Lecture critique de la place donnée aux « solutions fondées sur la nature » dans les contributions déterminées au niveau national par les États.
Rappel : En amont de la COP21, et dans le cadre de la préparation d’un nouvel accord international sur le climat visant à limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C d’ici 2100, chaque État devait rendre publique une contribution décidée à l’échelle nationale, une « INDC » (Intended Nationally Determined Contribution). Outre les engagements en matière d’atténuation du changement climatique, ces contributions peuvent aussi contenir des intentions d’action concernant l’adaptation au changement climatique.
Alors que les écosystèmes sont souvent présentés essentiellement comme subissant les impacts du changement climatique, ils le sont de plus en plus aussi comme faisant partie de la solution, tant en termes d’adaptation que d’atténuation. Les INDC, à ce stade du processus, sont des engagements dont la forme reste relativement peu imposée, et de ce fait très hétérogènes d’un pays à l’autre en termes de précision et de concrétisation. Cependant, malgré le flou et le grand degré de liberté laissé aux Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC, ou Convention climat) pour spécifier leurs engagements, certaines ont spontanément prévu une place importante aux solutions fondées sur la nature (SFN) dans leurs INDC. Quelle est exactement la place faite aux écosystèmes, à la nature et à la biodiversité dans les INDC qui les mentionnent ? Quelles synergies sont prévues entre les politiques de protection et de restauration de la nature et les politiques climatiques ? De quelle manière la « nature » est-elle mise à contribution, et symétriquement comment les politiques climatiques sont-elles saisies comme le moyen de renforcer la protection des ressources naturelles ? Comment se positionnent les différents pays par rapport à cette question, quelles logiques sont à l’œuvre ?
L’analyse porte sur 131 INDC (dont une INDC unique pour l’UE) représentant 159 pays contributions, lues et analysées individuellement.
Elle se résume en 5 observations.
1. Les écosystèmes, tant au titre de l'atténuation que de l'adaptation, représentent un élément important dans une quarantaine d’INDC.
D’un côté, c’est peu (40 sur 159, soit un quart). De l’autre, on aurait pu s’attendre à bien moins, étant donné la relative nouveauté de la prise au sérieux de ces questions à ces niveaux politiques. Au moins 30 pays précisent dans leurs contributions des mesures d’adaptation et d’atténuation du changement climatique faisant usage, de différentes manières, du potentiel que représente, pour cela, une meilleure gestion des forêts, des zones humides, des écosystèmes littoraux, voire du milieu marin. Le plus souvent, il s’agit de mesures de conservation des espaces naturels. La manière précise dont ces mesures devraient contribuer à l’atténuation n’est pas explicitement définie dans les INDC. Implicitement, on peut supposer qu’il s’agit d’une part d’infléchir des tendances au changement d’affectation des sols, qui auraient produit des émissions supplémentaires : déforestation, intensification agricole (et utilisation d’engrais), assèchement et oxydation du carbone contenu dans les tourbières, etc. Symétriquement, l’extension des aires protégées est, le plus souvent, justifiée par le rôle de puits de carbone des forêts. Le rôle des espaces naturels et des espaces boisés dans l’adaptation est plus évident, par la résilience préservée de ces zones face aux sécheresses et inondations, et aux variations climatiques en général. Certaines de ces mesures consistent à simplement conserver des zones déjà protégées, mais, dans certains cas, les contributions prévoient d’étendre la surface d’aires protégées. Dans quelques INDC, on trouve même des mesures de restauration écologique prévues pour reconstituer des stocks de carbone, et pour assurer une utilisation plus durable des ressources naturelles pour le développement et le bien-être social. À cela, il faut ajouter 11 pays qui prévoient des mesures précises visant à contrôler le changement d’usage des sols, en limitant les tendances à l’intensification et aux changements générateurs de risques accrus (en synergie entre adaptation et atténuation). Au total, une quarantaine de pays ont placé les « solutions fondées sur la nature » (SFN) en position très visible dans leur INDC.
2. Les solutions fondées sur la nature pour les politiques climatiques sont surtout mentionnées dans les INDC de pays en développement ou émergents.
La Chine et le Mexique, en particulier, apparaissent comme des « champions » des solutions fondées sur la nature. À ce stade du processus, les INDC des pays du Nord s’engagent principalement sur des résultats en termes d’émissions, et détaillent peu les programmes et mesures qui seront entreprises. L’Union européenne, notamment, ne spécifie que des résultats à atteindre, et non les programmes et mesures à mettre en œuvre, qui restent à la discrétion des États membres. De ce fait, on retrouve une forme de clivage Nord-Sud dans la rédaction des INDC concernant les SFN. Mais ce clivage concerne les objectifs et résultats attendus, pas nécessairement la mise en œuvre. Ce seront les programmes et mesures effectivement appliqués par les pays qui donneront aux SFN leur vraie place politique.
L’Afrique et l’Amérique latine sont les continents où les INDC contiennent le plus grand nombre et détails de SFN. Les pays développés les plus précis sont le Japon et la Nouvelle-Zélande, qui détaillent un programme visant à contrôler le changement d’usage des sols pour lutter contre le changement climatique, ce qui est plus usuel dans les préoccupations de la CCNUCC, même si cela ne faisait pas partie des obligations du protocole de Kyoto.
En tout état de cause, cette « polarisation relative » de certaines INDC autour de cette question relance la question de l’opportunité d’organiser la négociation et la mise en œuvre des politiques envisagées via des « clubs » de pays leaders de certains types d’initiatives. En l’occurrence, une sorte de « club des pays utilisateurs de leur capital naturel » pourrait impulser une dynamique plus étendue et approfondie dans ce domaine. On peut aussi espérer que l’accord de Paris permettra de s’appuyer sur ces pays pour lancer une dynamique d’apprentissage sur ce sujet à l’échelle de toute la communauté internationale.
3. Les mesures les plus fréquentes et développées sont forestières
Une vingtaine de pays, parmi les trente les plus complets en matière de SFN, détaillent essentiellement des mesures forestières. Ce sont des mesures de conservation, mais aussi de restauration des forêts. La conservation est alors comptabilisée comme le moyen d’éviter de la déforestation par rapport à un scénario tendanciel, dans une perspective somme toute assez courante pour la CCNUCC (dispositif REDD+). La restauration, quant à elle, est généralement programmée sous la forme d’afforestation des forêts continentales, parfois soutenue par le dispositif REDD+, et plus rarement par des projets d’extension d’aires protégées. Dans quelque cas, au chapitre de la synergie entre atténuation et adaptation, la restauration de mangroves est aussi mentionnée.
Les dix pays restants prévoient, en plus des mesures forestières, des actions sur les écosystèmes aquatiques (rivières et plans d’eau, zones humides en général), au minimum via une « gestion intégrée » de bassins versants et de zones humides, et jusqu’à des actions quantifiées de restauration de zones humides. Enfin, quelques pays (Mexique, Côte d’Ivoire, Maroc, Comores) prévoient, en outre, des mesures de protection et de restauration des écosystèmes côtiers et marins.
Il est enfin à noter que, contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, la très grande majorité des actions annoncées ne recourent pas à des mesures d’aménagement intensif, d’ingénierie écologique mal dirigée (telles que plantations d’arbres de rendement, etc.). Elles ne sont pas explicitement exclues, mais les SFN mises en avant sont majoritairement des mesures de conservation et de restauration compatibles avec une politique de préservation de la biodiversité.
4. La synergie entre la mise en œuvre des Conventions climat, biodiversité et désertification est en perspective, mais elle est pour l’instant à peine ébauchée
Les synergies entre les conventions et les politiques environnementales associées (par ailleurs encouragées dans les indications [guidelines] fournies pour l’élaboration des INDC) sont mentionnées dans plusieurs INDC recourant aux écosystèmes, notamment celles du Maroc, qui les identifie explicitement, et de l’Éthiopie qui, de plus, identifie des synergies avec les objectifs de développement durable (ODD). Ces éléments témoignent d’un intérêt pour des liens renforcés au sein du régime climatique global. Cependant, à ce stade et compte tenu du caractère synthétique de l’exercice, elles restent simplement évoquées et ébauchées, mais pas encore précisées, ni en termes de mise en œuvre ni en termes de gouvernance. Les financements prévus, ou réclamés, sont très inégalement détaillés.
5. Vers un tournant historique dans la manière de considérer les solutions fondées sur la nature ?
L’un des points remarquables de la contribution de ces quarante pays est qu’elle associe le plus souvent l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, à travers ces SFN. Celles-ci ne sont pas présentées comme un moyen de focaliser l’action de ces pays sur l’adaptation, mais conçues comme des synergies entre atténuation et adaptation, ce qui fait naître la perspective d’une « réconciliation » des politiques climatiques avec celles des sols, de l’agriculture, de la forêt, du littoral et du milieu marin. Il est bien entendu trop tôt, à ce stade, pour se prononcer sur la réalité concrète de cette synergie : elle dépendra de la mise en œuvre. Il est encourageant que de nombreux pays aient l’aient identifiée dans leurs contributions malgré des guidelines non exhaustives sur le sujet. On peut néanmoins d’autant plus regretter l’absence presque totale de ces enjeux dans les INDC des pays du Nord. Mais on peut espérer aussi que l’émergence d’un groupe de pays en pointe, au moins intentionnellement, sur ces sujets, pousse à une reconnaissance croissante de l’importance de telles options.
NB. Liste des 30 INDC les plus précises en termes de SFN : Chine, Mexique, Maroc, Bolivie, Colombie, Guinée Équatoriale, Éthiopie, Comores ; Côte d'Ivoire, Ouganda, Guinée, Lesotho, Bhoutan, Belize, Géorgie, Niger ; Argentine, Algérie, Chili, Tunisie, Cap-Vert, Gabon ; Japon, Bénin, République démocratique du Congo, République dominicaine, Kenya, Nouvelle-Zélande, Trinité-et-Tobago, Grenade.
Avec la collaboration de Rémy Ruat, Chargé d’études (Iddri).
Vidéo Iddri d’explication didactique sur les liens entre biodiversité et changement climatique