Lors de son dernier comité du développement, la Banque mondiale a longuement débattu d’une possible augmentation de capital destinée à permettre à l’institution (la composante BIRD du groupe Banque mondiale) de maintenir, puis d’accroître le volume de ses financements, notamment à destination des pays à revenu intermédiaire. En décembre prochain, à l’invitation du Président Macron, se tiendra à Paris un sommet destiné à prendre de nouvelles actions en matière de financement de la lutte contre les changements climatiques, deux ans après la COP 21. Les deux évènements, en apparence séparés, sont liés.

Le paradigme central de la coopération internationale pour le développement est depuis 20 ans celui de la lutte contre la pauvreté. C’est aujourd’hui, et ce sera davantage encore demain, celui de la lutte contre les dérèglements climatiques. Non que cette lutte efface la question de la pauvreté. Les pauvres seront les premiers frappés, mais le potentiel disruptif des changements climatiques n’épargnera personne, et notamment pas cette immense classe moyenne mondiale qui a émergé avec la mondialisation.

Pauvreté et climat s’inscrivent dans le tout cohérent et consensuel que forment les Objectifs de développement durable (ODD). La Banque mondiale recense 218 économies dans le monde (pays indépendants et territoires) : 78 sont des économies riches (high-income economies), 31 des économies à faible revenu (low-income economies), et 109 des économies intermédiaires (lower and upper middle-income economies).

75 %  

de la population mondiale vit dans des pays à revenu intermédiaire (PRI)

75 % de la population mondiale vit dans des pays à revenu intermédiaire (PRI), contre 70 % en 1960.  Il est vrai également que l’on dénombrait 21 pays les moins avancés (PMA) en 1971, année de la création de cette catégorie de pays particulièrement fragiles, contre 47 aujourd’hui.

La situation actuelle est donc à la fois celle d’une augmentation du nombre des pays les plus fragiles et les plus pauvres, le fait que la majorité des pauvres (les trois quarts) vit dans les PRI, et que ces mêmes pays accueillent l’immense majorité des classes moyennes émergentes. Il n’en demeure pas moins qu’à l’heure de définir des consensus internationaux sur ce qu’il faut faire pour mettre en œuvre l’Accord de Paris, la communauté internationale étant ce qu’elle est – un monde d’États –, la moitié des pays concernés abritent cette classe moyenne mondiale dont la participation active est indispensable au fonctionnement du multilatéralisme. Or, les débats en cours à la Banque mondiale, au

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PMA aujourd'hui

Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, voire au sein de l’Union européenne, ont ceci de commun qu’ils mettent l’accent sur les conséquences qu’ont ou que vont avoir pour les PRI leur nouvelle (et relative) richesse. Cette conséquence est la même partout : au-delà d’un certain niveau de revenu par tête, les outils de financement les plus concessionnels – l’Association internationale de développement (AID) pour la Banque mondiale, les enveloppes de dons programmées par la Commission européenne dans le cadre du Programme indicatif national – sont fermés aux PRI. Des bailleurs de fonds bilatéraux qui ont fait de la lutte contre la pauvreté l’épine dorsale de leur action – Department for International Developement (DFID) en tête – arrêtent leurs programmes dans les pays qui se « moyennisent ». De technique, le débat devient vite politique : la « graduation » des guichets concessionnels est trop vite assimilée à ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire la fin de l’accès à toute forme d’aide publique au développement (APD) et donc comme une forme d’exclusion.

Le besoin – collectif – de réussir la mise en œuvre de l’Accord de Paris offre l’occasion de reposer le débat sur des bases rénovées. D’abord, celle du caractère multiforme de la pauvreté (pays pauvres et pauvres dans les PRI, voire dans les pays dits riches) et de l’importance croissante de la question des inégalités, entre pays et au sein des pays. Ce caractère multiforme appelle une réponse elle-même multiforme, et qui est celle dont les ODD tracent le cadre. Ensuite celle du volume de ressources nécessaires à la mise en œuvre des ODD et de l’Accord de Paris, les deux étant intrinsèquement liés. Ces ressources sont d’abord nationales, puis internationales, publiques et privées, non concessionnelles pour l’essentiel. Dans les PRI, le rôle des ressources publiques internationales (y compris ce qui, comptablement, relève de l’APD au sens de l’OCDE) est d’accompagner des politiques publiques nécessaires au succès des transitions (écologique, sociale, etc.), de soutenir l’innovation, de favoriser la prise de risque et de le faire dans la durée. Les outils classiques des banques de développement sont parfaitement adaptés. Là où les subventions sont nécessaires, les dispositifs existent (notamment en Europe), et devront monter en puissance – en clair, faire plus, les besoins liés aux transitions écologique et sociale étant considérables. Une partie de ces moyens relève de l’APD[1]. Il n’y a aucune raison d’en exclure les PRI ; le succès de ces transitions est un bien public mondial. Une autre partie de ces moyens dépend de la capacité des banques à accroître le volume de leurs prêts.

C’est le sens du débat en cours à Washington. C’est le sens de l’augmentation des fonds propres de l’Agence française de développement (AFD) qui va accroître son activité de 50 % d’ici 2020 (ce qui veut dire la doubler dans les PRI). C’est le sens de l’augmentation des moyens de la Banque asiatique de développement, des augmentations (toutes réussies) du capital de la CAF (banque latino-américaine de développement). C’est une des raisons de la création de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (AIIB).

Pour les pays les plus pauvres, pour lequel le financement public international vient combler un déficit d’épargne, auquel les marchés de capitaux ou les banques de développement ne peuvent répondre, la problématique est celle de l’APD, au sens classique. Que les plus vulnérables de ces pays ne reçoivent pas des bailleurs (de l’OCDE et d’ailleurs) ce dont ils ont besoin est indéniable (la France pourrait faire plus dans ce domaine). Que les effets des changements climatiques les menacent au premier chef, que leurs propres fragilités les exposent aux crises, n’est pas contestable. Le besoin d’aide aux pays les plus pauvres préexistait à l’Accord de Paris, mais celui-ci en rappelle l’urgence. C’est la mission fondamentale de l’APD, enrichie par la prise en compte du climat, des situations de crise, etc.

Ces différentes dimensions de la coopération internationale au développement sont complémentaires, non exclusives et aussi importantes l’une que l’autre.

[1] Lire Voituriez, T., Vaillé, J. (2017). À quoi sert l'APD ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France. Iddri, Working Papers N°01/17.   Photo : © DR