Le 12 décembre 2015, 195 pays ont adopté à l'unanimité l'Accord de Paris, le premier traité sur le changement climatique construit sur des règles universelles, largement salué comme un succès historique dans la lutte multilatérale contre le changement climatique. Le cinquième anniversaire de l'accord est naturellement l'occasion de réfléchir à ce qui a été réalisé jusqu'à présent - et à ce qui n'a pas encore été entrepris - au cours des cinq dernières années. C'est également le moment de saluer les (presque) nouveaux engagements pris par 75 pays et acteurs non étatiques lors du Sommet des Nations unies sur l'ambition climatique, le samedi 12 décembre. Plus important encore, le sommet a été le point de départ d'une année de transition critique jusqu'à la COP26, qui a été retardée d'un an en raison de la pandémie de Covid-19. Au cours des onze prochains mois, les pays devront démontrer, à la fois individuellement et collectivement, qu'ils peuvent accélérer considérablement les actions à court terme afin que la vision d'un monde neutre en carbone et résilient d'ici le milieu du siècle non seulement reste une possibilité mais devienne une réalité.

L'annonce de Donald Trump que les États-Unis allaient quitter l'Accord de Paris, la montée des nationalismes et les tensions géopolitiques ont fait que l'humeur euphorique qui régnait lors de l'adoption de l'accord s'est rapidement estompée. Pourtant, cinq ans plus tard, il est permis d’espérer, avec prudence : alors que l'atténuation du changement climatique est encore loin d'être suffisante pour faire face à la crise, l'Accord de Paris a sans aucun doute apporté des changements majeurs, parmi lesquels le passage de la réduction des émissions de gaz à effet de serre à la course à la neutralité carbone dans les discussions climatiques mondiales. En inscrivant à l'article 4.1 l'objectif d'atteindre zéro émission nette afin de stabiliser l'augmentation de la température mondiale à 1,5ºC, l'Accord de Paris a fait de la neutralité carbone une aspiration collective, bien qu'elle ne soit pas encore articulée comme un objectif politique. Cinq ans plus tard, la récente vague d'annonces d’objectifs de neutralité carbone d’ici au milieu du siècle place l'objectif de 1,5°C à portée de main : le réchauffement de la planète d'ici 2100 pourrait n'atteindre que 2,1°C si tous les engagements de neutralité carbone (à date de novembre 2020) sont mis en œuvre1 . Les objectifs de neutralité carbone fixés par plus de 100 pays, dont de nouveaux comme l'Argentine, et par plus de 1 000 acteurs non étatiques, fixent un horizon clair de transformation radicale des économies et des modèles d'entreprise, de redéploiement industriel et de reconversion, créant ainsi des anticipations et des attentes convergentes. Le principal défi consiste maintenant à accélérer la mise en œuvre et à construire une trajectoire cohérente vers zéro émission nette zéro d'ici le milieu du siècle : l'objectif de 1,5°C restera réalisable si et seulement si ces objectifs de neutralité à long terme sont traduits en plans et actions immédiats.

Le Sommet sur l’ambition climatique qui vient de se tenir pour commémorer le cinquième anniversaire de l'Accord de Paris a été le point d'orgue de la mobilisation pour le climat en 2020. Il a réussi à démontrer que la crise climatique n'a pas été effacée des agendas gouvernementaux et qu'elle reste une priorité. Mais cet événement visait surtout à créer une dynamique qui doit être maintenue jusqu'en novembre 2021, lorsque le monde se réunira à Glasgow. C'est en substance ce qu'a déclaré le président de la COP 26, Alok Sharma, en conclusion du sommet virtuel, soulignant le rôle immense de la présidence – comme l'a démontré la France en 2015 – et les attentes placées dans l'ensemble du gouvernement britannique et de sa diplomatie. Il s'est engagé à utiliser les forums du G7 et du G20 pour faire avancer la politique climatique et réaliser des progrès sur tous les fronts. Afin de réussir à démontrer lors de la COP 26 qu'un point de basculement a été franchi, transformant une vision de la neutralité carbone en réalité, la présidence britannique aura besoin du soutien de l'UE, de la Chine avec des mesures concrètes vers la neutralité carbone, du leadership renouvelé des États-Unis, des institutions financières multilatérales et de toutes les forces progressistes de chaque pays.

Ci-dessous sont listés cinq défis qui devront être relevés au cours de l'année à venir pour que la COP 26 soit le tremplin souhaité vers un avenir neutre en carbone et résilient.

1.    La relance verte, la voie vers la neutralité carbone

La COP 26 est le moment où les pays ainsi que les entreprises, les villes et autres doivent chacun, sous l'œil du public international, convertir leurs annonces de « neutralité carbone d'ici le milieu du siècle » d'une vision à une réalité. La première étape consiste à démontrer cette responsabilité par le biais de leurs plans de relance post-crise de la Covid-19, qui pourraient continuer à reposer sur des secteurs et des pratiques à forte teneur en carbone que la transition vise à éliminer progressivement. La mobilisation jusqu'à Glasgow devrait permettre de s'assurer que les pays présentent des trajectoires crédibles vers la neutralité carbone, grâce aux éléments suivants : (1) une contribution déterminée au niveau national (CDN) renforcée, qui accélère le passage à la neutralité carbone au cours de la décennie clé 2020-2030 et comble le fossé actuel entre les ambitions les résultats et (2) une stratégie à long terme (Long-Term Low Emission Development Strategies) que l'Accord de Paris invite les Parties à présenter en 2020 et qui fournit une trajectoire sectorielle aussi détaillée que possible vers la neutralité carbone dès que possible. Les plans de relance COVID-19 devront également démontrer que les actions immédiates et à court terme sont compatibles avec la décarbonation à long terme promise. Les confirmations par les grandes économies de leur intention d'atteindre la neutralité carbone ont été de bons signaux, des étapes supplémentaires dans leur ambition accrue, mais doivent encore se traduire par des décisions économiques majeures. L'UE vient de le faire en portant son objectif pour 2030 de -40 % à -55 % d’émissions d’ici 2030. La Chine a annoncé une réduction supplémentaire de son intensité carbone. La réalité du plan de relance américain de l'année prochaine ou du 14e Plan quinquennal chinois donnera des indications essentielles.

2.    Accélérer les changements sectoriels et l'action (politique) accrue des acteurs non étatiques

L'orchestration, dans la perspective de la COP 21, d'un large ensemble d’acteurs non étatiques démontrant ensemble qu'agir de manière ambitieuse sur le climat est non seulement faisable mais aussi souhaitable, et appelant les gouvernements à agir en conséquence, a été essentielle pour assurer la négociation d'un résultat ambitieux à Paris. Ensemble, ces acteurs ont construit un récit convaincant sur un avenir meilleur et ont rassuré les Parties en leur montrant que les sociétés étaient globalement prêtes pour un accord ambitieux sur le climat. Depuis 2015, la dynamique climatique des acteurs non étatiques s'est considérablement accélérée, avec à ce jour plus de 1 100 entreprises, 450 villes et 22 régions ayant pris des engagements zéro émission nette. Toutefois, pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, il faut une transformation encore plus importante dans tous les secteurs, et si le cadre de transparence de l'Accord de Paris suit uniquement les progrès des Parties dans la réalisation de leurs engagements, les acteurs non étatiques doivent également être tenus responsables de la mise en œuvre des engagements qu'ils prennent, même s'ils le font volontairement.

Par conséquent, avant la COP 26, il est nécessaire (1) de mettre en place une coopération permettant d'apporter l'ambition climatique sectorielle nécessaire, en particulier dans les secteurs difficiles à décarboner (comme l'élimination progressive du charbon), (2) que les acteurs non étatiques présentent des plans clairs pour atteindre la neutralité carbone et commencent à être tenus responsables, et (3) qu’ils formulent des demandes politiques spécifiques aux gouvernements qui permettraient d'accroître les exigences en matière d'action climatique, comme des cadres législatifs, des réglementations financières, des règles commerciales internationales, des incitations fiscales, ou des règles sur l’attribution des marchés. En agissant de manière plus ambitieuse, les acteurs non étatiques peuvent à leur tour donner aux responsables politiques et aux décideurs les moyens de prendre des engagements encore plus ambitieux et d'accélérer la transition vers une société résiliente et à faibles émissions de carbone.

3.    Accéder au financement climatique pour éviter de faire dérailler la COP26

Les annonces concernant un financement climatique supplémentaire pour les pays du Sud ont été plutôt timides samedi dernier, loin de répondre aux attentes, comme l'a souligné le président de la COP 26, Alok Sharma, indiquant que cela restera un point d'attention critique avant la COP 26. Cinq ans après Paris, dans le cadre du renforcement de l'ambition collective, la question d'un soutien croissant sera nécessaire pour éviter plusieurs écueils, notamment : (1) l'objectif de mobilisation de 100 milliards de dollars : à mesure que son atteinte devient plus difficile, les pays développés devront rassurer leurs partenaires des pays en développement sur leurs engagements fermes à accroître le volume du financement climatique, en démontrant que le renforcement de l'ambition s'applique également au soutien d’autres pays. La communauté des donateurs devrait tirer parti du retour des États-Unis pour mobiliser d'autres contributeurs à la traîne ; (2) les plans de relance « verts » et l’allégement de la dette seront essentiels, car il existe un risque de surendettement des pays en développement qui pourrait les empêcher de mettre en place une transition rapide. Pour que les pays à faible revenu n'aient pas à s'engager dans des investissements à forte intensité de carbone, il faudra travailler avec tous les instruments multilatéraux et bilatéraux afin qu'ils fournissent non seulement les capitaux nécessaires, mais qu'ils parviennent à alléger le fardeau de la dette.

4.    Solidarité, justice et résilience

Pour que la transition vers la neutralité carbone devienne une réalité, il faut que tout le monde s'y mette. Ainsi, la principale demande des nations vulnérables concerne l'adaptation au changement climatique : elle doit être mise sur un pied d'égalité avec l'atténuation, pour souligner la nécessité d'améliorer la capacité d'adaptation, de renforcer la résilience et de réduire la vulnérabilité. La crise de la Covid-19 a augmenté et continuera d'augmenter la détresse sociale, la vulnérabilité et les inégalités au sein des pays et entre eux. Permettre à la fois la reconstruction post-Covid-19 et une transformation à faible intensité de carbone et résiliente est un défi. Il sera nécessaire d'augmenter le financement de l'adaptation pour faire preuve d'une solidarité accrue et reconnaître le sort particulier des plus vulnérables, en utilisant des sources publiques, des canaux spécialisés et des instruments assimilables à des subventions. La crise oblige également à redéfinir le concept de « transition juste », au-delà du cas spécifique des régions dont l'économie dépend des combustibles fossiles, pour aborder l'ensemble des questions de justice liées à la dimension sociale de la reconstruction post-crise en tant que projet de redéveloppement industriel à l'échelle de régions et de secteurs entiers. Ceci avec pour objectif non seulement de réduire les émissions de gaz à effet de serre, d'être plus résilient face au changement climatique et à ses impacts, mais aussi de s'orienter vers un modèle économique qui réduit les inégalités et la vulnérabilité sociale au lieu de les accroître. Des progrès concrets doivent être réalisés dans cette direction tout au long de 2021, non seulement par le biais du financement, mais aussi en répondant concrètement aux demandes des pays vulnérables en matière de progrès politique et d'attention à l'adaptation.

5.    Coordonner les ambitions en matière de climat et de biodiversité en vue de la neutralité carbone

Au cours de l'année écoulée, la nécessité d'aborder les objectifs en matière de changement climatique et de biodiversité de manière coordonnée a fait son entrée dans le courant politique et scientifique. Alors que 2021 est présentée comme une « super année de la nature et du climat » avec la COP 26 climat et la COP 15 biodiversité, des malentendus subsistent quant aux possibilités et aux conditions d'harmonisation des ambitions en matière de climat et de biodiversité, ce qui risque de faire dérailler la COP26 s'ils créent un sentiment de concurrence contre-productive entre les deux discussions. Pour éviter cela, deux questions clés doivent être abordées en 2021 : (1) veiller à ce que les trajectoires pour mettre en oeuvre les objectifs de neutralité carbone incluent des réductions d'émissions de GES suffisamment ambitieuses durant la décennie 2020-2030 afin de ne pas avoir à recourir massivement au déploiement de mesures d'élimination du dioxyde de carbone (ECD) dans le secteur de l'usage des terres, ce qui compromettrait la biodiversité et l'intégrité des écosystèmes, et les objectifs de sécurité alimentaire ; (2) s'appuyer sur la dynamique politique pour une ambition plus coordonnée en matière de climat et de biodiversité (l'appel de Pékin 2019, l'engagement des dirigeants mondiaux pour la nature que la présidence britannique de la COP 26 soutient, les deux coalitions de haute ambition pour le climat et pour la nature) pour assurer que l'intégrité de la biodiversité et la neutralité carbone soient mieux intégrées dans les contributions déterminées au niveau national et les stratégies de long terme et, plus important encore, dans les plans de relance post-Covid-19.

Une tâche difficile repose maintenant sur les épaules de la présidence britannique de la COP 26, et de ses alliés, pour relever ces cinq défis, afin d'assurer le succès à Glasgow et de permettre à la prochaine COP de mettre la diplomatie climatique sur la voie d'un avenir neutre en carbone et résilient, réalisant ainsi la promesse de Paris.