Alors que le climat et la biodiversité constituent aujourd’hui des préoccupations majeures de l’agenda des discussions internationales, le potentiel des solutions fondées sur la nature (SFN) en général, et de la restauration des terres en particulier, s’avère de plus en plus reconnu1 . Dans ce contexte, l’accumulation d’expérience et de volonté politique au sein de la Convention des Nations unies pour la lutte contre la désertification (CNULCD), qui a tenu sa dernière Conférence des Parties (COP 14) à Delhi (Inde) en septembre dernier, pourrait être mise au profit de la lutte contre le changement climatique et de la préservation de la biodiversité.

Décryptage dans ce billet invité, par Marie-Hélène Schwoob, conseillère auprès du secrétaire exécutif de la CNULCD, des actions d’une convention qui fait le lien entre ces deux sujets majeurs.

Les objets de négociation de la CNULCD, née lors du Sommet de la Terre en 1992 aux côtés de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et de la Convention pour la diversité biologique (CBD), sont susceptibles d’affecter près de la moitié des surfaces terrestres et de la population mondiale. La désertification est en effet trop souvent associée, à tort, aux déserts, comme les étendues sableuses du Sahara, alors qu’elle désigne le phénomène de dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches. Ces zones, qui représentent 46 % de la surface terrestre totale et hébergent environ trois milliards d’êtres humains, parmi les plus vulnérables de la planète, sont loin d’être des « déserts » ; elles abritent en effet 44 % des systèmes cultivés. S’il est vrai que les pays en développement sont particulièrement touchés par la problématique, les pays déclarés affectés se retrouvent sur l’ensemble des continents, avec notamment pas moins de douze pays situés dans l’Union européenne2 .

La CNULCD est la convention internationale pour laquelle les terres constituent l’objet principal de préoccupation et d’étude. La neutralité en matière de dégradation des terres  s’inscrit au cœur des actions des pays parties, dont 122 se sont engagés à fixer des cibles en ce sens. Plus de 80 pays ont d’ores et déjà adopté des cibles nationales, et ont pu bénéficier de l’appui du Mécanisme mondial pour la fixation des cibles et la mise en œuvre des projets et de programmes. Les actions de gestion durable et de restauration3 ou de réhabilitation4 des terres instaurées dans le cadre de ces objectifs constituent une accumulation d’expériences unique, surtout dans un contexte où tant l’IPBES que le Giec alertent sur l’importance majeure des terres : le changement d’usage des terres est la principale cause du déclin de la biodiversité, pointe l’IPBES, tandis que le récent rapport du GIEC sur les sols insiste sur le rôle potentiel qui pourrait être joué par les terres dans l’atténuation du changement climatique, celles-ci constituant le deuxième plus grand réservoir de carbone après les océans5 . La restauration des terres apparaît donc, à la lumière des derniers éléments scientifiques, comme une solution fondée sur la nature – dont certaines études démontrent les faibles coûts et les bons retours sur investissement – qui pourrait permettre de faire le lien entre les agendas climat et biodiversité.

La 14e Conférence des Parties de la CNULCD (COP 14), qui s’est tenue à Delhi, en Inde, du 2 au 13 septembre dernier, a réuni la communauté mondiale de la restauration des terres, rassemblant près de 9 000 participants (gouvernements locaux et nationaux, chefs d’État et d’organisations des Nations unies, mais aussi représentants du secteur privé et de la société civile) autour du thème « Investir dans les terres : développer les opportunités ». Outre l’accent mis sur les liens terres-climat-biodiversité, la conférence a porté le message important que la lutte contre la dégradation des terres s’étend au-delà des seuls aspects biophysiques auxquels elle a trop longtemps été confinée, et s’accomplit avant tout comme une lutte pour l’humain ; la restauration des terres est en effet porteuse de développement économique et d’amélioration des conditions de vie des populations.

Au niveau technique, la COP 14 a permis l’adoption d’une trentaine de décisions visant à encourager les Parties qui ne s’y étaient pas encore engagées à faire de la neutralité en matière de dégradation des terres (cf. Objectif du développement durable n°15.3) une cible nationale. Les décisions identifient également des points de blocage de mise en œuvre et d’actions sur le terrain, liés au foncier et au genre, ainsi que des pistes de travail pour y remédier : les Parties sont ainsi invitées à prendre en considération ces aspects afin de créer un environnement favorable (enabling environment) à la lutte contre la dégradation des terres, et le cadre de suivi et de rapportage des actions de la CNULCD sera retravaillé pour prendre en considération le genre et intégrer les indicateurs existants liés à la gouvernance des terres. Le Comité sur la science et la technologie a pour sa part mis l’accent sur l’importance des modes de production et de consommation. Sur le plan de la lutte contre les sécheresses, dont la fréquence, l’intensité et l’étendue géographique ne cessent de croître, la création d’une boîte à outils et la multiplication des formations et des activités de renforcement des capacités ont été actées. La participation des acteurs non étatiques et la mobilisation des ressources financières innovantes étaient au cœur de la COP 14, avec la tenue de forums, d’événements parallèles et d’événements de haut niveau ayant permis de catalyser les rencontres et les réflexions. Enfin, la COP 14 a permis le lancement d’initiatives comme l’initiative Peace Forest de la Corée du Sud6 ou encore l’engagement du Premier ministre indien N. Modi pour l’augmentation de l’ambition nationale de restauration de 21 à 26 millions d’hectares d’ici à 2030 et pour l’appui aux pays en développement.

La COP 14 de la CNULCD a ainsi prouvé que l’agenda des terres avance et que l’engagement des pays et des acteurs non étatiques en faveur de la restauration se concrétise. Mais ces solutions ne constituent encore qu’une bien petite fraction des solutions envisagées, des connaissances mobilisées et, surtout, des investissements (publics7 et privés8 ) réalisés, alors même que la dégradation continue de coûter chaque année entre 10 et 17 % du PIB mondial. Les expériences de restauration et de gestion durable des terres se multiplient à travers le monde, les bases de données fleurissent. Reste à explorer l’ensemble des moyens pouvant permettre de changer l’échelle de l’action. Des marges de progrès que devraient explorer les trois conventions de Rio au cours des prochaines années.