Les négociations internationales pour un traité mondial visant à mettre fin à la pollution plastique, qui se sont tenues du 5 au 14 août 2025 à Genève, se sont terminées par un échec. Dans cet insuccès, beaucoup voient le fait d'un processus mal conduit, recourant à une méthode qui a mené à la confusion et à la méfiance réciproque ; on a noté également l'absence d'un leadership efficace dans la conduite des travaux. À quoi on pourrait ajouter le contexte d'un multilatéralisme déprimé et l'absence d'une vision consensuelle du bien commun entre États telle qu'elle a pu s'exprimer par exemple lors de la négociation du Protocole de Montréal1 ou de la Convention de Bâle à la fin du siècle précédent. Comment réexaminer les causes plus profondes de cet échec et les options qui pourraient rester ouvertes ?

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     Voir Richard Eliot Benedick "Ozone Diplomacy : New Directions in Safeguarding the planet". Harvard University Press, 1988

Il est vrai que la méthode employée pour mener les travaux, le recours à des groupes de contact invités en permanence à additionner les apports plutôt qu'à exprimer des visions communes a conduit, y compris à la réunion de Genève qui aurait dû être conclusive, à multiplier la production de textes intermédiaires chargés d’amendements et de crochets. Cela incarne le syndrome du « droit bavard » tel que pointé à plusieurs reprises en France par le Conseil d’État : ces textes ne pouvaient en aucun cas servir de base à la recherche d'accords, mais à l'inverse prolongeaient l'accumulation et la mise en scène des désaccords. Bref, le processus tel qu'il était conçu a conduit à la multiplication des dissensus et jamais à la recherche des compromis.

Pour autant, les causes de cet échec ne peuvent certainement pas être réduites à une diplomatie environnementale déficiente.

Les limites planétaires en droit international ?

En l'occurrence, il ne s'agissait rien de moins et d'une façon innovante dans le droit international de l'environnement, que de donner une traduction opérationnelle au concept de « limites planétaires » ou encore à la « Doughnut Economics »2 qui se veut une illustration renouvelée de la vision du développement durable.

La pollution plastique fait partie depuis 2015 des neuf limites planétaires décrites par les travaux de Johan Rockström et ses équipes. Elle figure parmi les « entités nouvelles introduites dans la biosphère » et accuse un niveau élevé de dépassement des limites planétaires.3

Les travaux de l'OCDE ont montré4 que le rythme de production du plastique primaire et des produits plastiques est insoutenable. En effet, ni les méthodes de l'économie circulaire ni les dispositifs de gestion des déchets, y compris le recyclage, même améliorés à moyen terme, ne sont en mesure, bien au contraire, d'endiguer, de réduire et encore moins d'éliminer la pollution plastique à l'horizon 2040. Ceci est d’autant plus vrai que la libération de particules plastiques dans l’environnement a lieu tout au long du cycle de vie produit, et non uniquement quand un déchet plastique se retrouve dans la nature, avec des effets sur la santé des écosystèmes et des humains qu’on ne sait pas mesurer aujourd’hui.

Avec une production plastique passant de 475 millions de tonnes (Mt) en 2020 à 736 Mt en 2040, le volume de déchets mal gérés passerait de 81 Mt à 119 Mt et les fuites dans l'environnement de 20 à 30 Mt par an.

L'OCDE recommande en conséquence d'organiser dès à présent la décrue de la production plastique. En outre, les questionnements se multiplient quant à l'efficacité du recyclage et à ses effets délétères sur l'environnement, qui ne pourra apporter qu'une contribution limitée à la réduction de la pollution finale. 

Limiter la production : une question redoutable de gouvernance économique

C'est sur ces bases, et à partir d'un mandat de l'Assemblée des Nations unies pour l'environnement (ANUE) plutôt ambitieux, en tant qu'il couvre la totalité du cycle de vie du plastique, que la coalition de Haute Ambition menée par des pays africains, européens, latino-américains et du Pacifique, a soutenu une vision ambitieuse du champ d'application des principes et des futures règles et prescriptions du projet de traité, appelant à se fixer des objectifs de maitrise de la production et des usages du plastique et à contrôler les additifs utilisés en adoptant des listes de substances indésirables.

À cette position s’est opposé un groupe de « Like Minded Countries » mené par l'Arabie saoudite, la Russie et l'Iran, avec le soutien du groupe de la région Arabe, de pays producteurs d'hydrocarbures et désormais des États-Unis, qui entendait limiter le champ du traité à la conception des produits plastiques et à la gestion des déchets tout en l'accompagnant de mesures financières destinées aux pays en développement.

La Chine, l'Inde et le Brésil se sont efforcés de jouer un rôle de conciliation sans y parvenir. Et il est douteux qu'ils signeraient un traité séparé mené par la coalition, une solution parfois évoquée par des ONG pour sortir de l’impasse mais qui laisserait trop de pays à l’extérieur.

D'une certaine manière, on revit avec le traité plastique, mais à grande échelle, les difficultés de la Convention climat lorsque celle-ci cherche à traiter des questions d'énergies fossiles. Il a fallu plus de 30 ans pour que le terme soit enfin évoqué dans une déclaration de la COP. Aborder d’emblée les questions de production et d'usages du plastique dans le cadre d'un traité contraignant n'allait pas de soi pour les pays producteurs. Il en ira de même à l'avenir pour toutes les composantes économiques de la transition et les pays vertueux d’aujourd’hui ne seront pas nécessairement ceux de demain.

Ceci donne à réfléchir quant à une gouvernance internationale qui pourrait être adaptée à la réintégration de l'économie dans les limites de la planète. Il est évident que nombre de pays ne sont pas disposés à négocier de telles questions dans un cadre environnemental comme celui du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) ou d'accords multilatéraux sur l'environnement. D’autres commencent à agiter l’idée d’une indemnisation pour perte de production.

De plus, la maîtrise de la production et des usages telle qu'envisagée dans le cadre du traité plastique implique des changements dans la gouvernance économique nationale qui, ces dernières décennies, était plutôt orientée à la libéralisation qu'à la planification. La plupart des États ne disposent pas des outils nécessaires à la planification de la production et beaucoup seraient réticents à s'y engager. La question plastique vient s'ajouter à d'autres thèmes de la transition comme par exemple les changements nécessaires dans l’économie agricole pour réduire les besoins d’énergie et d'eau, illustrant le besoin d'innovation dans la gouvernance de la transition.

De ce point de vue, la France a montré une voie originale avec la création du Secrétariat général à la Planification écologique. Il faut maintenant accomplir ces réformes de gouvernance au niveau international. Néanmoins, les maigres acquis du Forum politique de haut niveau, rendez-vous annuel onusien chargé de suivre et examiner la mise en œuvre des ODD, montre que la tâche ne sera pas aisée. La transition ne peut être conduite à partir des seules instances environnementales, mais l'approche intégrée, incluant les enjeux économiques, sanitaires et sociaux est encore à concevoir lorsqu'il s'agit des Nations unies.

Quelles suites pour la négociation
plastique ?

Quant à la suite de la négociation plastique, on peut au moins avancer que poursuivre les travaux du Comité intergouvernemental de négociation (INC) avec les méthodes utilisées à Busan (en novembre 2024) et à Genève (en août 2025) ne peut conduire qu'au même résultat.

En vue de la prochaine ANUE, prévue en décembre 2025, certains pays seraient prêts à reformuler le mandat, ou tout au moins à préciser sinon le champ, du moins le contenu des processus. Mais d’autres s’inquiètent à l’avance des risques associés au retour devant l’ANUE.

Jusqu'ici, la tentation dominante a été de produire un traité très ambitieux en champ couvert et en obligations. La discussion en a été complexifiée et étendue à l'infini sans pouvoir aboutir.

Ne faut-il pas mieux distinguer ce qui relève du droit international d'une part et des décisions politiques de l'autre ? De ce point de vue, la Convention sur la diversité biologique pourrait constituer une référence avec d’une part son cadre juridique dont l'orientation est claire, et d’autre part des plans d'action pluriannuels tels que ceux prévus par l’accord de Kunming-Montréal qui fixent les objectifs politiques.

Dans le cas du plastique, des questions comme les niveaux de production soutenables, le design des produits, les modalités d’application de l’économie circulaire, de responsabilité des producteurs, et d'autres pourraient être traitées par les COP et traduites dans les plans nationaux. Il faudrait cependant faire un sort précis aux substances problématiques incorporées dans les produits plastiques. Elles pourraient faire l'objet d'annexes au traité ou être traitées en coopération avec les conventions chimiques, ce qui a été réclamé par nombre de pays soucieux d'éviter la duplication des enceintes.

Dans tous les cas, ces listes doivent être établies non seulement pour des raisons environnementales et sanitaires, mais également pour des raisons d'harmonisation des normes internationales.

Les questions de financement ont pris de l'importance du côté des pays en développement avec une approche critique du Fonds pour l’environnement mondial qui les amène à demander la création d'un fonds propre au traité. Un amendement prévoit même que l’application du traité par les pays en développement serait conditionnée par l’obtention des fonds financés par les pays développés.

Bref, un retour à l'ANUE pour prendre acte du stade actuel des négociations, prolonger et ajuster le mandat paraît être une voie certes périlleuse mais incontournable.

Mais le plus difficile reste à faire : reconstituer une communauté d'objectifs entre les pays, rétablir une capacité d'écoute et de dialogue, amener les porteurs de visions différentes à dialoguer et construire des compromis acceptables en ayant à l’esprit qu’un traité développe ses effets dans le temps et qu’il importe à présent de créer un cadre de négociations futures.

On aimerait conclure comme la professeure Miriam Diamond, membre de la Earth Commission5 : « les discussions à Genève ont échoué mais l'urgence n'a pas faibli », ou comme Inger Andersen, directrice exécutive du PNUE concluant les discussions de Genève : « le travail ne s'arrêtera pas car la pollution plastique ne s'arrêtera pas. Les gens veulent un traité », comme si la nécessité d’un accord allait mécaniquement être imposée par les faits.

En effet, les risques d'un échec final sont maintenant très élevés. Les Nations unies ont le devoir de proposer à brève échéance des voies et méthodes ainsi que des clarifications permettant de mener une diplomatie plus efficace. L'avenir du traité sur la pollution plastique est largement entre leurs mains.

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     Kate Raworth, "Doughnut Economics", Penguin Book, 2022

  • 3

     Linn Persson and al, "Outside the safe Operating space of the Planetary Boundary for Novel Entities", Environ. Sci. technol. 2022

  • 4

     Cf » Global Plastics Outlook » OCDE, 2022

  • 5

     https://earthcommission.org