La COP 30 qui s’est déroulée à Belém se voulait aussi être la « COP de l’adaptation ». L’adoption d’un jeu d’indicateurs de suivi des progrès mondiaux d’adaptation était particulièrement attendue pour permettre de mesurer l’avancement vers l’Objectif mondial d’adaptation mentionné dans l’Accord de Paris sur le climat. Si la liste finalement adoptée est en-deçà de l’ambition initiale et jugée non acceptable par plusieurs pays, elle concrétise un processus lancé il y a plusieurs années, et devrait constituer une base commune utile aux Parties dans leurs contextes nationaux respectifs et dans une perspective de partage d'expériences entre elles. Ce billet de blog analyse le contenu et la portée de ces indicateurs et les met en perspective de leur opérationnalisation dans le cadre concret de plans nationaux d'adaptation.

L'aboutissement d'un long processus

Alors que les risques climatiques s’accroissent, les efforts d’adaptation restent encore insuffisants, comme l’indique à nouveau l’Adaptation Gap Report du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) cette année. La présidence brésilienne de la COP 30 avait affiché l’ambition de porter ce sujet haut dans l’agenda des négociations. Au final, les Parties y ont adopté un nouvel objectif de triplement des financements pour l’adaptation d’ici à 2035 (mais sans dates de référence) et une liste d’indicateurs pour mesurer les progrès d’adaptation. Cette liste est l’aboutissement d’un long chantier ouvert par l’Accord de Paris de 2015, lequel a établi un Objectif mondial d’adaptation consistant à « renforcer les capacités d'adaptation, accroître la résilience aux changements climatiques et réduire la vulnérabilité à ces changements, en vue de contribuer au développement durable et de garantir une riposte adéquate en matière d'adaptation ». Afin de rendre cet objectif opérationnel, un programme de travail de deux ans avait été lancé à la COP 26 en 2021, qui a débouché sur le Cadre des Émirats arabes unis (EAU) pour la résilience climatique mondiale, qui a à son tour initié le Programme de travail des EAU et de Belém sur les indicateurs. Cette architecture complexe est un reflet direct du défi que constitue l'établissement d'un ensemble cohérent et pertinent d'indicateurs d'adaptation au niveau mondial. Il s’agit là d’un défi méthodologique qui fait depuis longtemps l'objet de débats scientifiques et politiques. Aussi, au niveau global, les indicateurs et métriques associées sont restés jusqu’ici limités à une seule dimension quantitative, la dimension économique, laissant de côté une multitude de dimensions plus difficiles à quantifier, mais jouant pourtant un rôle clé dans l’adaptation. La définition de ces nouveaux indicateurs devait ainsi permettre de faciliter l’évaluation des progrès collectifs au niveau international en matière d’adaptation, notamment dans la perspective du second Bilan mondial prévu pour 2028 dans le cadre de l’Accord de Paris prévu. Une telle évaluation est essentielle afin de suivre la conformité des efforts d’adaptation et leur efficacité à réduire le risque et les vulnérabilités, ainsi qu’identifier les écarts pour réaligner les efforts si nécessaire. 
 

Figure. Cibles thématiques et de processus de l’Objectif mondial d’adaptation définies par le cadre des EAU pour la résilience climatique mondiale

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Figure 1 Adaptation

 

Un travail considérable a été réalisé durant les deux dernières années par 78 experts mandatés par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) sous la direction des Parties, pour définir plusieurs milliers d’indicateurs, puis les réduire à 100. Au final, dans un contexte tendu, les Parties ont adopté à Belèm une liste de 59 indicateurs (voir la liste complète), qui fait l'impasse sur certaines thématiques (par exemple les risques transfrontaliers) et présente également des différences notables de formulation avec les propositions des experts. L'accord final a permis d'éviter un échec complet sur cette question, mais le résultat reste inacceptable pour un grand nombre de pays, qui ont exprimé leur mécontentement quant à la manière dont se sont déroulées les négociations. Les pays se sont par ailleurs accordés pour prolonger le travail autour de ces indicateurs afin de fournir des orientations pour leur utilisation et les rendre opérationnels.

Un sujet désormais d’importance globale, mais qui soulève des réserves

Alors que l’adaptation a longtemps été perçue comme un sujet avant tout d’échelle locale, la COP 30 a réussi à définir une première base commune à toute les Parties pour mesurer les progrès d’adaptation malgré les spécificités contextuelles – une tension partiellement résolue par l’expression de nombreuses réserves qui rappellent que l’utilisation de ces indicateurs pour le rapportage des pays reste volontaire et ne doit pas créer de nouvelles obligations. Si cela permet à chaque pays de décider quels indicateurs sont les plus pertinents dans son contexte, une telle flexibilité va limiter la possibilité d'agréger les indicateurs nationaux pour disposer d'une vision globale des progrès de l'adaptation. Cette souplesse dans l’interprétation des indicateurs a même été amplifiée durant la dernière ligne droite lorsque les Parties ont renégocié eux-mêmes certains indicateurs. 

L’enjeu sera maintenant pour les Parties d’affiner ces indicateurs et de voir dans quelle mesure ils peuvent contribuer à activer les efforts d’adaptation, un travail qui pourra notamment faire l’objet de la vision Belém-Addis pour l’adaptation, un processus d'alignement des politiques de deux ans (de la COP 30 à la COP 32) lancé afin de fournir des orientations pour rendre opérationnels les indicateurs. De plus, si ce cadre doit s’imposer comme une référence pour mesurer les efforts d’adaptation d’ici à 2027, les pays auront alors besoin de ressources appropriées (financières, mais aussi en termes de capacités institutionnelles et techniques) pour pouvoir renseigner ces indicateurs, la liste actuelle ne tenant pas compte de la charge inhérente à la collecte des données, à la création des données manquantes et au processus de rapportage associé.

Quel rôle vis-à-vis de la planification et la mise en œuvre de l'adaptation ? 

Un cadre de rapportage international, qui ne doit pas remplacer les priorités nationales

Ces indicateurs ont vocation à servir de base pour le rapportage des pays sur l’adaptation dans le cadre de la CCNUCC. Ils sont cependant majoritairement quantitatifs, donc dépendants de bases de données qui restent incomplètes dans un certain nombre de pays (Biesbroek et al., 2025), et qui ne reflèteront au mieux que des moyennes nationales plutôt que la diversité des situations locales au sein d'un même pays. Par ailleurs, certains pays ont exprimé la crainte que ces indicateurs puissent orienter les financements dédiés à l’adaptation – par exemple issus des bailleurs internationaux – et ainsi invisibiliser d’autres priorités nationales. En théorie, ces indicateurs devraient avant tout aider à réaliser une photographie des efforts d’adaptation à un moment T. Leur objectif n’est donc pas de remplacer les processus et priorités nationaux en matière de planification, de mise en œuvre et de systèmes d'évaluation sur l'adaptation ; mais de constituer une base de travail fournissant, au fil du temps, des indications sur les grandes tendances et évolutions (positives ou négatives) de l’adaptation au niveau mondial. Autrement dit, ils vont aider à savoir « là où nous en sommes », mais ne disent pas « vers quoi il faudrait aller » – les réponses à cette question étant nécessairement différentes d’un pays à l’autre. 

Une base pour engager des discussions au niveau national et entre États

L'existence de certains indicateurs peut toutefois permettre d’éclairer des zones d'ombre de la planification nationale, sa mise en œuvre et son suivi/évaluation. Ils peuvent par exemple inciter à s’interroger : si un indicateur ne peut être renseigné, cela signifie-t-il qu’il n’est pas pertinent dans le contexte national, ou révèle-t-il une lacune dans la disponibilité des données, les capacités de suivi, ou la planification ? Le cadre adopté à Belém pourrait ainsi provoquer, dans certains cas, un rehaussement de l’ambition des efforts d’adaptation nationaux. Il pourrait en outre permettre d’encourager et de faciliter le partage d'expériences entre pays (Beauchamp et al., 2024), par exemple sur la manière dont sont traités certains enjeux, sur la base des lacunes identifiées, et ainsi favoriser la coopération internationale en identifiant les pays qui ont des pratiques particulièrement intéressantes dans certains domaines et dont d'autres pourraient s'inspirer, y compris en valorisant des transferts de connaissances et de pratiques du Sud vers le Nord.

Des indicateurs qui ne doivent pas masquer le besoin d’approches qualitatives complémentaires 

Enfin, certaines dimensions de l’adaptation, y compris relatives à ses conditions de mise en œuvre, telles que la gouvernance ou l’engagement de la société civile, restent difficiles à quantifier, alors même qu'elles sont centrales. La complexité des enjeux nationaux risque d'être d'autant plus invisibilisée que la liste finale s'est focalisée sur un jeu d'indicateurs encore plus réduit et moins complet que ceux proposés par les experts. De plus, comme expliqué plus haut, les indicateurs ne permettent pas de mesurer l’écart entre ce qui est réalisé et ce qui serait souhaitable. Or, l’un des enjeux cruciaux soulignés par le Giec est de définir des trajectoires de développement résilient en conciliant des visions du monde, intérêts, et valeurs qui peuvent diverger entre de multiples parties prenantes (Giec, 2022). Il est donc nécessaire de développer des indicateurs à la fois qualitatifs et fondés sur la co-construction de ces visions communes des enjeux et des solutions, en complément des indicateurs d’adaptation de Belém. 

L’Iddri plaide depuis plusieurs années pour développer l’utilisation de telles méthodologies, et montrer qu’elles pourraient être utiles pour rendre l’Objectif mondial d’adaptation plus opérationnel. Les méthodes par jugements d’experts structurés, comme l’approche GAP-Track développée par l’Iddri, peuvent permettent de faire le lien entre les échelles locale, nationale et globale, avec des résultats déjà probants (Magnan et al., 2023). En élargissant la notion d’experts, il est possible d’inclure le savoir expérientiel de multiples parties prenantes (populations, décideurs, secteur privé, etc.), au service de la co-construction d’une vision partagée des enjeux, et de la définition de pistes de réponse (Magnan et al, 2025). En d’autres termes, ces méthodologies favorisent à la fois le diagnostic (« où en sommes-nous ? ») et la co-construction de réponses (« où voulons-nous aller collectivement ? »). Reste à savoir comment ces approches complémentaires pourront être croisées avec les résultats de l’approche par indicateurs ; sur ce point, les débats au sein de la CCNUCC sont pour l’heure inexistants.