Dans le cadre du protocole de Kyoto, l'Union européenne s'est engagée à réduire de 8% par rapport à 1990 ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2012. Dans le sillage d'une communication de la Commition européenne parue en janvier 2007 et intitulée Limiting Global Climate Change to 2°Celsius : The way ahead for 2020 and beyond, le Conseil européen s’est engagé, en mars de la même année, à une réduction unilatérale de 20 % par rapport à 1990 des émissions commu- nautaires de GES d’ici 2020. L’effort de réduction pourrait être porté au-delà, jusqu’à 30 %, si un accord international jugé satisfaisant est signé pour succéder au protocole de Kyoto. Cet objectif plus ambitieux est cohérent avec la « feuille de route de Bali », qui reprend les conclusions du 4e rapport d’évaluation du Groupement intergou- vernemental d’experts sur l’évolution du Climat (GIEC). Celui-ci préconise pour les pays indus- trialisés de l’Annexe I de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique une réduction de 25 à 40 % des émissions par 1 rapport au niveau de 1990 d’ici 2020 , ceci afin d’atteindre un pic d’émissions en 2015 qui per- mettra une transition vers les 80 % à 95 % de réduction jugés nécessaires d’ici 2050 pour stabi- liser les concentrations atmosphériques de gaz a effet de serre au niveau de 450 ppm d’équivalent dioxyde de carbone et limiter l’augmentation de la température moyenne à 2°C.

Que propose la Commission ?

Pour maintenir le leadership communautaire sur la question du climat établi dans le cadre du processus de Kyoto, la Commission reprend la proposition du Conseil, qui témoigne à travers l’objectif unilatéral de réduction de 20 % de la fermeté de l’engagement européen et marque – en proposant sans en préciser toutefois les modalités un ajustement jusqu’à 30 % en cas d’accord international –, le souhait de l’Europe d’aboutir à un accord international permettant une stratégie plus ambitieuse.

Concrètement cette position s’exprime dans deux textes du Paquet « Climat et Énergie » du 23 janvier 2008 : le projet de décision sur le par- tage de l’effort2 entre les États membres et le projet de modification de la Directive 2003/87/ CE3 qui régit le fonctionnement de l’actuel mar- ché européen du CO2. L’effort communautaire minimal de 20 % est réparti de façon asymé- trique entre les industriels soumis au Système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE) – qui représentent environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union – et les autres sources d’émission. Soit des réduc- tions respectives de 21 % et 10 % par rapport aux émissions de 2005. En cas d’adoption d’un objectif de réduction communautaire de 30 %, l’effort du secteur SCEQE et des autres sources est accru proportionnellement, dans le respect de cette répartition asymétrique que la Commission justifie par l’argument selon lequel « le coût des réductions d’émissions dans [le secteur SCEQE] est moins élevé4 ». En contrepartie du renfor- cement de la contrainte, un recours accru aux crédits d’émission en provenance des États tiers ayant ratifié l’accord international sera autorisé, dans le respect toutefois de limites quantitatives et qualitatives relativement strictes.

État des lieux des négociations

Le rapport Hassi de la Commission ENVI sur le partage de l’effort entre les États membres pro- posait dans sa version préliminaire un objectif de réduction minimal de 30 %, révisable à la baisse en cas de retard ou d’échec d’un accord international5. Cette formule n’a été retenue ni dans la version adoptée le 7 octobre (qui préconise finalement 20 % puis un ajustement automatique à 30 %), ni dans le rapport Doyle sur la révision du SCEQE, lui aussi adopté le 7 octobre, qui propose un ajustement de même ampleur sans le qualifier d’« automatique ». La Commission ITRE recommande quant à elle de soumettre cet ajustement à la procédure de co-décision.

Le Conseil est également divisé sur le carac- tère automatique de l’ajustement (soutenu par la Finlande, le Danemark, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique et la Suède). Une majorité, incluant les pays dont l’effort de réduction est le plus important et les nouveaux États membres, y est opposée et souhaite une analyse appro- fondie des caractéristiques de l’accord interna- tional attendu puis la discussion des objectifs en co-décision, procédure à laquelle l’actuelle Présidence française est favorable sous réserve de conditions de délais strictes. Le Conseil est partagé aussi sur la condition préalable à l’ajus- tement de l’effort, qui pourrait être soit la ratifi- cation de l’accord par l’UE et ses États membres, soit l’entrée en vigueur de ce dernier6.

Une partie de nouveaux États membres (Hon- grie, Roumanie, Bulgarie, Lettonie, Pologne, Esto- nie, Slovaquie et, dans une moindre mesure la République Tchèque) s’oppose enfin fermement à la répartition des efforts supplémentaires sur la base des émissions de 2005 et souhaite qu’on prenne en compte les réductions intervenues depuis 1990.

Analyse des points de négociation

La stratégie proposée par la Commission pose deux niveaux de questions : 

en interne : quelles sont les modalités du passage de 20 % à 30 % ? 

en externe : quelles sont les attentes de l’Europe vis-à-vis de ses partenaires pour faire ce mouvement ? Et quelle marge de négociation se laisse l’Europe à Copenhague ?

1. Implications domestiques pour l’Europe et l’équilibre du paquet

Le passage de 20 à 30% est un saut quanti- tatif important pour l’UE. On peut d’abord se demander quelle devrait être la clé de réparti- tion entre un approfondissement des efforts de réduction à l’intérieur de l’UE et le financement d’efforts à l’extérieur par l’achat de crédits d’émissions. Dans le cadre d’un accord levant (ou pour le moins allégeant) la contrainte de compétitivité, l’Europe peut envisager de ren- forcer son effort interne pour moderniser son économie, chercher à faire la course en tête pour le développement des technologies pro- pres, et mieux encore préparer sa transition vers une économie décarbonnée. Elle peut au contraire chercher à diminuer le coût global de ses réductions d’émission à court terme en ouvrant plus largement ses frontières aux crédits internationaux et notamment, pour le SCEQE, aux crédits d’émission de type MDP. Cette seconde option envoie également un signal en matière de financement des actions dans les Pays en développement (PED), tan- dis que la première exige pour ce faire que l’Union puisse, dans le même temps, articuler une proposition sur la base des revenus des enchères. La réponse à cette question peut éga- lement impacter l’équilibre final de répartition de cet effort supplémentaire entre les indus- tries du SCEQE et les secteurs non couverts, aujourd’hui défini sur la base d’une vision essentiellement « domestique » des réductions d’émission attendues et des coûts induits (pas- sage de - 21 à - 37 % par rapport aux émissions 2005 pour les industriels sous quota d’émis- sion, de - 10 à - 16 % pour le reste de l’éco- nomie). Des demandes ont ainsi été formulées dans le sens de plus de flexibilité dans la répar- tition des efforts entre le secteur SCEQE et les autres sources. Les nouveaux États membres en particulier refusent une répartition de l’ef- fort sur la base des émissions de 2005 qui leur ferait perdre le crédit des réductions d’émis- sions intervenues au cours des années 90, et dont bénéficie le reste de l’Union7. L’éventua- lité d’un blocage du paquet par ces Etats et le revirement de l’Italie au dernier Conseil des Ministres font du traitement de ces questions un enjeu réel à moins de deux mois de la confé- rence de Poznan où l’Europe doit afficher toute la détermination et la crédibilité possible.

On notera ainsi parmi les évolutions les plus récentes que le Danemark a proposé des objec- tifs de réduction d’émissions sur la base d’une moyenne de 2 ou 3 années proches de 2005, mais aussi qu’à l’issue du conseil des ministres de l’Environnement du 20 octobre des « déroga- tions de périmètre, d’ampleur et de durée limi- tée » à la mise aux enchères intégrale des quotas du secteur de la production d’énergie pour « les situations spécifiques » (notamment en matière de degré d’intégration au marché européen de l’électricité) ont été envisagées.

2. Stratégie de négociation internationale

Le Conseil a rappelé que le passage de 20 à 30 % se ferait dans le cadre d’un accord inter- national assurant un effort « comparable » des pays industrialisés, et une « contribution adap- tée à leurs responsabilités et à leurs capacités respectives » des pays émergents.

Il existe plusieurs critères possibles pour comparer les efforts des pays de l’Annexe I : un niveau de réduction des émissions par rapport à une année de référence (généralement 1990 mais cela pourrait être 20058), une déviation par rapport à un scénario de référence9, un coût de réduction des émissions, un niveau de réduction des émissions nationales couplé avec un niveau de financement d’efforts à l’extérieur, etc.

Les derniers chiffres (non encore validés) du GIEC indiquent qu’il faudrait conjuguer 25 à 40 % de réduction dans les pays de l’Annexe I et une déviation de 15 à 30 % pour les PED par rapport au scénario de référence pour limiter le réchauffement à 2°C en 2050. Mais la question de l’adéquation est aussi une question économi- que et politique, qui cherche à évaluer l’intensité de l’action nécessaire dans les grands pays émer- gents afin que les pays de l’Annexe I renforcent leurs engagements (ou en prennent, dans le cas des États-Unis) sans préjudice majeur pour leur compétitivité. Cette question rejoint celle sur la différentiation des pays en développement. En effet, le passage de 20 à 30 % se fera en jugeant le niveau d’effort des six (au maximum) grands pays émergents les plus émetteurs ou considérés comme des concurrents économiques : l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Indonésie et la Russie. L’UE défend l’idée d’une différentiation non pas sur la base de critères quantitatifs (émis- sions, émissions par tête, PIB par tête...), mais sur la base des actions qui seraient engagées (objec- tifs sectoriels, portfolios de politiques et mesu- res...). La plupart des Parties du « groupe de l’om- brelle » proposent aussi d’orienter le débat sur la différentiation vers l’intégration de certains pays (Corée du Sud, Turquie, Singapour, Arabie Saoudite...) à l’Annexe I.

Les Ministres européens de l’environnement ont précisé à la fin du mois d’octobre10 que l’UE cher- che un accord conforme aux recommandations du GIEC et que 1990 serait l’année de référence par rapport à laquelle elle comparera les engage- ments de réduction d’émissions des autres pays à une réduction de 30% de sa part11. Malgré une référence à la déviation par rapport aux scénarios d’émissions, la contribution attendue des pays émergents n’est pas explicite -sauf pour les pays les moins avancés « ne devraient pas être soumis à des obligations de limitation des émissions ».

L’UE doit désormais définir en des conditions pour un passage à 30% qui laissent des marges de négociation (certaines de ses attentes vis-à-vis des partenaires internationaux semblant pour le moment inacceptables) et rester suffisamment réactive dans le processus de Copenhague pour adapter son niveau d’engagement, et ses propo- sitions de financement, en fonction des avancées de ses partenaires de négociation.

Malgré la nécessaire prudence qui incite à reje- ter tout engagement automatique, soumettre le passage de -20 à -30% à la procédure de co-déci- sion rend cette réactivité impossible, d’où une situation encore plus difficile pour aborder la négociation. À court terme, il faut donc envoyer des signaux sur le mouvement attendu des uns et des autres pour se placer sur une trajectoire de 30 % de réductions, et préciser la stratégie interne de mise en œuvre – notamment en affi- chant un maximum de crédibilité quant à la réa- lisation et l’ambition de l’engagement unilatéral de réduction de 20%.

 

 

1 Au niveau international les modalités de telles réductions sont en cours de discussion au sein du groupe de travail ad hoc du proto- cole de Kyoto (AWGKP), un autre groupe sur les « engagements de long terme » (AW-LCA) travaille de façon plus spécifique sur les engagements des pays qui n’ont pas encore d’objectifs quantitatifs contraignants.

2 « Proposal for a Decision of the European Parliament and of the Council on the effort of Member States to reduce their greenhouse gas emissions to meet the Community’s greenhouse gas emission reduction commit- ments up to 2020 » (ou ESD pour “Effort Sharing” Decision)

3 COM (2008) 16 final

4 MEMO/08/35, communication ayant pour vocation de répondre aux principales questions soulevées par le Paquet « Climat et Énergie ».

5 « Cela orienterait, d’entrée de jeu, la planification et les mesures de mise en œuvre adoptées dans les États membres de l’UE vers une réduction de 30 %. Il ne serait guère difficile de réduire cet objec- tif à l’avenir, si l’accord sur le climat pour l’après-2012 n’était pas conclu en temps utile. En revanche, si les États membres se prépa- rent et planifient des mesures en fonction d’une réduction globale des émissions de 20 % seulement, il sera nettement plus difficile de renforcer les mesures ultérieurement » [Hassi draft report]

6 Une approche consiste à envoyer un signal aux pays tiers et l’autre à prévenir les conséquences d’un accord jugé insatisfaisant du point de vue économique et environnemental. L’entrée en vigueur du protocole de Kyoto était conditionnée à sa ratification par un nombre d’États suffisants pour représenter 55 % des émissions des pays industrialisés et n’a ainsi été possible qu’après les concessions qui ont abouti à la ratification russe.

7 L’intégration des nouveaux États d’Europe Centrale et Orientale facilite le respect par l’UE de ses objectifs car elle partage le béné- fice de leur « air chaud » (objectif de Kyoto supérieur aux émissions réelles car calculé sur la base des émissions de 1990, date après laquelle les émissions ont chuté lors de la transition économique). La Hongrie avait fait une proposition visant a utiliser 1990 comme année de référence pour les prochains efforts de réduction d’émis- sion de l’UE mais n’a pas obtenu un soutien suffisant pour la faire aboutir.

8 Quand on retient l’objectif pris par les pays du G8 à Heiligendamm, qui est de réduire d’au moins 50 % les émissions globalement, et qui ne s’accompagne d’aucune année de référence, le fait de consi- dérer 1990 ou 2005 comme année de référence ne modifie pas significativement la concentration atmosphérique de GES en 2050. Ce passage a néanmoins de fortes conséquences distributives pays par pays et peut donc être utilisé comme un outil de négociation.

9 Pour les Parties, comme l’UE, qui ont déjà adopté et mis en œuvre une politique climatique, le scénario de référence n’a pas la même signification que pour les Parties qui n’ont pas encore entrepris d’efforts significatifs. Un même niveau de déviation par rapport au scénario de référence impliquerait donc des trajectoires très diffé- rentes.

10 Convention des Nations Unies sur les Changements Climatiques : préparation des négociations de Poznan, Conclusions du Conseil, (version provisoire) 20.X.2008.

11 Il est peu probable que les États-Unis (dont les émissions ont aug- menté de près de 20 % entre 1990 et 2005 alors que l’UE a stabi- lisé les siennes - en bénéficiant pour partie des conséquences de la transition économique dans l’ex-Allemagne de l’Est et plusieurs nouveaux États membres) s’engagent à une réduction de 30 % par rapport à 1990 de leurs émissions d’ici 2020. Au contraire, la Russie qui était déjà près de 30 % au-dessous de ses émissions de 1990 en 2005 devrait s’engager bien au-delà.

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