Le 11 mars, l’Assemblée nationale populaire de Chine (NPC) a adopté les grandes lignes de son 14e Plan quinquennal (2021-2025) pour le développement économique et social, le premier depuis l’annonce (surprise) de Xi Jinping en septembre dernier sur l’engagement de la Chine à atteindre la neutralité carbone avant 2060. Cette ébauche ne livre que les grandes orientations du plan, qui reste à élaborer dans le détail des objectifs aux niveaux sectoriel et provincial, et envoie des messages ambigus sur les initiatives de la Chine en vue de la réduction de ses émissions climatiques dans un avenir proche.

La Chine est à l’origine de 26 % des émissions mondiales ; dans la lutte contre le réchauffement climatique planétaire, comme pour tant d’autres questions, elle définit les règles du jeu global. Le pays doit encore présenter une mise à jour de son engagement de 2015 en faveur du climat  dans la droite ligne du calendrier fixé par l’Accord de Paris sur le climat. Toutefois, l’engagement pris par le président Xi Jinping à l’occasion de la 75e Assemblée générale des Nations unies, engagement selon lequel la Chine vise à atteindre la neutralité carbone avant 2060, a fait naître l’espoir que le pays prenne au sérieux la question de l’atténuation du changement climatique, indépendamment de la direction prise par les États-Unis. Les observateurs suivent d’autant plus attentivement les décisions que la Chine pourrait prendre quant à la mise à jour de sa contribution déterminée au niveau national (CDN) que le Secrétariat de la CCNUCC a publié il y a quelques jours à peine un rapport accablant au sujet des engagements mondiaux pris jusqu’à présent pour limiter les émissions.

Le rapport indique que les engagements mis à jour ou améliorés de 75 pays (y compris l’Union européenne) représentant en tout 30 % des émissions mondiales, correspondent à une réduction d’ici 2030 de moins de 1 % des émissions mondiales de CO2 telles qu’elles se chiffraient en 2010, alors que le Rapport spécial du Giec sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5 °C appelle à une diminution de l’ordre de 45 %. Ce rapport ne concerne que les engagements reçus à la fin 2020, et il reste encore du temps pour que les pays restants emboîtent le pas des autres pays avant la COP 26 qui se tiendra en novembre à Glasgow, mais son contenu constitue un avertissement de nature à inciter les pays à mieux faire. Cela fonctionne en partie : le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande se sont déjà engagés à présenter de nouveau des engagements, renouvelés et améliorés, visant l’année 2030, après avoir affirmé leur volonté d’atteindre la neutralité carbone d’ici 20501 . Après la hausse importante affichée par l’UE dans sa deuxième CDN – elle prend l’engagement de réduire de 55 % ses émissions d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 –, la pression est forte pour la nouvelle administration Biden, et la Chine. Le contenu du 14e Plan quinquennal de la Chine représente un indicateur clé des efforts du pays en vue de la limitation du changement climatique.    

En quoi consistent les plans quinquennaux de la Chine ?

Depuis 1953, les autorités chinoises se fixent de grands objectifs en matière de développement social et économique dans le cadre de cycles quinquennaux de planification stratégique. Le plan quinquennal est l’épine dorsale de l’ensemble de la politique sectorielle, provinciale et municipale de la Chine et couvre des sujets tels que les échanges, la défense et l’environnement. Cette année, dans le cadre des deux sessions annuelles de l’Assemblée nationale populaire de Chine (NPC) et de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) qui ont eu lieu du 4 au 11 mars, les élites politiques ont examiné le projet de plan avant de l’adopter lors de la dernière journée des sessions2 . Cette adoption n’est qu’une étape d’un processus complexe et plus long : le plan général, ou « les grandes lignes », a été préparé pendant plus de deux ans, et durant l’année 2021 un ensemble plus détaillé de plans quinquennaux sectoriels et provinciaux seront élaborés en se fondant sur les grandes lignes, et mettront notamment au point les détails concernant la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation. Dans le cadre de cet effort figurent un plan destiné à traiter la question du changement climatique et du pic d’émission de CO2 d’ici 2030, supervisé par le ministère de l’Écologie et de l’Environnement (MEE), et un plan pour le développement de l’énergie et de l’électricité rédigé par l’Administration nationale de l’énergie (NEA) et le Conseil national pour le développement et la réforme (NDRC).

Quel est l'impact du 14e Plan quinquennal sur la question climatique ?

Dans les 148 pages du 14e Plan quinquennal figure une section dédiée aux « nouveaux progrès de la civilisation écologique », qui constitue l’un des six objectifs principaux en matière de développement économique et social, et qui comprend les cibles liées au climat et à l’énergie. Les grands objectifs en lien avec l’intensité énergétique, l’intensité carbone, la part des carburants non fossiles et le couvert forestier ont d’importantes implications pour les émissions de la Chine dans un futur proche, et les derniers objectifs ne représentent pas une accélération importante des efforts en matière d’atténuation.  
 

Objectif

Objectif du 13e Plan quinquennal

Objectif du 14e  Plan quinquennal

Intensité énergétique

-15 % entre 2016 et 2020

-13.5 % entre 2021 et 2025

Intensité carbone

-18 % entre 2016 et 2020

-18 % entre 2021 et 2025

Part des carburants non fossiles

15 % en 2020

Autour de 20 % en 2025

Couvert forestier

23,04 % en 2020

24,1 % en 2025

Croissance du PIB

Moyenne de 6,5 % chaque année entre 2016-2020.

Pas d’objectif quinquennal, seulement un objectif annuel. Pour 2021, objectif d’au moins  6 %.

 

Comme ce plan ne va pas jusqu’à fixer un plafond absolu d’émissions pour la période, les émissions de la Chine dépendront de la croissance réelle de son économie. Une étude menée par le Centre de recherche sur l’énergie et la qualité de l’air (Centre for Research on Energy and Clean Air - CREA) montre que selon les hypothèses de croissance du PIB (oscillant aux alentours de 5-6 % par an), la Chine pourrait atteindre les objectifs susmentionnés avec une augmentation des émissions totales de CO2 de 1-1,7 %3 .

Toutefois, l’étude menée par les experts chinois montre que ce plan s’écarte de ses prédécesseurs de plusieurs manières importantes :

  • Il ne présente pas un objectif précis de croissance du PIB pour la période. Le 13e Plan visait une croissance annuelle moyenne de 6,5 % pour la période 2016-2020, mais le 14e Plan a seulement pour objectif « au moins 6 % » en 2021. Cela tient en partie aux incertitudes macroéconomiques liées la reprise à la suite de la pandémie de Covid-19.
  • Il renvoie aux objectifs climatiques de la Chine de plus long terme et introduit l’idée d’un « plafonnement des émissions de CO2 », sans en fixer réellement un (mais comme indiqué plus haut, ceci pourrait être fait à l’occasion d’un plan spécifique ultérieur qui serait dédié au climat).
  • Il accorde une importance accrue à la reddition de comptes concernant les objectifs environnementaux : parmi les 20 indicateurs socioéconomiques clés pour la période, seuls 8 sont listés comme étant « contraignants » (et non pas présentés « à titre indicatif ») ; 6 d’entre eux sont en lien avec l’environnement, le climat et l’énergie4 .

Certains objectifs clés (réduire l’intensité carbone de la Chine de plus de 65 % par rapport au niveau de 2005 et accroître la part des carburants non fossiles à près de 25 %) avaient déjà fait l’objet d’une annonce lors du Sommet Ambition Climat en décembre dernier, et représentent déjà une orientation à la hausse en comparaison de ceux figurant dans la CDN chinoise, ce qui signifie que la Chine pourrait aisément et dès à présent augmenter l’ambition de sa CDN actuelle. La Chine peut mieux faire5 , notamment sur la base des « feuilles de route en matière de pics d’émission » élaborées par les principaux secteurs et provinces, tandis que le MEE prépare un plan global relatif au pic de carbone pour le Conseil des affaires d’État, l’organe administratif le plus élevé du pays.

Lors du dernier appui public qu’il a apporté aux engagements de la Chine en faveur de la neutralité carbone, Xi Jinping a rappelé aux autres pays que « la Chine honore toujours ses engagements », ce qui pourrait être interprété comme une subtile expression de désapprobation à l’adresse des pays développés qui ne respectent pas les leurs, que ce soit concernant les financements ou les réductions d’émissions. La Chine, en revanche, a en réalité dépassé les cibles d’intensité en matière d’émissions de CO2 indiquées dans ses deux précédents plans quinquennaux6 . Alors que la Chine s’apprête à accueillir la réunion ministérielle sur l’action climatique (MoCA) le 23 mars7 , le Canada et l’UE pourraient soulever des questions quant à la manière dont ce plan et ces feuilles de route ultérieures placeront la Chine sur la voie menant à zéro émission nette avant 2060.