Tard dans la soirée du vendredi 21 juillet, les États réunis au siège de l’ONU à New York ont dans une ambiance apaisée accompli une avancée importante dans un long processus visant à combler les lacunes existant dans les règles internationales relatives aux zones situées au-delà de la juridiction nationale (ZAJN, communément désignées par les termes de « haute mer » ou « eaux internationales »). À l’issue de la quatrième et dernière réunion du Comité préparatoire (PrepCom), qui avait pour objectif d’établir des recommandations en vue de la mise au point d’un potentiel nouvel instrument international juridiquement contraignant (IIJC), les États ont préconisé que l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) prenne une décision, aussitôt que possible, quant à l’organisation d’une conférence intergouvernementale (CIG) afin de mettre au point le texte d’un nouvel accord.

Les eaux internationales représentent près des deux tiers des océans mondiaux et fournissent des services écosystémiques essentiels, mais placés sous la menace croissante d’un ensemble d’activités humaines comme la surpêche et les pratiques de pêche destructrices, le transport maritime, et l'exploitation minière des grands fonds marins. L’acidification des océans, provoquée par des émissions de gaz à effet de serre en hausse, aggrave encore cette situation, tout comme la pollution de sources terrestres.

Cependant, la haute mer est régie par un assemblage inopérant d’accords régionaux et sectoriels, formant un cadre de gouvernance fragmenté qui échoue à assurer un contrôle global de cette vaste étendue. Il n’existe notamment aucun mécanisme destiné à la création de zones protégées ou à l’évaluation pertinente des conséquences des activités humaines, et l’extraction des ressources génétiques marines, de plus en plus utilisées dans les produits pharmaceutiques et les cosmétiques, n’est toujours pas soumise à quelque régulation que ce soit.

Un nouvel accord fort est depuis longtemps réclamé par les groupes de la société civile, les océanologues et un certain nombre d’États préoccupés par les questions de conservation, mais ces ambitions se sont souvent heurtées aux vues d’États réticents à négocier un nouvel accord ou à créer de nouvelles règles ou institutions internationales.

L’AGNU doit à présent tenir compte de ces recommandations et prendre une décision concernant le lancement d’un processus de négociation formel. La résolution requise pourrait vraisemblablement être adoptée avant la fin de la session actuelle de l’AGNU (octobre 2017) et nombreux sont donc ceux qui espèrent que les négociations puissent débuter dès l’an prochain.

Un ensemble de sujets serait à traiter : les outils de gestion par zone (OGZ), qui comprennent les aires marines protégées (AMP) ; les études d’impact environnemental (EIE) ; les ressources génétiques marines (RGM), y compris le partage des bénéfices découlant de leur exploitation ; ainsi que le renforcement des compétences et le transfert de technologie.

Les recommandations comprennent une liste d’éléments susceptibles de figurer dans un IIJC, ceux-ci ont été divisés en deux sections : la section A regroupe les éléments non-exclusifs qui ont suscité une convergence de vues de la part de la plupart des délégations, tandis que la section B met en exergue certaines des questions principales à propos desquelles une divergence d’opinions existe. La seconde section comprend des questions épineuses qui se sont souvent avérées insurmontables au cours des discussions précédentes.

Parmi celles-ci figurent :

  • les principes opposés que sont la notion de patrimoine commun de l’humanité et celle de liberté attachée à la haute mer, ainsi que les visions divergentes concernant la manière dont ces principes devraient s’appliquer ;
  • la nature des RGM, la question de savoir si un IIJC devrait réglementer l’accès à ces ressources, et quels bénéfices devraient être partagés ; 
  • le processus de prise de décision et les dispositifs institutionnels liés à la mise en œuvre des OGZ et à la création des AMP ;
  • la question de l’évaluation de l’impact : devrait-elle être conduite par les États ou « internationalisée » ? L’IIJC devrait-il porter sur les évaluations stratégiques de l’impact sur l’environnement ?
  • les modalités et conditions concernant le transfert de la technologie marine.

Les États auraient également à s’entendre sur un ensemble de questions transversales, telles que d’éventuels dispositifs institutionnels, la mise en place de mécanismes d’échange d’informations et de mécanismes financiers, et le règlement des litiges. Il est donc probable qu’avec l’ouverture de négociations formelles, les manœuvres subtiles caractérisant les réunions du PrepCom cèderaient la place à des prises de position politiques et des négociations diplomatiques à forts enjeux qui concerneraient le fonctionnement d’un nouvel accord, les modalités d’application des nouvelles règles et, de manière cruciale, l’étendue de haute mer qui serait protégée. Les actions récentes menées en faveur de la protection des ZAJN en Antarctique peuvent fournir un avant-goût du processus potentiellement tendu qui s’annonce. La mise en place d’une des plus vastes AMP de la planète y entrera en vigueur en décembre 2017, résultat d’un consensus entre les Parties de la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR).

L’accord a finalement été atteint grâce à des interventions politiques de haut niveau et des efforts diplomatiques considérables, qui ont complété de longues négociations. Comme le consensus a toujours été au cœur de l’élaboration du droit de la mer, de telles discussions se révèlent souvent longues et difficiles (les négociations pour la Convention des Nations unies sur le droit de la mer elle-même débutèrent en 1973, mais le texte ne fut adopté qu’en 1982 pour entrer en vigueur en 1994). Ce n’est qu’après que les négociateurs aient œuvré inlassablement par le biais de séances informelles à huis-clos et de réunions de coordination régionale, qu’ils aient mené des entretiens bilatéraux avec le Président, et qu’ils aient déployé tous les efforts afin d’atteindre le consensus que les recommandations du PrepCom ont été formulées. Bien que les défis à venir soient incontestablement nombreux, il apparaît également de manière évidente qu’il existe une dynamique inédite en faveur de la conservation et de l’utilisation durable du milieu marin. En effet, les recommandations du PrepCom interviennent quelques semaines à peine après la clôture de la Conférence des Nations unies sur les océans (5-9 juin), un jalon historique qui a vu les États adopter un « Appel à l’action » dans lequel ils ont exprimé leur « ferme conviction que l’océan est indispensable à notre avenir partagé » et leur détermination à « à agir résolument et d’urgence ». Améliorer la gouvernance de la haute mer contribuera sans aucun doute à la réalisation de l’Objectif de développement durable n°14 (« ODD Océan »), et il existe à présent un extraordinaire soutien en faveur de la négociation d’un nouvel accord. Dans son allocution de clôture, le Président de l’AGNU, S.E.M. Peter Thomson, a appelé à ce que cet élan soit soutenu, exprimant son espoir qu’une CIG soit organisée prochainement, et il a mis l’accent sur le consensus, une « étape déterminante » en vue de la protection « des océans qui nous unissent ».