Cette année marque le 10e anniversaire de l'Accord de Paris sur le climat, une étape clé dans la mise en œuvre de ce traité international, à mi-parcours de la « décennie décisive » (2020-2030) pour limiter la hausse des températures à moins de 2 °C (et possiblement à 1,5 °C), et alors que se profile la 30e COP de la Convention climat des Nations unies en novembre prochain au Brésil. Dix ans après la COP 21 de Paris, dans un contexte de vives tensions internationales, de méfiance à l'égard du multilatéralisme et de rejet des politiques climatiques, et tandis que les impacts délétères du changement climatique se font toujours plus sentir partout dans le monde, il est nécessaire de prendre du recul et de dresser un bilan objectivé de ce que l’accord a permis – ou pas – de réaliser, afin de nourrir les débats sur l’action climatique passée, présente et future. Impliqué dans la conception même de l’Accord de Paris, et observateur de sa mise en œuvre sur le terrain au fil des années, l’Iddri s’attèle à cette tâche, sur la base d’une lecture analytique des principes fondateurs de l’accord, dans le but d'identifier ses effets, ses forces et ses faiblesses, les progrès et les limites de ce que les parties signataires en ont fait, et les domaines d'action prioritaires pour les années à venir.

Quatre principes clés

L’Accord de Paris sur le climat repose sur 4 piliers fondateurs, pensés pour permettre l’atteinte de ses objectifs. Ces piliers, ou principes, et l’analyse des preuves de leur mise en œuvre, sous-tendent le bilan opéré par l’Iddri. Un Document de travail qui détaille ces éléments de bilan est publié ce jour (Iddri, 2025) pour inviter la communauté des experts et des acteurs à compléter ce bilan, à le mettre en discussion, afin de consolider les éléments d’objectivation et de preuve et les points clés d’un diagnostic pour préparer l’avenir.

En réaction au protocole de Kyoto, articulé autour d’une division des pays en catégories plus ou moins concernées par l’action climatique, l'universalité de l'Accord de Paris acte une menace climatique globale et une responsabilité partagée. Elle consiste à garantir les efforts de tous (chacun ayant intérêt à inscrire son action dans un projet global), et en coopération, dans la lutte contre cette menace. Dans ce cadre, néanmoins, les responsabilités ne sont pas les mêmes pour tous, et des dispositions permettent ainsi une flexibilité pour tenir compte des « responsabilités différenciées et des capacités respectives, à la lumière des différentes situations nationales ».

In fine, sur la base de l’objectif d’un monde résilient et décarboné permettant de limiter la hausse des températures, l’Accord de Paris intègre une nouvelle vision de la société et de l'économie, autour de laquelle les anticipations des différents acteurs, publics et privés peuvent s’aligner. Au-delà des profonds changements dans les modes de production et de consommation, il projette un avenir plus équitable et prospère pour tous, soit un développement effectivement durable.

Conçu sans date d’expiration, l’Accord de Paris fournit ainsi à tous les acteurs, qu’ils soient publics ou privés, une direction de long terme, qui leur permet d’aligner leurs actions et leurs financements sur un horizon commun, et partagé. Le court terme est au service du long terme, les acteurs sont encouragés à concevoir leurs stratégies en ce sens, celui d’un cap clairement dessiné.

Enfin, l’Accord de Paris reconnaît la nature systémique et transversale de l'action climatique. Tous les secteurs et domaines de politiques, ainsi qu’un large éventail d’acteurs, qu’ils soient publics ou privés, internationaux ou locaux, sont concernés. C’est pourquoi les objectifs généraux de l’accord doivent être déclinés et répercutés aux niveaux national et sectoriel et impliquer toutes les parties prenantes (gouvernements, entreprises, institutions, société civile, etc.). Ce qui nécessite, outre une direction de long terme, une gouvernance efficace, des feuilles de route spécifiques à chaque secteur et l'alignement des actions dans les domaines politique, financier, etc.

Une évaluation sur la base des 4 piliers fondateurs de « l’esprit de l’Accord de Paris » : le verre à moitié plein ?

L’Accord de Paris a créé l'espace juridique et politique nécessaire à une action mondiale coordonnée, conçu pour guider, catalyser, et créer une dynamique, en particulier au sein des processus nationaux, également directement entre les secteurs, les institutions et les citoyens. In fine, l'impact est visible : la trajectoire de hausse des températures d’ici la fin du siècle est passée de +4 °C à +2,1-2,8 °C.

Les objectifs de décarbonation de l'Accord de Paris sont devenus une boussole qui guide les gouvernements, les territoires, les entreprises et les citoyens : tous ont largement adopté des objectifs de neutralité carbone. Peu de secteurs et de domaines politiques ne sont pas concernés par la réduction des émissions ou l’adaptation aux impacts du changement climatique. Une économie verte a aussi émergé, marquée notamment par la croissance des énergies renouvelables et la mobilité électrique, la baisse des coûts de ces technologies ayant été portée par la convergence des anticipations autour de l’horizon de long terme défini par l’Accord de Paris, autant qu’elle a elle-même permis la diffusion des objectifs de l’accord dans les politiques des pays et les stratégies des entreprises. L’essor de l’économie verte s’incarne également dans le renforcement de la bioéconomie et une reconfiguration des chaînes de valeurs autour des minerais critiques, dont les impacts in fine sur le développement durable sont encore à évaluer. 

Des progrès collectifs ont dont été accomplis, mais les résultats sont encore insuffisants : la trajectoire des températures reste éminemment dangereuse. Les mesures d’adaptation ne sont pas à la hauteur, même face à un réchauffement climatique limité dont les impacts se font déjà sentir notamment via la multiplication des catastrophes naturelles, et le cadre de coopération établi par le traité n’a pas permis jusqu’à présent d’avancées substantielles. Si la transformation structurelle des économies (structures de production) et des modes de vie (structures de consommation) est en cours, elle reste incomplète, inégale, et trop lente au regard des ambitions. Les résistances au changement et les inégalités dans le partage des coûts de la transition et des bénéfices de cette nouvelle économie entravent les progrès. Trop souvent, la nouvelle économie se superpose à l’économie traditionnelle sans la remplacer. Si atteindre l'objectif de 1,5 °C reste possible, cela demanderait des réductions d’émissions ambitieuses et des changements structurels profonds dans les dix prochaines années. 

Un autre domaine où les avancées ne sont pas à la hauteur des attentes est l’alignement de la finance et la mobilisation des financements et autres moyens de mise en œuvre, plus particulièrement des pays développés vers ceux en voie de développement. En conséquence de ce dernier aspect, un climat d’ambiguïté et de méfiance s’est installé et limite la mise en œuvre effective de l’Accord de Paris et de ses objectifs. Au-delà des dimensions essentielles d'équité et de confiance, l’enjeu de l’alignement des flux financiers et de mobilisation des capitaux privés est de taille et demande d’activer des leviers d’action largement au-delà de la communauté climatique. Les mécanismes de redevabilité des actions attendues ne sont pas évidents à mettre en place et les frictions vis-à-vis des autres communautés, notamment de développement, importantes.

Malgré ses imperfections et les changements géopolitiques intervenus depuis 2015, l’Accord de Paris et la théorie du changement qui le sous-tend, fondée en premier lieu sur la science, se sont montrés résilients jusqu’à présent et restent un cadre multilatéral viable pour atteindre les objectifs climatiques. Mais la dynamique d’action est fragile, avec des signes précurseurs d'un affaiblissement de l’universalité des engagements et un suivi insuffisant dans la mise en œuvre des décisions prises, tant en matière d'atténuation que d'adaptation ou de financement. De même, si les acteurs non-étatiques (entreprises, société civile, notamment) jouent un rôle croissant, les efforts volontaires manquent souvent de robustesse, de cohérence et de mécanismes de redevabilité.

Le cadre international de l’action climatique doit évoluer. Il doit être renforcé tant au niveau de la coordination entre niveaux de gouvernance, d’acteurs, et de domaines de politiques publiques, que de la responsabilité politique à court terme (les démarches ambitieuses étant souvent remises à plus tard) et de l’intégration plus centrale du développement durable et de la justice dans les stratégies climatiques. Cela nécessite un changement de braquet en termes de leadership politique et de solidarité, au niveau national comme à l’international, au moment même où les tensions politiques entre pays et au sein des sociétés sont au plus haut.

Comment progresser ?

L’Accord de Paris constitue un cadre d’action valide et opérationnel, qui a permis à une dynamique collective d’exister, entre États et avec les autres parties prenantes, même si sa vitesse et sa force restent insuffisantes. Ce cadre d’action collective a même prouvé sa résilience face à une série de crises inédites. Mais des améliorations sont nécessaires, notamment en termes de gouvernance, d’autant plus cruciales que l’existence même de règles communes et de formes de coopération multilatérale est actuellement remise en cause. Il est de la responsabilité collective de déclencher des changements dans quatre domaines d’amélioration en particulier – des domaines auxquels l’Iddri s’attelle et compte continuer à contribuer activement dans les mois à venir. Ce sont des domaines pour lesquels le leadership politique de la présidence de la COP 30 jouera un rôle clé, appuyé par les pays, les acteurs économiques et la société civile pour lesquels une coopération multilatérale renforcée est indispensable :·

1) soutenir une meilleure mise en œuvre, à la fois par une meilleure coordination des efforts climatiques au niveau international et par la résolution des obstacles à la mise en œuvre au niveau national ;

2) placer le développement et la nature au centre de l'action climatique, des décisions, des investissements et des évaluations des performances, notamment dans le cadre d'une coopération internationale plus stratégique comme nouvelle forme de garantie de l'équité et de transition juste partout dans le monde ;

3) garantir une plus grande différenciation selon les capacités des pays, condition nécessaire pour réduire les risques de détérioration du principe d'universalité de l’Accord de Paris et sa résilience, en particulier en cette période de turbulences géopolitiques – c’est un domaine dans lequel le G20 a un rôle clé à jouer ;

4) garantir que l'orientation à long terme fournisse des repères clairs pour la responsabilité et la redevabilité des acteurs à court terme et l'obligation politique en matière d'atténuation et d'adaptation, tant pour les Parties que pour les acteurs non-étatiques.