La problématique du changement climatique a fait émerger la question de l'adaptation au rang de défi pour nos sociétés modernes - pourtant l'adaptation reste aujourd'hui un univers flou dont on ne maîtrise ni les logiques, ni les formes.

Cette synthèse vise à apporter un éclairage d'ordre conceptuel sur la question de l'adaptation. Elle propose deux pistes de discussion autour de l'adaptation dans le processus de durabilité, et des liens et synergies entre adaptation, changement climatique et développement durable.

 

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La problématique du changement climatique a fait émerger la question de l'adaptation au rang de défi pour nos sociétés modernes - pourtant l'adaptation reste aujourd'hui un univers flou dont on ne maîtrise ni les logiques, ni les formes. Que signifie concrètement s’adapter ? Quels sont les pas de temps à considérer ? Quelles confi- gurations prend l’adaptation sur le terrain ? Les stratégies peuvent-elles et doivent-elles être les mêmes pour toutes les régions et sous-régions du monde ? Ces questions restent pour l’heure difficiles à appréhender, ce qui pose globale- ment deux difficultés dans une perspective de mise en œuvre de stratégies d’adaptation aux échelles nationales et internationales, d’autant que ces difficultés s’influençent. La première est que ce flou qui règne autour de l’adaptation introduit des biais aux processus de négocia- tion internationale, notamment sur les fonds mondiaux de l’adaptation et sur les bases de leur redistribution. La question est ici très sim- ple et se résume à quels projets/programmes financer ? La seconde difficulté, qui s’applique cette fois-ci aux échelles régionales et locales, est que cette «mal connaissance» exacerbe le poids des incertitudes relatives aux évolutions climatiques, rendant d’autant plus délicate l’identification d’actions pragmatiques qui per- mettraient à coup sûr de réduire la vulnérabi- lité des territoires, et donc qui favoriseraient leur adaptation à de nouvelles conditions tant au niveau local qu’à l’échelle de relations inter- nationales qui seront elles-mêmes probable- ment affectées par les conséquences indirectes du changement climatique (distribution des ressources, rapports de pouvoir...). Par ailleurs, il existe des actions très concrètes, répondant à des logiques simples, raisonnées et porteu- ses d’une certaine durabilité, mais n’étant pas le plus souvent reconnues comme des formes d’adaptation en tant que telles. En l’état actuel des connaissances, les choses ne sont donc pas toujours très claires. Dès lors, la question est de savoir comment sortir de ce flou général, à l’heure où l’adaptation s’impose de toute évi- dence aux côtés de la mitigation comme l’un des deux grands piliers de la lutte contre le changement climatique. Si des réponses pré- cises ne peuvent être données aujourd’hui, il nous paraît important de revenir sur certaines des bases permettant de proposer un cadre aux réflexions. Plus précisément, l’idée défendue ici est qu’il est indispensable, dans les réflexions scientifiques mais pas seulement, de ne pas dissocier adaptation et durabilité et au-delà, de ne pas dissocier changement climatique et développement durable.

Plus qu’une fin en soi, l’adaptation doit être envisagée davantage comme une toile de fond et imprégner de ses principes (de son «état d’es- prit») les réflexions scientifiques, les décisions publiques, les efforts de préservation environ- nementale et les choix socio-économiques. En effet, s’adapter est clairement une manière de créer de la continuité dans le processus de développement, d’atténuer les effets de rup- tures que pourraient notamment générer les perturbations climatiques ponctuelles (événe- ments extrêmes) et graduelles (élévation des températures, réduction des précipitations...). L’adaptation suggère d’ailleurs de proscrire les stratégies d’action au coup par coup, sans vision prospective1-2. En vue de susciter une telle continuité, la question de l’adaptation doit nécessairement être rapprochée de celle de la durabilité, en ce sens qu’elle constitue l’une des clés d’évolution des schémas actuels de développement, ici à la lumière de la donne cli- matique. Le concept d’« adaptation » est donc bien une toile de fond. Dès lors, deux pistes de discussion peuvent être ouvertes.

L’adaptation dans le processus de durabilité

La première piste concerne l’adaptation en tant que concept et peut être illustrée par un exemple concret. Des travaux de recherche actuellement menés à l’iddri sur la thémati- que du développement touristique des litto- raux méditerranéens, et ce sur la base d’études de cas locales, commencent à montrer que certaines stratégies d’adaptation, comme les systèmes de climatisation ou de piscines, par exemple, sont a priori envisagées par les auto- rités et opérateurs locaux comme des solutions susceptibles de palier les excès de températu- res provoquées par le changement climatique. Si l’on peut comprendre une telle position, elle n’est pas sans poser des problèmes d’un point de vue extérieur. La principale interrogation est qu’en dehors des évolutions de températu- res, d’autres évolutions sont à attendre en ter- mes de régimes de précipitations et d’élévation du niveau de la mer. autrement dit, les vagues de chaleur ne seront pas les seuls impacts aux- quels il faudra faire face et se préparer. D’autres problèmes émergeront en parallèle, comme la salinisation des sols et des nappes phréatiques, les épisodes de sécheresse, l’amputement d’es- paces terrestres du fait des submersions, etc. au-delà, cela se traduira par des difficultés d’approvisionnement en ressources, en eau et en énergie notamment. Emerge ainsi un dou- ble questionnement : la climatisation et les pis- cines peuvent-elles être considérées comme des formes durables d’adaptation, dans la mesure où d’une part elles ne prennent peu ou pas en compte les combinaisons d’évolutions des conditions climatiques, et d’autre part, dans la mesure où elles peuvent apparaître presque contradictoires par rapport à d’autres enjeux de la lutte contre le changement climatique ? nous faisons référence ici aux enjeux de la mitigation, c’est-à-dire de réduction des émis- sions de gaz à effet de serre. La climatisation, par exemple, accroît la demande énergétique et participe de ce fait à l’augmentation des émis- sions de gaz à effet de serre. Développer cette option pour s’adapter aux vagues de chaleur entre donc en contradiction, sur le long terme, avec les stratégies plus générales de mitigation. Le même type de raisonnement pourrait être appliqué aux stations de dessalement de l’eau de mer qui sont des outils de lutte contre le manque d’eau douce, mais qui d’une part sont sous le joug des pertes d’espace littoral et des phénomènes d’inondations liés à l’élévation du niveau de la mer, et d’autre part sont très éner- givores, sans compter qu’elles sont également polluantes si elles sont mal maîtrisées. Ces cas, bien que caricaturaux, invitent tout de même à s’interroger sur le caractère pertinent d’une stratégie dite d’adaptation alors qu’indirecte- ment elle renforce le problème du changement climatique. il y a là une ambiguïté qu’il n’est pas aisé de clarifier car elle soulève la question des pas de temps de l’adaptation. Doit-on uni- quement qualifier d’adaptation les stratégies qui font du temps long leur priorité ? Là encore la réponse n’est pas évidente car des stratégies d’adaptation de court ou moyen termes (la cli- matisation, le dessalement de l’eau de mer...) peuvent aussi, en tant qu’étapes, permettre aux territoires d’opérer une transition dans leur processus de développement, d’une activité dominante à une autre, et ainsi faire preuve d’adaptation sur le long terme.

au cœur de cette ambiguïté résident donc les rapports qu’entretiennent adaptation et miti- gation. Si ceux-ci sont bien entendu complexes et variables d’un cas d’étude à un autre, d’un secteur à un autre, ils enseignent tout de même qu’il est impératif de ne pas penser l’adapta- tion seule, mais de la penser à la lumière des perspectives de mitigation. Réciproquement, la lutte pour atténuer les effets du changement climatique doit tout autant tenir compte que s’appuyer sur des logiques d’adaptation. Ce constat, s’il n’apporte pas de réponses prag- matiques aux questions précédentes, présente l’avantage de proposer un cadre de réflexion suffisamment clair afin de ne pas se mépren- dre et de ne pas développer des stratégies et des solutions d’adaptation qui pourraient se révéler à long terme inadéquates, voir même aggraver des problèmes présents et à venir. Là encore, cela renvoie à la nécessité de concevoir l’adaptation comme toile de fond de la durabi- lité3, ce qui passe en partie par la non dissociation des stratégies d’adaptation et de mitiga- tion. Si cette nécessité accentue d’autant le défi de l’adaptation en tant que tel, elle invite dans le même temps, et c’est une seconde piste de discussion, à élargir le propos aux liens entre changement climatique et développement durable.

Adaptation, changement climatique et développement durable

Penser ensemble adaptation et mitigation suppose en effet de porter un regard global et systémique sur les logiques actuelles de déve- loppement et sur les problèmes qui se posent pour éviter les effets de feed back et, au mieux, favoriser les synergies éventuelles. Ce constat n’est pas nouveau puisqu’il a été mis sur le devant de la scène au moins depuis le rapport Brundtland (1987) et la Conférence interna- tionale de Rio (1992), actes de naissance du développement durable. À tel point que cette approche globale et systémique constitue actuellement, tout au moins sur le papier, le cœur de la grande majorité des programmes de recherche et des politiques publiques. Le pro- blème est qu’avec près de vingt ans de recul, il apparaît clairement que les réalisations ne sont pas à la hauteur des résultats escomptés. La raison essentielle réside dans la complexité même d’une approche qui demande de préser- ver l’environnement à la lumière du bien-être social et économique des populations locales, par exemple, ou d’améliorer les conditions sanitaires à la lumière d’une diversification des sources énergétiques, d’une modification des structures socio-économiques et d’une réduction des pollutions. nous sommes donc face à une certaine impasse, du moins face à un rythme de progression sur la voie de la dura- bilité qui n’est à l’évidence pas assez soutenu. Or, à y regarder plus en détails, la perspective du changement climatique, et à travers elle la problématique de l’adaptation, tend à remettre au goût du jour divers principes qui sont eux- mêmes au cœur de l’approche systémique et de la durabilité. On pense notamment à celui de précaution, mais aussi à d’autres termes-clés comme ceux de « résilience », de «vulnérabi- lité», d’« anticipation », d’« innovation », etc., dans des domaines aussi variés que l’économie, l’écologie, les décisions publiques, etc. Cela signifie très clairement que le champ concep- tuel du changement climatique est bien le même que celui du développement durable tant espéré, du moins tant débattu et si peu appliqué aujourd’hui de par le monde. ainsi, le changement climatique constitue également une toile de fond, ce que suppose d’ailleurs la notion anglo-saxonne de mainstreaming, et ce qui nous ramène à l’idée selon laquelle le champ conceptuel de l’adap- tation doit être entendu comme un support à l’identification de stratégies durables de déve- loppement, et non comme une fin en soi. De la même manière, l’objet ultime de la lutte contre le changement climatique n’est pas tant de frei- ner les évolutions climatiques, que de permet- tre aux écosystèmes et aux sociétés humaines de se maintenir en vie.

Encore une fois, nous ne visons pas à appor- ter ici une quelconque réponse pragmatique, mais un simple éclairage d’ordre volontairement conceptuel. Pour autant, l’intérêt n’est pas de 

(3) Qui doit s’adapter ? Là encore, la tendance générale est à dire qu’a priori les «pauvres» – entendez ici les pays en voie de développe- ment – sont les plus vulnérables et que leurs capacités d’adaptation sont fatalement moin- dres que celles des «riches» – entendez ici globalement les états-unis et l’Europe. Cette relation n’est que trop simpliste car elle est loin d’être si évidente. non qu’elle ait tort d’affirmer que les «pauvres» sont très vulnérables, mais car elle sous-entend que les «riches» sont sus- ceptibles de mieux s’adapter et, indirectement, que «l’adaptation est avant tout l’affaire des pauvres». Les pays «riches» auront pourtant également à affronter et à s’adapter aux effets du changement climatique, effets dont on peut penser qu’ils perturberont quoi qu’il en soit leurs structures socioéconomiques et territo- riales. La réalité est en fait que tout le monde devra s’adapter, mais de manières différentes d’un contexte à un autre, et cela ne sera facile pour personne.

Cela introduit d’ailleurs une autre question : 

(4) quel est le poids des facteurs locaux, tant environnementaux qu’anthropiques, sur les formes d’adaptation à mettre en œuvre ? Sont- ils déterminants pour la réussite du processus d’adaptation ou est-il plus judicieux de pro- mouvoir des stratégies standardisées ?

(5) Enfin sur quelles bases méthodologi- ques évaluer et suivre la capacité d’adaptation, étant entendu que cette démarche scientifique est l’une des clés de l’adaptation en elle-même puisqu’elle accompagne le réajustement des stratégies de développement en fonction des évolutions qui surviennent ou se profilent ? On retrouve ici l’idée de soutenabilité, c’est-à-dire de schémas de développement qui évoluent et qui font preuve d’une certaine flexibilité. Or, c’est sûrement l’une des vocations essentielles de l’adaptation que de permettre cette flexibilité, c’est-à-dire cette capacité à réagir par anticipa- tion sur le court terme au bénéfice des évolu- tions de moyen et long termes. C’est d’ailleurs ce que sous-entend la définition de l’adaptation par le giEC, qui parle d’un « ajustement des sys- tèmes naturels ou des systèmes humains face à un nouvel environnement ou un environnement changeant. (...) ». La notion d’ajustement renvoie à celle de flexibilité, laquelle suppose bien que l’adaptation ne peut être en tant que telle une finalité, mais une nécessité au service d’un pro- jet de société plus large : l’évolution des modes de développement vers davantage de durabilité et ce dans un contexte de changements climati- ques. L’adaptation n’est décidément pas une fin en soi, mais un état d’esprit.

 

 

1 hallegatte S., 2008. adaptation to climate change: do not count on scientists to do your work. Reg-Market Center, 08-01, 14 p.

2 Le processus d’adaptation, même s’il est encore mal appréhendé, suppose une certaine anticipation, sans pour autant que celle-ci soit nécessairement de moyen ou long termes. Or, l’action « au coup par coup » tend davantage à relever de la réaction que de l’anticipation ; elle ne peut donc être considérée comme de l’adapta- tion, qui justement suppose cette projection dans le temps en prévision d’événements non encore surve- nus. néanmoins, cela ne signifie pas que les stratégies de réaction ne participent pas plus ou moins indirecte- ment au processus d’adaptation en lui-même, par ex. via le phénomène d’expérience du risque.

3 notons ici que l’inverse est également vrai : la durabilité peut être entendue comme une toile de fond aux straté- gies pragmatiques d’adaptation. ainsi, sur le plan concep- tuel, penser la durabilité doit s’appuyer sur l’état d’esprit « adaptation », alors que sur le plan pragmatique, les ac- tions d’adaptation doivent reposer sur le principe de du- rabilité. il y a là un effet de synergie important, et il faut donc entendre dans ce texte le terme adaptation en tant que concept plus qu’en tant qu’action.

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