Les États membres des Nations unies (ONU) négocient actuellement un nouvel accord visant à préserver la biodiversité marine dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale (accord BBNJ), cet immense bien commun qui couvre près de la moitié de la surface de la Terre. La pause dans les négociations liée à la crise de la Covid-19 offre l’occasion de réfléchir aux ambitions et aux options du nouveau traité sur l’Océan. Ce billet explore les leçons pouvant être tirées de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES, 1973), un traité largement ratifié et considéré comme l’un des accords multilatéraux sur l’environnement (AME) les plus efficaces.

Mettre en œuvre les dispositions du traité par le biais de la législation nationale

La CITES impose des contrôles sur le commerce international de certains animaux et plantes sauvages (répertoriés dans trois annexes de la Convention), notamment lorsqu’ils sont prélevés dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale (ZAJN). Dans un premier temps, l’inscription d’espèces marines était limitée, mais les Parties se tournent de plus en plus vers la CITES depuis 2013 pour assurer la conservation des espèces marines menacées, comme les hippocampes et les requins.

Comme pour la plupart des accords internationaux, la mise en œuvre de la CITES dépend de l’adoption de lois et de mesures nationales spécifiques visant à garantir que le commerce des espèces protégées est légal, durable et traçable. Ces dispositions peuvent renforcer le pouvoir des autorités, contrer les activités illicites et fournir des orientations politiques.

Le Projet sur les législations nationales de la CITES suit et soutient les efforts des Parties pour renforcer la législation nationale, notamment en évaluant l’adhésion aux exigences minimales1 . Cette évaluation permet au Comité permanent de la CITES d’identifier les Parties nécessitant une attention prioritaire. Bien que la CITES adopte une démarche axée sur le « soutien et non sur l’antagonisme » pour assurer le respect de la Convention à long terme, le Comité peut recommander la suspension du commerce lorsqu’une Partie ne progresse pas de manière appropriée dans une période définie. Des processus similaires sont en place pour traiter les problèmes systémiques ou structurels liés à la mise en œuvre et à l’application de la Convention2 , ainsi que l’absence de rapportage.

L’accord BBNJ reposera également sur les actions des États, qu’ils agissent unilatéralement ou par l’intermédiaire d’autres organismes multilatéraux. Un comité de conformité ou de mise en œuvre pourrait être utile pour assurer une surveillance, examiner la législation et les actions des Parties, identifier les lacunes dans la mise en œuvre et soutenir les États dans leurs efforts. Toutefois, il convient de noter que l'une des raisons pour lesquelles la CITES est efficace est qu'elle peut, en dernier recours, recourir à des mesures de conformité sous la forme d'une suspension du commerce, ce qui incite fortement les parties à se conformer.

Examen par les pairs de la mise en œuvre 

La Conférence des Parties (CdP) à la CITES a mis au point un processus complémentaire d’examen par les pairs, l’« Étude du commerce important » (ECI), pour identifier et évaluer les espèces susceptibles de faire l’objet d’un commerce non durable et pour recommander des mesures correctives.

Le lambi ou strombe géant, pêcherie importante dans la région des Caraïbes, a été fortement surexploité et inscrit à la CITES en 1992. La procédure d’ECI a favorisé une meilleure collaboration régionale entre les 36 Parties des Caraïbes, ce qui a permis d’harmoniser les règles de pêche, de coordonner les quotas d’exportation et de renforcer les contrôles commerciaux. La collaboration par le biais des organisations maritimes régionales a permis de renforcer le soutien technique, le financement et la recherche.

Les résultats sont toutefois mitigés, les recherches sur les procédures d’ECI pour d’autres espèces marines ayant mis en évidence l’absence de métrique permettant de suivre les progrès, des recommandations parfois trop exigeantes et une consultation insuffisante des experts concernés. En outre, certaines Parties exportatrices parmi les plus importantes ont feint de se conformer en déclarant unilatéralement une suspension des exportations sans avoir l’intention de l’appliquer, permettant ainsi au commerce illégal de se poursuivre avec la même intensité.

La procédure d’ECI pourrait être améliorée en mettant l’accent sur les résultats concrets (par exemple les politiques de gestion et les zones protégées) et les impacts (comme la reconstitution des populations) au lieu de se contenter de cocher des cases. Les recommandations de l’ECI devraient être adaptées aux combinaisons spécifiques Partie-espèce, avec des indicateurs clairs, un rôle formel accordé aux experts et un mécanisme de financement.

L’accord BBNJ pourrait s’appuyer sur cette expérience, en favorisant une approche collaborative de la mise en œuvre où des experts scientifiques et techniques formuleraient des recommandations pour aider les États à respecter les obligations découlant du traité. 

La mise en œuvre des dispositions relatives aux ressources génétiques marines (RGM)

Le commerce international, par sa nature, implique au moins deux Parties – un exportateur et un importateur. Le non-respect des dispositions de la CITES par une Partie nécessite donc la collaboration (ou au moins la négligence) d’une autre Partie, car toutes deux sont tenues de déclarer les transactions commerciales.

L’« introduction en provenance de la mer » (IPM)3  est différente, car elle ne suppose pas nécessairement un échange entre deux Parties. En lieu et place, une Partie « négocie » avec la ZAJN elle-même, la CITES imposant une obligation unilatérale à la Partie pour garantir la durabilité et la légalité4 . Cette particularité est peut-être l’une des raisons pour lesquelles les Parties ont mis 40 ans à se mettre d’accord sur une interprétation commune et une opérationnalisation des dispositions par le biais d’une résolution5  et explique pourquoi la mise en œuvre reste limitée6

Les dispositions de l’IPM donnent de facto à la CITES le mandat de réglementer la collecte (et le commerce international qui en résulte) des RGM provenant d’espèces inscrites dans les ZAJN. L’actuel projet d’accord sur les BBNJ partage de nombreuses caractéristiques avec l’IPM, en demandant aux Parties de promulguer des mesures nationales pour réglementer le prélèvement de RGM dans les ZAJN, notamment en établissant un système de permis et un système de rapportage unilatéral au Secrétariat.

En s’appuyant sur l’expérience de la CITES, les négociateurs de l’accord BBNJ pourraient souhaiter examiner les différentes chaînes de traçabilité de la collecte des RGM et les modalités de délivrance des permis et de déclaration7 . L’accord BBNJ pourrait prévoir des mécanismes d’examen par les pairs pour les situations où deux États ou plus sont impliqués dans la chaîne de traçabilité (par exemple lorsque les RGM sont collectées par un navire d’un État et débarquées dans le port d’un autre État, ou lorsqu’elles sont transbordées à partir de navires battant pavillon de différents États). Pour les « transactions » impliquant un seul État, l’accord pourrait inclure d’autres mécanismes de contrôle.

Conclusions

Après presque 50 ans, la CITES continue d’évoluer, et reste pertinente et efficace, tout en bénéficiant du large soutien et de l’adhésion des Parties et des acteurs concernés. Ce succès a été rendu possible par la surveillance et la révision continues de la législation et des échanges par le Secrétariat et les Parties, ainsi que par la mise à disposition d’un forum de discussion au sein du Comité permanent. La réussite des approches collaboratives de la CITES pour faire avancer la mise en œuvre, complétées par des mesures de conformité en dernier recours, peut servir d’inspiration aux négociateurs qui cherchent à élaborer un traité à l’épreuve du temps pour l’Océan mondial.

Une partie importante du projet de texte actuel de l'accord BBNJ étant toujours entre crochets et les négociations étant retardées, les négociateurs devraient profiter de ce nouveau délai pour clarifier la manière dont l'accord BBNJ se coordonnera avec les organismes existants tels que la CITES afin de mettre en place un cadre efficace de gouvernance des océans.

  • 1La législation nationale doit permettre de désigner au moins une autorité de gestion et une autorité scientifique et doit interdire et sanctionner le commerce des espèces répertoriées.
  • 2C’est ce qu’on appelle la procédure relevant de l’article XIII. Pour un exemple marin, voir la procédure relevant de l’article XIII sur « l’introduction en provenance de la mer de rorquals boréaux (Balaenoptera borealis) par le Japon ».
  • 3« L’introduction en provenance de la mer (IPM) est l’un des quatre types de commerce réglementés par la CITES (les autres étant : l’importation, l’exportation et la réexportation). L’IPM est défini à l’Article 1 de la Convention comme le transport dans un État de spécimens d’espèces qui ont été pris dans l’environnement marin n’étant pas sous la juridiction d’un État ». Voir : https://cites.org/fra/prog/ifs.php
  • 4Cela peut être interprété comme un premier élément de l’obligation pour les États d’adopter des mesures de conservation des ressources vivantes en haute mer, codifiée ultérieurement dans l’article 117 de la CNUDM.
  • 5La résolution stipule que tout IPM impliquant des pavillons et ports de différents États doit être traitée comme une transaction d’importation/exportation standard, ce qui donne lieu à un examen par les pairs, dans la mesure du possible.
  • 6Mi-2019, il y avait 145 enregistrements d’IPM uniques provenant de 9 des 173 Parties.
  • 7Les réponses des Parties qui mettent en œuvre l’IPM dans l’annexe du SC70 Doc. 34 peuvent être particulièrement utiles. Elles révèlent que la majorité des Parties mettant en œuvre l’IPM s’appuient sur des certificats pré-émis et partiellement remplis, tandis qu’une Partie a indiqué qu’elle transmettait le certificat/permis par voie électronique au navire en question et/ou remettait l’original sur le site de débarquement.