Après de long mois d’attente, la Commission européenne a présenté sa proposition d’amendement à la loi climat européenne pour définir l’objectif 2040 à -90 % d’émissions nettes de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Cette proposition, dont le calendrier de discussion rapide proposé fait l'objet d'ardents débats est émise dans un contexte politique transformé par la montée des questions de compétitivité industrielle de l’UE, de résilience et de sécurité, et les conséquences du nouveau retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat. Elle réaffirme pourtant l’engagement de l’UE dans la lutte contre le changement climatique, à un moment charnière pour les négociations internationales en la matière. Les éléments sont désormais posés pour permettre à l’UE de s’accorder sur sa contribution 2035 en amont de la COP 30 et envoyer un signal clair au-delà de ses frontières. La proposition de la Commission introduit aussi le recours possible à des flexibilités, proposées avec certaines limites, et dont la mise en œuvre devra être clarifiée pour garantir la visibilité du cap de décarbonation pour les acteurs économiques européens, en particulier pour l’industrie européenne, dans la réforme du paquet législatif post-2030 dont le débat va s’engager à la suite de l’amendement à la loi climat.

Une proposition nécessaire pour le positionnement de l’UE à l’international

La proposition d’amendement à la loi climat 2040 présentée le mercredi 2 juillet dernier avec six mois de retard sur le calendrier prévu fait aboutir un processus prévu par la loi climat (Iddri, 2024) et une promesse faite par la Commission Von Der Leyen 2 de fixer un cap à cette échéance à partir de l’avis scientifique de l’European Scientific Advisory Board on Climate Change1. Ce signal est nécessaire pour préparer la contribution de l’UE aux négociations climat alors que le temps presse, l’échéance de l’UNFCCC pour présenter ces contributions déterminées au niveau national (NDCs) ayant déjà été repoussée de février à septembre 2025. 

Dans ce cadre, la proposition de la Commission permet de fixer les termes du débat sur l’objectif d’atténuation du changement climatique de l’UE pour 2035 en montrant, comme évoqué dans l’avis de l’ESABCC, l’importance d’aller plus loin qu’une trajectoire linéaire entre l’objectif 2030 consacré dans l’ensemble du paquet -55 % et l’objectif de neutralité climatique à 2050 qui aboutirait à un objectif de réduction de -66 % pour 2035. C’est important économiquement, par la reconnaissance que les efforts de décarbonation ne sont pas équivalents en termes de coûts et temporalité et qu’ils se complexifient au fur et à mesure que les actions les plus faciles ou immédiates sont opérées. Un objectif plus faible risquerait de retarder la décarbonation dans des secteurs réputés difficiles à décarboner (industrie, agriculture), alors même qu’ils nécessitent des transformations de long terme ; ne pas les transformer aujourd’hui reviendrait donc à renoncer à l’objectif de neutralité climatique ou à rendre plus chères ces transformations retardées. 

Cette trajectoire de transformation doit, pour être crédible et réussir, s’accompagner d’ajustements du cadre économique et réglementaire forts alors même que les possibilités de réformes dans ce domaine se sont réduites et les débats internes à l’UE avancent lentement et sont percutés par les crises géopolitiques. Néanmoins, de tels blocages sont contreproductifs tant un signal visible et clair de l’engagement concret des Européens est crucial pour la dynamique multilatérale et dans l’intérêt d’une UE dont la trajectoire de décarbonation porte l’assurance de sa sécurité et de sa compétitivité à long terme2. En cela, la proposition de la Commission d’introduire des flexibilités, et notamment des crédits internationaux après 2035, permet à la fois de reconnaître le contexte et d’assurer les conditions pour avancer rapidement vers une proposition des Européens pour la COP 30.

Maintenir un cap clair pour les acteurs économiques européens dans le paquet post-2030

En proposant l’objectif de -90 % pour 2040, la Commission lance aussi la discussion sur l’adaptation du cadre réglementaire post-2030, sans rester sourde aux arguments sur le rythme de décarbonation posés dans le débat par certains acteurs économiques, par l’intermédiaire de l’introduction de flexibilités. Alors que l’UE, et en particulier l’industrie européenne, sort d’une crise énergétique inconnue depuis 40 ans en raison de l’invasion de l’Ukraine et est malmenée par la concurrence internationale et la recomposition des alliances, le rythme de la transition pour les différents secteurs est devenu le cœur du débat politique. L’amendement à la loi climat ne peut néanmoins par essence qu’apporter des briques sans assumer toute la réponse à cette question au risque de brouiller le signal pour l’économie européenne. 

Le principal enjeu réside dans l’avancée de mesures soutenant l’accélération de la transition dans le cadre du Pacte pour une industrie propre3, le cadre de financement de la transition européenne et les différentes réglementations sectorielles qui doivent être révisées. Il est ici important de garder comme boussole que la réussite de la décarbonation tient tout autant sinon plus à la réussite de l’émergence de nouvelles filières économiques qui attendent des signaux clairs que de l’accompagnement aux industries d’hier. En bref, l’UE doit travailler à une véritable stratégie industrielle, réclamée par le rapport Draghi, mais qui tarde à prendre corps dans des mesures concrètes.

À ce titre, les flexibilités proposées par la Commission doivent être évaluées et s’insérer dans le cadre européen de législations plus larges qui interviendra dans un deuxième temps, les conditions posées par la Commission dans la proposition permettant d’organiser ce débat par la suite, une fois l’amendement à la loi climat adopté. Dans le détail, ces flexibilités sont de trois ordres : ouvrir la possibilité au recours à des crédits internationaux qui pourraient être comptabilisés à hauteur de maximum 3 % à l’objectif 2040, inciter à l’élimination du CO2 atmosphérique en Europe, et introduire plus de flexibilité sur la contribution entre secteurs économiques. Le risque d’ouvrir ces débats est bien la dilution de l’incitation à réduire les émissions pour les acteurs économiques en Europe et demande de reconfirmer rapidement les attentes pures de réductions d’émissions en Europe qui doivent rester la priorité pour sécuriser les investissements dans l’économie bas-carbone. 

Si l’on prend le cas des crédits internationaux, un accord politique sur la répartition entre les efforts domestiques et internationaux sera nécessaire dans le cadre du paquet de mesures à venir pour confirmer l’approche prudente de la Commission (à partir de 2036 et 3 % en 2040), mais aussi la trajectoire autour de ces 3 % qui influera sur le montant total de crédits autorisés par l’UE. Quelle part autorisée entre 2036 et 2039 ? L’objectif de neutralité climatique à 2050 étant très clairement établi au niveau domestique, la contribution des crédits ne peut donc être que temporaire. Il est aussi important de rappeler que la contribution des crédits internationaux à l’objectif -90 % s’oppose à l’avis scientifique de l’ESABCC qui, tout en reconnaissant la valeur de ces crédits, considère qu’ils sont un moyen pour l’UE d’assumer sa responsabilité historique dans les émissions de GES et qu’ils ne devraient pas être comptabilisés dans la cible de -90 %. 

Autre sujet lié, la question de la qualité de ces crédits est essentielle pour la crédibilité environnementale de l’UE et ce d’autant plus que l’historique de l’utilisation des crédits en Europe sous le protocole de Kyoto n’est pas reluisant. Comment garantir l’additionnalité de ces crédits ? L’UE devra ouvrir un débat sur un cadre institutionnel permettant de garantir l’engagement de n’accepter que des crédits de haute qualité environnementale et de définir leur mode de financement. Une première condition est de lier ce sujet à une diplomatie climatique visant à encourager des NDCs ambitieuses dans le cadre de l’Accord de Paris, sur la base desquelles l’additionalité serait évaluée. En outre, des critères environnementaux ambitieux pourraient permettre que le recours aux crédits constitue une brique décisive dans des accords économiques autour de la décarbonation entre l’UE et ses partenaires, vision développée dans la proposition de Clean Trade and Investment Partnerships (CTIPs)4

Sur le sujet de l’élimination du CO2 atmosphérique, son introduction dans l’Emissions Trading System (ETS) pourrait faciliter le développement des technologies de capture, mais là encore, la qualité environnementale sera centrale et implique une notion de permanence de la captation et la prise en compte de seuils de durabilité (Iddri, 2024) : quelles technologies de capture CO2 seront autorisés ? Y aurait-il des flexibilitésentre les émissions industrielles et le secteur de l’usage des terres ? La proposition de la Commission ouvre ici un débat nécessaire sur les impacts systémiques via par exemple la disponibilité de la biomasse et son utilisation dans une Europe bas-carbone.

Quant au principe de transfert de contributions entre secteurs économiques et de spécificités des États membres, il pose différentes questions sur l’évolution du système économique : faudra-t-il changer le périmètre sectoriel ou encore fusionner les ETS? Garder ou non des objectifs nationaux, et si oui, pour quels secteurs ? Autant de dimensions dont il faudra débattre une fois les conditions en place pour accélérer la décarbonation de l’économie européenne dès aujourd’hui.