant à assurer la stabilité climatique et leur capacité à demander des comptes. Dans ce cadre, l'obligation de l'État est soumise à une norme de diligence renforcée pour enquêter, juger et punir les crimes commis contre les défenseurs de l'environnement. La Cour ajoute que les États doivent lutter contre le phénomène de criminalisation, ainsi que contre les schémas d’impunité dans les cas de violence et de harcèlement contre les défenseurs de l’environnement. La Cour fait ainsi un travail de « compilation » et « d’harmonisation » des meilleures normes de protection disponibles dans la région, incluant les garanties contenues dans l'Accord d'Escazú (Iddri, 2019)6, les normes internationales existantes et celles déjà élaborées par la Cour elle-même.
Que peut changer l’avis consultatif ?
L’avis de la CIDH interpelle la communauté internationale, les États, mais également les acteurs privés, énonçant notamment, que « toute mesure régressive doit être justifiée par des critères objectifs et respecter les normes de nécessité et de proportionnalité »7.
Rehausser les standards d’action - L’avis établit un standard élevé pour une action climatique fondée sur les droits humains. Il envoie un signal clair, fondé sur la science, aux gouvernements et aux tribunaux d'Amérique latine et des Caraïbes, mais aussi du monde entier, concernant les mesures climatiques que le droit international des droits humains exige des États et des entreprises. Il définit des normes juridiques pour tenir les États et les entreprises pollueurs responsables de leurs actes destructeurs. Il confirme par ailleurs, via le droit à l'accès à la justice – qu’il reconnaît comme fondamental –, un droit légitime à une réparation intégrale des dommages climatiques. Par cet avis, la Cour interprète des obligations contraignantes en matière de droits humains en établissant des lignes directrices juridiques que les États membres de l'OEA ne peuvent plus ignorer. Mais, surtout, son importance est également mondiale, car les droits fondamentaux concernés – tels que les droits à la vie, à l'autodétermination et à un environnement sain – sont protégés par de nombreux traités internationaux, constitutions et lois nationales.
Des obligations pour les acteurs privés – La Cour souligne que les entreprises doivent non seulement respecter les droits humains, mais aussi les réparer en cas de violation par leurs activités. Elles doivent veiller à la réduction des risques d'exposition, à l'intégration des droits humains dans leurs structures et à honorer l’obligation de ne pas accroître ni créer de vulnérabilités. Ici, l’obligation de diligence raisonnable prend tout son sens, les entreprises ne pouvant s’exonérer de l'exigence de réaliser des études d'impact environnemental.
L’influence sur la justice climatique – L'avis n’est pas circonscrit à une région ou à un périmètre limité, et aura un rayonnement certain sur le domaine de la justice. Il s'inscrit en effet dans une vague croissante de litiges climatiques et dans un mouvement mondial en faveur de la justice climatique. Des demandes de responsabilité et réparation des dommages causés par le climat émergent partout. Des litiges stratégiques visant des entreprises prennent de l'ampleur. De plus en plus de communautés se tournent vers les tribunaux pour exiger des mesures juridiquement contraignantes. L’avis s'inscrit également dans une série d'avis consultatifs et de décisions de justice sur le changement climatique8. Il pourrait alimenter l’avis consultatif sur le changement climatique demandé à la Cour internationale de justice (Iddri, 2025) et le processus similaire mené par la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples9, et pourrait également avoir un impact fort sur les négociations internationales lors de la COP 30 qui se tiendra en novembre prochain au Brésil (Iddri, 2025). Il servira de feuille de route pour la justice climatique devant les tribunaux locaux, régionaux et nationaux, ainsi que de base pour l'élaboration de politiques climatiques susceptibles d'ancrer la législation nationale et les négociations mondiales dans des mandats contraignants.
L’avis consultatif de la CIDH marque son leadership sur d’autres cours internationales, par son caractère à la fois novateur et universel. La Cour montre ici que les droits humains ne sont pas des idéaux abstraits, mais des réalités vécues. Par les obligations ainsi définies, les droits humains, à l’aune de la crise climatique, sont également reconnus, particulièrement dans la région des Amériques, comme des « outils de survie », permettant de guider les comportements à travers la crise écologique. Reste qu’il s’agit d’un avis, de nature plutôt déclarative. Deux voies de concrétisation sont désormais possibles – et compatibles : d’une part, cet avis sera un guide de conduite pour les États de l’OEA qui devront désormais s’y conformer ; d’autre part, il constituera un socle juridique pour des contentieux potentiels. Il sera difficile désormais de l’ignorer dans cette partie du monde.
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Avis cit. § 217 et s.
- 4
Elle avait déjà statué sur le droit à un environnement sain dans un avis datant de 2017 ; plus récemment encore, dans l'affaire La Oroya c. Pérou, elle avait reconnu le droit collectif à une réparation pour pollution industrielle.
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Norme impérative qui désigne des règles de droit international général qui sont universellement acceptées et reconnues comme ne pouvant souffrir aucune dérogation.
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La Cour encourage les pays qui ne l’ont pas encore fait à ratifier ce premier traité régional contraignant promouvant la démocratie environnementale
- 7
Avis cit. § 222 et s.
- 8
Cour européenne des droits de l’homme ; Tribunal international du droit de la mer.
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https://www.ejiltalk.org/africas-turn-the-african-courts-advisory-opinion-on-climate-change/