Le 29 mars 2023 l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) a adopté une résolution (A/77/76)1 , par laquelle un avis consultatif a été demandé à la Cour internationale de justice (CIJ) sur les obligations des États en matière climatique et environnementale ; ce sera la première fois que la CIJ se prononcera à ce sujet. Si les opinions consultatives ne possèdent pas la même force contraignante que les décisions issues d’une procédure contentieuse, elles peuvent néanmoins avoir des effets importants sur les principes de droit international applicables aux relations entre les États en matière climatique, sur le déroulement d’autres procédures législatives au niveau national, ou encore sur des contentieux climatiques dans le contexte régional et national. Ce billet de blog décrypte les enjeux politiques et juridiques associés à une telle résolution en matière de gouvernance internationale de l’environnement et plus particulièrement de la lutte contre le changement climatique.

Des antécédents aux succès mitigés

La première demande d’avis auprès d’un organe ayant une compétence extraterritoriale concernant les obligations des États relatives au changement climatique date de 2005. Elle était portée par la communauté des Inuits et visait les États-Unis. Depuis, d’autres ont suivi, notamment adressés à des organes relatifs aux droits de l’homme. L’une de plus récentes, ayant remporté un certain succès pour les demandeurs, est celle émanant du Conseil des droits de l’homme (CDH) des Nations unies relative à l’affaire Ioane Teitiota c. Nouvelle-Zélande, rendue le 24 octobre 20192 . Les conclusions du CDH ont été analysées comme une avancée pour la reconnaissance internationale d’un statut juridique pour les migrants climatiques. Pour la première fois, le CDH avait admis que les effets du changement climatique sont susceptibles de porter atteinte au droit à la vie3 et dès lors de déclencher une obligation de non-refoulement pour les États d’accueil à l’égard des migrants climatiques. Toutefois, la responsabilité générale climatique des États n’a pas été tranchée à cette occasion.

L’adoption de l’article 8 de l’Accord de Paris sur le climat sur les pertes et préjudices a pour sa part clarifié l’étendue des domaines couverts par le Mécanisme de Varsovie. Ce mécanisme a un rôle d’information, de coordination et d’échange de connaissances et de bonnes pratiques, afin d’aider les États les plus vulnérables à anticiper, minimiser les risques de pertes et préjudices causés par les changements climatiques et discuter d’éventuels mécanismes de gestion des risques. Pour autant, l’article 8 n’instaure pas une responsabilité internationale des États émetteurs de gaz à effet de serre (GES) vis-à-vis des pays qui subissent les effets négatifs du changement climatique. S’il s’agit sans doute d’une reconnaissance d’un devoir de solidarité des pays développés envers les pays aux capacités de résilience limitées, le mécanisme ne détermine pas d’obligations juridiquement contraignantes. 

Genèse d’une résolution « historique »

Tout commence en 2011 lorsque les Palaos et les Îles Marshall ont tenté, en vain, de porter la question du changement climatique devant la CIJ. Ils souhaitaient obtenir des éclaircissements sur les obligations des États en matière de réduction des émissions de GES. Quelques années plus tard, l'Accord de Paris a été ratifié, invitant les États à s'engager volontairement pour atteindre des objectifs de réduction des émissions. Toutefois, l'Accord ne crée pas d'obligations contraignantes en matière d'adaptation ou de pertes et dommages et le lien avec les droits de l'homme se limite à une référence dans son préambule. 

En 2019, le gouvernement de Vanuatu a présenté la proposition du groupe Pacific Islands Students Fighting Climate Change (PISFCC) au Forum des îles du Pacifique. Très vite, la campagne pour l'avis consultatif s’est développée au-delà du Pacifique afin de galvaniser un soutien plus large. En mai 2022, une alliance mondiale a été lancée. La campagne a porté ses fruits et, en mars 2023, la résolution est adoptée par une majorité des pays.

Sur quoi porte l’avis consultatif ?

La demande d’avis partait de plusieurs constats : le changement climatique a un impact significatif sur les petits États insulaires, Vanuatu étant particulièrement touché ; les tendances récentes (pointées par le dernier rapport du Giec) montrent une augmentation de l'intensité et de la fréquence des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes4 ; les droits de l'homme sont affectés et violés par le changement climatique, et plusieurs affaires judiciaires ont reconnu le lien juridique entre le changement climatique et ces droits.

La requête d’avis consultatif pose à la Cour un certain nombre de questions. La première concerne les obligations des États en vertu du droit international. Il est demandé à la CIJ de les préciser et ce afin d’assurer la protection du système climatique et d'autres pans de l'environnement contre les émissions anthropiques de GES pour les États et pour les générations présentes et futures. La seconde porte sur les conséquences juridiques de ces obligations pour les États lorsque, par leurs actes et omissions, ils ont causé des dommages importants au système climatique et à d'autres éléments de l'environnement. Pour cette dernière question, deux précisions sont demandées à la Cour : d’abord, s’agissant des États, y compris, en particulier, les petits États insulaires en développement, quelles sont les obligations compte tenu de leur vulnérabilité particulière ? Ensuite, par rapport aux générations présentes et futures affectées par les effets du changement climatique, y a-t-il des obligations spécifiques en vue de leur protection ?

Sources et fondements de l’avis consultatif

L’avis devra se produire sur la base des sources du droit international énumérées à l’article 38 du Statut de la Cour. Y figurent : les conventions internationales, qu'elles soient générales ou particulières ; la coutume internationale, en tant que preuve d'une pratique générale acceptée ; les principes généraux du droit reconnus comme source primaire de droit international ; sous réserve des dispositions de l’article 59, les décisions judiciaires des pays sont un moyen subsidiaire de détermination des règles de droit ; et les apports d'experts5

La Cour devra se fonder sur les sources susmentionnées qui comportent un périmètre large et assez flexible. D’abord celles de nature conventionnelle. Si l’Accord de Paris n’implique pas nécessairement d’obligations contraignantes, il impose toutefois des devoirs concernant le calendrier à respecter et les informations à fournir par les États tous les 5 ans. De même, le Comité de suivi de l’Accord peut rapporter sur les « bons et les mauvais élèves » concernant les avancements du côté des contributions nationales et autres engagements plus ou moins volontaires. D’autres traités peuvent également alimenter les réflexions de la Cour. Citons ainsi la Convention sur les zones humides (Ramsar 1971), sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES 1973), sur la protection du patrimoine mondial culturel et naturel (Paris, UNESCO 1972) et sur la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe (Berne 1979), parmi les plus importantes. Par ailleurs, la Conférence de Rio de 1992 comportait plusieurs conventions dont l’objectif était de régir le traitement des questions environnementales globales : la Convention sur les changements climatiques et celle sur la diversité biologique. Y est associée la Convention sur la lutte contre la désertification, élaborée à Paris en 1994. N’oublions pas la Convention sur les droits de la mer, les conventions d’Aarhus et Escazu (sur les droits à l’information, participation et accès à la justice en matière environnementale), le récent accord sur le Traité sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer ou encore la Convention de protection des droits de l’enfant qui contient des dispositions spécifiques sur le changement climatique et les générations futures. 

Ensuite, les grands principes de droit international peuvent également guider la Cour. Citons ainsi, le principe de responsabilités communes mais différenciées, le principe de responsabilité (dont le principe de bon voisinage), le principe de coopération, le principe de durabilité, les principes de prévention et précaution et le principe d’équité envers les générations futures. Également, une série de principes se dégagent de certaines conventions régionales comme la Convention européenne des droits de l’homme (Convention EDH) et la Convention interaméricaine des droits de l’homme (Convention IDH), concernant le respect du droit à la vie, à la vie privée et familiale (avec le respect du droit à un domicile digne), le principe de non-discrimination, les principes d’information et participation ainsi que le principe d’un droit à un recours effectif. Enfin, le droit à un environnement sain, durable et propre vient d’être récemment accepté par l’AGNU et devrait pouvoir être intégré dans les pratiques de la Cour. En complément, les différentes jurisprudences internationales, régionales et nationales en matière environnementale et climatique constituent aussi une source pour la CIJ. 

La justice climatique en renfort de l’avis consultatif 

Les effets négatifs du changement climatique ont également des conséquences sur la jouissance des droits de l'homme. Cela avait été reconnu par le rapporteur spécial pour les droits de l’homme et l’environnement6 . Par ailleurs, certains contentieux climatiques ont utilisé les droits de l'homme pour inciter différents tribunaux nationaux à se prononcer sur les obligations climatiques à la charge des États (affaires Urgenda7 ) et des entreprises (affaire Shell8 ). En effet, rappelons qu’en 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a jugé, dans le cadre des affaires Urgenda, que les politiques climatiques inadéquates des Pays-Bas violaient les articles 2 et 8 de la Convention EDH. Le tribunal de La Haye a reconnu pour sa part dans l’affaire Shell que le devoir de diligence de l’entreprise doit s’inscrire dans le respect des articles 2 et 8 de la Convention EDH.

Quant aux décisions à venir en réponse aux requêtes climatiques déposées devant la Cour EDH, elles pourront également préciser la nature et l’étendue des obligations positives à la charge des États. Comme point commun aux requêtes, les requérants affirment qu'ils sont confrontés à des risques sans précédent pour leur vie et leur santé9 . Ils estiment que le changement climatique est une menace pour les moyens de subsistance des populations et accusent les différents États en cause de contribuer à l’aggravation du réchauffement et de ne pas prendre de mesures efficaces pour le contrer. Cela constituerait une violation de leurs droits à la vie, à la vie privée et à la non discrimination en vertu de la Convention EDH. 

Les différents traités en matière environnementale, les principes qui se dégagent de la pratique internationale et les différents contentieux climatiques peuvent contribuer à la définition des obligations positives pour les États. Ils sont devenus, tel que le dernier rapport du Giec le reconnaît, un élément clé de la gouvernance dans la lutte contre le changement climatique10 . De plus, le rapporteur spécial pour les droits de l’homme et l’environnement vient de lancer un questionnaire afin de mieux envisager le contour de ces obligations. Si l’avis consultatif de la CIJ s’inspire, comme il serait souhaitable, des différents éléments cités ici, il permettra enfin de clarifier les devoirs des États sur la question climatique, autant du point de vue de la prévention que de la réparation.
 

  • 2 Ioane Teitiota, un citoyen de l’archipel de Kiribati, avait dénoncé les effets nuisibles des changements climatiques, et notamment, l’élévation du niveau de la mer sur son droit à la vie pour contester son expulsion de Nouvelle-Zélande, Comité des droits de l’homme, Teitiota c. Nouvelle-Zélande, Communication 2728/2016 Doc off CDH NU CCPR/C/127/D/2728/2016 (2019)
  • 3 Articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
  • 4 IPCC, 2023: Climate Change 2023: Synthesis Report
  • 5 K. Horne, M.-A. Tigre, M. Gerrard, Status Report of Principles of International Human Rights Law Relevant to Climate Change (2023).
  • 6 UN Doc A/HRC/37/59 (2018)
  • 7 Tribunal de La Haye, Fondation Urgenda c. Pays-Bas, 24 juin 2015, C/09/456689/HA ZA 13-1396, ECLI :NL :RBDHA :2015 :7145 (Urgenda) ; Cour d’appel de La Haye, Fondation Urgenda c. Pays-Bas, 9 octobre 2018, 200.178.245/01, ECLI :NL:GHDHA :2018 :2610 (Urgenda) ; Cour suprême des Pays-Bas, Fondation Urgenda c. Pays-Bas, 20 décembre 2019, 19/00135, ECLI :NL:HR :2019 :2006 (Urgenda)
  • 8 Tribunal de La Haye, Milieudefensie & al. C. RoyalDutch Shell, 26 mai 2021, C/09/571932 / HA ZA 19-379, ECLI : ECLI:NL:RBDHA:2021:5337 (Shell)
  • 9 Duarte Agostinho et autres c. Portugal et 32 autres États, requête n° 39371/20, 2020 ;Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, requête n° 53600/20, 2021 ;Greenpeace & others c. Norway, requête n° 34068/21, 2021 ; Carême c. France, requête n° 7189/21, 2022
  • 10 IPCC, Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg3/