L’Accord de Paris, adopté par 195 pays le 12 décembre 2015, a été élevé, à juste titre, au rang d’événement historique majeur dans la collaboration internationale sur le changement climatique. Il fixe en effet un objectif ambitieux de lutte contre le changement climatique, en établissant un cadre universel, équitable et durable pour une action mondiale concertée efficace sur ce sujet. Les gouvernements, la société civile et les entreprises doivent désormais saisir ce cadre pour entretenir la dynamique politique sur l’action climatique et rendre opérationnels ces principes d’action.

En novembre 2015, l’Iddri mettait en avant 10 critères de succès de la COP21. Ce billet compare ces critères au texte issu de la Conférence, afin de montrer en quoi l’Accord peut être qualifié de réussite.

Il est important de souligner que dans notre précédent billet, nous avions placé la barre au niveau de ce que nous pensions être l’accord le plus ambitieux, en faisant avancer la gouvernance climatique mondiale de manière significative par rapport à la situation préalable de statu quo tout en restant politiquement réalisable. Les travaux et les recherches doivent continuer sur les moyens de renforcer l’Accord dans le temps et sur la façon dont le régime climatique dans son ensemble (y compris la CCNUCC mais sans s’y limiter) peut être renforcé pour accélérer l’action climatique.

1. Participation universelle

L’Accord de Paris est devenu le premier accord universel sur le changement climatique imposant aux pays des obligations précises, substantielles et juridiquement contraignantes. Cela contraste avec la CCNUCC qui ne met en place que des obligations de procédure, et non pas de fond, pour les pays (la notification, par exemple), et le Protocole de Kyoto qui n’a mis en place des obligations de réduction d’émissions que pour les pays développés. Notre billet de novembre observait qu’à la veille de la COP21, on notait une dynamique positive en faveur de la construction d’un accord universel. Cela s’était manifesté par le nombre important de contributions nationales à l’action climatique (INDC) soumises par la CCNUCC avant la date limite du 1er octobre (147, représentant près de 90 % des émissions mondiales de GES). Cette dynamique positive s’est confirmée durant la COP21. À la fin de la Conférence, le nombre d’INDC a atteint 188 (sur les 195 pays Parties à la CCNUCC), couvrant 98 % des émissions mondiales de GES, avec seulement six pays n’ayant pas remis leur INDC. L’Accord de Paris a également été adopté par consensus par 195 pays sans difficultés de procédure, reflétant le niveau d’acceptation mondiale très élevé des termes de l’accord[1].

Le texte final de l’Accord de Paris satisfait également un autre élément que nous avions identifié comme étant essentiel pour l’universalité de l’Accord, à savoir des conditions d’entrée en vigueur répondant à deux critères. Premièrement, un nombre suffisant de pays devait être nécessaire pour que l’accord entre en vigueur. Deuxièmement, il était important qu’une entrée en vigueur rapide de l’accord soit facilitée. L’Article 21.1 établit l’entrée en vigueur de l’Accord dès sa ratification par 55 Parties représentant au moins 55 % des émissions mondiales de GES. Un tel seuil est suffisamment élevé pour que l’adhésion des grands émetteurs (à savoir la Chine, les États-Unis, et l’UE) soit nécessaire pour que l’Accord devienne efficace, sans être trop élevé de façon à ne pas entraver une entrée en vigueur rapide. Une large participation à la cérémonie officielle de signature de haut niveau organisée par le Secrétaire général de l’ONU à New York le 22 avril 2016 enverrait donc un signal positif dans cette direction. L’adoption de l’Accord dans les systèmes juridiques nationaux (passant par la ratification, l’acceptation, l’approbation ou l’adhésion) pourrait prendre plus de temps selon les agendas juridiques et politiques de chaque pays. Néanmoins, il est possible (et souhaitable) que l’Accord entre en vigueur avant 2020.

2. Un accord juridique, comprenant des éléments contraignants et des éléments non contraignants

En 2011, les pays se sont fixés le mandat de négocier et d’adopter en 2015 un accord international juridiquement contraignant sur le changement climatique. L’Accord de Paris, avec ses décisions de la COP connexes, remplit ce mandat, car il répond aux exigences énoncées en vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités pour un traité de droit international. Notre billet de novembre avait distingué trois domaines de l’Accord de Paris appropriés pour des obligations contraignantes : (1) la soumission des contributions nationales (NDC) et la poursuite des mesures nationales visant à atteindre les NDC ; (2) la révision régulière des NDC, et (3) la transparence pour ce qui concerne leur mise en œuvre et leur réalisation. En obligeant les pays à prendre des engagements successifs et à être tenus responsables de leur mise en œuvre, des dispositions contraignantes dans ces trois domaines devaient promouvoir la mise en œuvre nationale.

Le texte adopté le 12 décembre impose aux pays des obligations dans ces trois domaines, ce qui nous permet donc de qualifier l’Accord de Paris de succès à cet égard. Au sujet des NDC, l’Art 4.2 exige que chaque pays « [établisse], communique et actualise les contributions déterminées au niveau national successives [...] et prenne des mesures internes pour l’atténuation en vue de réaliser les objectifs desdites contributions ». Comme prévu dans notre billet précédent, l’Accord établit une obligation de « moyens » plutôt que de résultat concernant les contributions nationales – en d’autres termes, les pays sont obligés de mettre en œuvre leur NDC plutôt que de la réaliser à la lettre – et le fait dans un langage fort. Sur la révision régulière, l’Art 4.9 demande aux pays de communiquer une NDC tous les cinq ans, en tenant compte d’un bilan mondial régulier. En matière de transparence, l’Art 13.7 fixe l’obligation pour tous les pays de rendre compte régulièrement des progrès réalisés en matière de mise en œuvre et de réalisation des NDC, tandis que l’Art 13.11 précise leur obligation de se soumettre à un examen technique par des experts. Il est également important de noter que l’article 4.3 établit que les INDC suivantes représenteront une progression dans l’ambition et correspondront au niveau d’ambition du pays le plus élevé possible.

3. Différenciation : un accord applicable à tous, mais prenant compte de la diversité des situations nationales

 Notre précédent article avait identifié le défi que constitue la création d’un accord allant au-delà des annexes de la CCNUCC, tout en représentant toujours le large spectre des circonstances nationales, et permettant la différenciation nécessaire correspondante. Notre pronostic selon lequel cette question délicate de la différenciation ne serait pas résolue d’une manière globale, mais élément par élément, s’est avéré correct. En effet, l’Accord ne prévoit pas de nouvelles annexes, mais nuance plutôt les obligations des pays à travers chacun des éléments de l’Accord (par exemple atténuation, adaptation, financement), précisant parfois des obligations différentes en fonction des diverses circonstances nationales.

Notre billet de novembre faisait valoir que la différenciation élément par élément entraînerait probablement une combinaison de dispositions d’« auto-différenciation » dans un cadre commun mais souple. Cette approche de la différenciation a fait son chemin dans plusieurs domaines de l’Accord. Notamment, le système de transparence établi par l’accord est unifié (contrairement à l’approche actuelle de deux annexes différenciant les pays développés et pays en développement), mais donne également la possibilité aux pays de s’auto-différencier (voir point 9 ci-dessous). Nous avions également fait valoir que des principes communs et un contrôle politique seraient nécessaires afin d’assurer que des pays comparables assument des responsabilités similaires dans un cadre de différenciation souple. Au sein d’un cadre de responsabilisation plus large, le système de révision des NDC tous les cinq ans peut constituer le fondement de la réciprocité et des progressions à mesure que les pays assumeront des responsabilités toujours plus élevées en fonction de leurs circonstances nationales.

4. L’objectif de 2 °C

Conformément aux attentes, l’Accord de Paris réaffirme l’objectif établi à Cancun en 2010 de limiter le réchauffement de la température mondiale à moins de 2 °C (Art 2.1). Notre billet de novembre soulignait que de nombreux appels avaient été lancés à la veille de la COP21 pour que cet objectif de température soit rendu opérationnel, les demandes étant notamment formulées en termes de niveau d’émissions à atteindre d’ici le milieu du siècle ou encore d’objectif à long terme de transition vers des économies à faibles émissions et résilientes au cours du 21e siècle. Le texte final rend opérationnel l’objectif de température en établissant l’objectif de parvenir à zéro émissions mondiales nettes entre 2050 et 2100 (Art 4.1). Notre billet précédent faisait valoir que pour être réellement efficace et concret, l’objectif opérationnel devait être précis. En ne laissant planer aucune ambiguïté quant à l’avenir des émissions de GES, l’objectif de zéro émissions nettes de l’Accord de Paris correspond à cette caractéristique. Cette précision arrive à point nommé pour envoyer un signal fort au monde commercial et financier.

L’Accord de Paris précise également l’objectif global d’atténuation de l’Art 2.1 en appelant à faire des efforts pour limiter la température nettement en dessous de 2 °C, avec un objectif ambitieux de maintenir la température en-dessous de 1,5 °C. Cet objectif de température strict a pendant des années été défendu par les petits États insulaires, pour lesquels il est vital pour la survie de leurs territoires faiblement élevés. Son inclusion dans l’Accord de Paris est le résultat des efforts de la « coalition de l’ambition » menée par les Îles Marshall, qui tout au long de la COP21 a reçu le soutien de nombreux pays développés et en développement à travers le monde. Le fort ancrage de l’objectif de 1,5 °C permettra de maintenir la pression sur le système afin d’élever l’ambition d’atténuation.

5. Cycles d’action pour que l’objectif de 2 °C reste à portée de main

Comme indiqué dans le point 2, 188 pays ont à ce jour présenté leur INDC, indiquant une volonté politique forte et d’envergure. C’est d’autant plus important qu’au début de l’année 2015, beaucoup s’attendaient à ce que moins de 100 pays présentent leur INDC dans l’année. Comme mentionné dans notre précédente note, bien que ces INDC accélèrent et consolident sans aucun doute l’action climatique, elles ne sont pas suffisamment ambitieuses pour atteindre l’objectif de 2 °C. Anticipant cette lacune, beaucoup avaient appelé, à l’approche de la COP21, à la mise en place dans l’Accord de Paris d’un mécanisme permettant aux pays d’augmenter régulièrement leurs ambitions nationales en matière de climat de manière coordonnée. Notre précédent billet mettait en évidence cinq éléments spécifiques devant être mis en place par l’Accord pour que ces « cycles » parviennent à élever l’ambition dans le temps : (1) une date rapprochée pour la première révision (idéalement en 2020 afin d’assurer que les ambitions ne soient pas verrouillées), (2) une périodicité de 5 plutôt que de 10 ans, (3) un bilan mondial régulier des progrès accomplis dans la réalisation des objectifs mondiaux, afin d’alimenter la révision, (4) un lien clair entre les cycles et l’objectif de 2 °C, et (5) une invitation à ce que chaque pays élabore une stratégie de décarbonation d’ici le milieu du siècle, plaçant les NDC successives dans le contexte de la transition à long terme que chaque pays doit entreprendre.

L’intégration de la notion de cycles dans le texte final de l’Accord de Paris n’est pas anodine, car elle a fait l’objet d’une grande opposition de la part de certains pays jusqu’à très tard dans les négociations. En outre, l’accord remplit bien quatre des cinq éléments précités essentiels pour la crédibilité du mécanisme de cycles. Les paragraphes 23 et 24 établissent 2020 comme première date à laquelle les pays devront soumettre de nouvelles NDC. L’Art 4.9 oblige chaque pays à soumettre une NDC tous les cinq ans par la suite, et souligne que ces NDC ultérieures devront tenir compte du bilan mondial, réalisé tous les cinq ans, des progrès collectifs développé dans l’Art 14. L’Art 4.19 invite les pays à « formuler et communiquer des stratégies à long terme de développement à faibles émissions de gaz à effet de serre ». Le seul élément qui aurait pu être renforcé est le lien entre les cycles et l’objectif de 2 °C. Il est seulement implicite : l’Art 4.1 souligne que les pays doivent parvenir au plafonnement puis réduire leurs émissions pour atteindre zéro émission nette au niveau mondial après 2050, et l’Art 4.3 établit que chaque NDC successive devra augmenter son ambition et correspondre au niveau d’ambition le plus élevé possible du pays, une ambition élevée étant évidemment nécessaire pour atteindre l’objectif de 2 °C.

6. Adaptation

A mesure que les impacts du changement climatique deviennent toujours plus visibles, les appels à ce que la CCNUCC mette davantage l’accent sur l’adaptation se sont intensifiés. Notre billet de novembre soulignait trois éléments pouvant être inclus dans l’Accord de Paris pour l’aider à créer un régime climatique plus « équilibré » dans lequel l’atténuation et l’adaptation seraient placées sur un pied d’égalité : (1) définir un objectif mondial d’adaptation dans lequel tous les pays feraient la transition vers des économies résilientes face au réchauffement pouvant être attendu compte tenu de l’objectif de 2 °C, (2) inviter tous les pays à élaborer des stratégies nationales d’adaptation et à les soumettre à la communauté internationale, et (3) renforcer la transparence sur les progrès réalisés en termes d’adaptation. Le texte final adopté le 12 décembre reprend chacun de ces trois éléments. L’Art 2.1 établit un objectif global en matière d’adaptation, développé dans l’Art 7.1, qui souligne que cet objectif consiste à « renforcer les capacités d’adaptation, à accroître la résilience aux changements climatiques et à réduire la vulnérabilité à ces changements, en vue de contribuer au développement durable et de garantir une riposte adéquate en matière d’adaptation dans le contexte de l’objectif de température » (Art 7.1). L’Art 7.9 exige que chaque partie entreprenne des processus de planification de l’adaptation et mette en œuvre des mesures d’adaptation, tandis que les Art 7.10 et 7.11 demandent aux pays de présenter et d’actualiser périodiquement une communication sur l’adaptation décrivant leurs actions. Cette planification et cette notification de l’adaptation constituent à leur tour une base pour le renforcement de l’échange d’informations et le suivi en matière d’adaptation, qui est complété par l’institution d’un bilan mondial périodique visant à examiner l’adéquation et l’efficacité de l’adaptation, ainsi que les progrès d’ensemble accomplis dans la réalisation de l’objectif d’adaptation (Art 7.14).

7. Pertes et préjudices

Notre billet publié avant la COP21 soulignait que même si des mesures fermes d’atténuation et d’adaptation étaient prises, il était probable que certaines sociétés soient confrontées à d’importants impacts climatiques, potentiellement au-delà de leur capacité d’adaptation. Cela a soulevé des appels à ce qu’un mécanisme de « pertes et préjudices » soit inclus dans l’Accord de Paris, même si aucune consistance n’avait encore été donnée aux questions de « responsabilité », très complexes au niveau scientifique, juridique et politique. Dans ce contexte, nous avions noté que les pays pourraient convenir d’inclure dans l’Accord de Paris une reconnaissance de la réalité des « pertes et préjudices » si les mesures prises en matière d’adaptation et d’atténuation étaient insuffisantes, et que la solidarité pourrait s’exprimer notamment en termes de réponse aux catastrophes, de mise en place de systèmes d’alerte précoce, et de régimes de gestion des migrations liées au climat. L’inclusion dans le document final de Paris d’un article complet sur les pertes et préjudices est bien plus que ce qui était attendu, et son contenu va au-delà de ce que nous avions proposé dans notre note de novembre. L’Art 8 reconnaît non seulement la potentialité, mais aussi l’importance d’éviter et de réduire au minimum les pertes et préjudices ainsi que d’y remédier, en soulignant le rôle du développement durable dans la réduction des pertes et des préjudices (Art 8.1). Il conserve également le Mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices établi à la COP19 (paragraphe 48 de la Décision), notant qu’il peut être amélioré et renforcé à l’avenir (Art 8.2). Il exhorte les pays à la coopération et la facilitation sur la compréhension, l’action et l’appui en matière de pertes et de préjudices (Art 8.3), énumérant huit domaines potentiels, notamment les systèmes d’alerte précoce, la préparation aux situations d’urgence, la prise en compte des phénomènes qui se manifestent lentement, l’amélioration de la résilience des communautés, ou encore la gestion des risques (Art 8.4), et la création d’un centre d’échange d’informations sur le transfert des risques (paragraphe 49 de la Décision). L’Accord de Paris indique néanmoins clairement que l’article 8 ne peut servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation (paragraphe 52 de la Décision).

8. Financement

Le financement climatique est un levier essentiel de la transition vers des économies à faibles émissions et résilientes. Notre billet de novembre avait mis en évidence quatre éléments qu’il était important de résoudre à la COP21 pour assurer le succès de l’Accord sur cette question : (1) faire preuve de clarté et démontrer que des progrès suffisants ont été réalisés dans l’engagement des pays développés à réunir 100 milliards de dollars d’ici 2020, (2) définir le cadre du financement climatique de l’après-2020, (3) déterminer la répartition de la responsabilité des pays en termes de mobilisation du financement climatique de l’après-2020, et (4) initier une vaste transition au sein du secteur financier, qui doit s’éloigner des investissements à forte teneur en carbone au profit d’investissements sobres en carbone.

L’Accord de Paris reprend et résout la plupart de ces éléments. L’objectif de 100 milliards de dollars est abordé de plusieurs manières. En dehors des négociations officielles, les nombreuses déclarations financières faites avant et pendant la COP21 ont rassuré sur le fait que l’objectif serait atteint. L’Accord de Paris ancre également l’objectif de 100 milliards de dollars en en faisant un niveau plancher permanent des efforts de mobilisation financière des pays développés à partir de 2020 et définit les principes clés pour l’après-2020. Il établit qu’un nouvel objectif collectif de mobilisation de financement climatique sera décidé en 2025, dans le cadre d’un effort mondial. Il réaffirme le rôle moteur des pays développés pour l’apport et la mobilisation du financement climatique, et établit que celle de l’après-2020 s’inscrira dans un effort mondial auquel les pays développés en mesure de le faire seront encouragés à contribuer. Enfin et surtout, l’Accord de Paris reconnaît que le passage à des sociétés à faibles émissions et résilientes nécessitera non pas seulement plusieurs centaines de milliards de dollars de nouveaux financements climatiques, mais plutôt le déplacement de milliers de milliards d’investissements lourds en carbone partout dans le monde vers des alternatives sobres en carbone. L’Accord de Paris comprend l’objectif financier global de « [rendre] les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résiliant aux changements climatiques » (Art 2.1), et envoie donc un signal fort au secteur des affaires et des finances sur l’engagement des pays à faire évoluer le monde vers un avenir faible en carbone.

9. Transparence et responsabilisation

Notre billet de novembre 2015 présentait la question de la transparence et de la responsabilisation comme un point essentiel des négociations. La création d’un système permettant de suivre efficacement et équitablement les progrès accomplis par les pays par rapport à leurs engagements est ici en jeu, les rendant responsables de leurs promesses et dressant un tableau des progrès réalisés au niveau mondial vers un avenir à faible émission. Dans cette perspective, l’inclusion de trois facteurs de transparence dans l’Accord de Paris est particulièrement importante : (1) la mise en place d’un système de transparence unique, unifié mais flexible pour tous les pays ; (2) l’obligation juridique pour tous les pays de rendre compte des avancées en termes de mise en œuvre et de réalisation de leur NDC ; (3) la reconnaissance de l’importance d’un système de transparence solide permettant de renforcer la confiance dans l’action collective.

Conformément à notre analyse précédant la COP21, la transparence est restée un sujet compliqué non réglé jusqu’à la fin du sommet de Paris, la difficulté étant centrée sur l’opportunité de fusionner (ou non) les processus de notification et d’examen auparavant divisés. Une telle évolution permettrait de concrétiser la transition s’éloignant d’une répartition stricte et non nuancée des responsabilités entre pays développés et pays en développement. À notre avis, un système unifié qui reconnaîtrait néanmoins les différents points de départ des pays en leur donnant une flexibilité est la façon la plus équitable de responsabiliser tous les pays. En effet, dans ce système, chaque pays pourrait rendre compte et être examiné par rapport au type d’engagement qu’il a pris au lieu d’avoir un seul niveau de responsabilité pour tous les pays développés, et un autre pour tous les pays en développement, sans distinction de leur engagement ou de leur niveau de développement. Dans ce contexte, il est très significatif que l’Accord de Paris ait établit un système de transparence unifié « assorti d’une certaine flexibilité, qui tient compte des capacités différentes des Parties et qui s’appuie sur l’expérience collective » (Art 13.1).

L’Accord de Paris répond également aux deux autres éléments que nous avions considérés comme importants pour la transparence. Il oblige les pays à suivre les progrès accomplis dans la mise en œuvre de leur NDC (Art 13.7), avec une cohérence entre les méthodes communiquées dans les NDC et celles utilisées pour rendre compte (paragraphe 95 de la Décision). Cela aidera à assurer que les comptes soient rendus de façon équitable dans les différents types de NDC (par exemple à l’échelle de l’économie, déviation du scénario de statu quo, sectoriel, etc.). Le cadre de transparence sera également axé sur la facilitation plutôt que punitif (Art 13.3), lui permettant d’agir comme un système d’alerte précoce permettant à la communauté internationale de suivre de manière prospective les avancées réalisées par les pays par rapport à leurs contributions.

10. Acteurs non étatiques

A la veille de la conférence de Paris, plusieurs acteurs non étatiques (ANE), notamment des entreprises et gouvernements locaux, ont mis au point leurs propres initiatives pour lutter contre le changement climatique. Cette évolution positive reflète l’ampleur du problème, et les différents niveaux auxquels il faut agir, et auxquels des actions ont déjà été initiées. La perspective de la COP21 et le sommet lui-même ont été l’occasion d’un grand nombre d’engagements volontaires et d’annonces d’initiatives importantes et ambitieuses. Parmi ces initiatives, on peut citer : la Breakthrough Energy Coalition, le fonds doté de milliards de dollars pour l’énergie propre le plus important jamais créé, l’annonce faite par 53 grandes entreprises internationales de passer à 100 % d’énergie renouvelable, et celle de 114 grandes entreprises de se fixer des cibles « axées sur la science » alignées sur l’objectif de 2 °C, 90 villes ayant adopté un objectif d’au moins 80 % de réduction des gaz à effet de serre d’ici 2050, et 436 maires ayant rejoint le Pacte mondial des maireslancé en 2014 lors du Sommet sur le climat des Nations Unies pour soutenir les ambitions des municipalités du monde entier en matière de climat. Une liste plus complète des initiatives peut être consultée ici.

Notre billet de novembre signalait que l’Accord de Paris devait affirmer que la CCNUCC resterait au centre de l’action des Etat, tout en se félicitant des actions volontaires et en aidant à donner une orientation et une cohérence générales à la multitude de mesures prises dans d’autres contextes. Concrètement, nous avions souligné qu’il pouvait reconnaître les actions qui ont été réalisées et annoncées par les ANE, et jeter les bases d’un système permettant de garantir que les efforts de mobilisation des ANE soient poursuivis après Paris, notamment en améliorant la transparence et la responsabilisation. L’Accord de Paris remplit certains de ces points. Il se félicite des efforts des ANE pour augmenter l’action climatique et les invite à afficher leurs actions sur le portail des acteurs non-étatiques pour l’action climatique (NAZCA) créé lors de la COP20 dans le but de suivre ces initiatives (paragraphe 118 de la Décision). Le maintien du portail NAZCA est un bon point de départ des efforts de la CCNUCC pour favoriser la mobilisation de l’action climatique volontaire après la COP21, reste à développer les détails sur la façon dont le portail sera dirigé et évoluera dans le temps. Le paragraphe 121 de la Décision convient de convoquer avant 2020 une réunion de haut niveau qui sera notamment l’occasion pour les acteurs non étatiques (ainsi que les partenariats public-privé) de présenter l’état de la mise en œuvre d’initiatives et de coalitions récentes, et d’en annoncer de nouvelles. Mêmes si cela ne règle pas explicitement la question de la transparence et de la responsabilisation des actions des ANE, il s’agit d’un moment que la société civile peut saisir pour suivre l’évolution de la façon dont les ANE mettent en œuvre les initiatives annoncées au moment de la COP21, et plus généralement les actions climatiques volontaires des ANE.

[1] Seul le Nicaragua a demandé à ce que son mécontentement soit formellement reconnu dans une note verbale, après l’adoption de l’accord.