Dans un contexte général d’exacerbation des tensions sécuritaires et économiques, la biodiversité semble reléguée loin des priorités des États. De nombreux reculs en la matière peuvent en effet être constatés1 en termes de politiques publiques, notamment en Europe, et nous éloignent des cibles adoptées par l’ensemble des pays dans le Cadre mondial pour la biodiversité (CMB). Alors que la COP 17 de la biodiversité, prévue en octobre 2026 en Arménie, sera l’occasion d’un bilan à mi-parcours de la mise en œuvre du CMB, est-elle condamnée à constater que l’agenda favorable à la biodiversité est enterré ?
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Notamment, la course internationale aux minéraux critiques ne met actuellement pas en avant les conditions environnementales et sociales de leur extraction (Iddri, 2025a). En Europe, les récents vote du Parlement européen concernant les directives sur le devoir de vigilance (CS3D) et le reporting de durabilité (CSRD), la proposition du Commissaire à la santé sur les procédures d’autorisation des pesticides et la présentation par la Commission européenne de la nouvelle stratégie bioéconomie de l’Europe.
Des approches originales pour la biodiversité hors des cénacles habituels en 2025
Discrets au cœur d’une actualité (géo)politique mouvementée, certains rendez-vous internationaux importants pour les décideurs et acteurs du champ de la biodiversité se sont tenus en 2025, comme la seconde partie de la COP 16 de la biodiversité en février ou le Congrès mondial de la nature en octobre. Mais c’est lors de la COP 30 du climat, qui s’est tenue à Bélem au Brésil en novembre, que des pas en avant ont été franchis pour la biodiversité, avec des éléments du texte de décision et des engagements en faveur de l’adaptation de l’agriculture et de la forêt, de la préservation des forêts tropicales et des droits à la terre des peuples autochtones2, et des discussions nourries entre acteurs économiques sur les enjeux nature lors de la pré-COP de Sao Paulo. En figure de proue, le lancement du Tropical Forest Forever Fund (TFFF – Fonds pour la permanence des forêts tropicales) vise à redistribuer entre 2 et 4 milliards de dollars par an aux pays tropicaux en développement qui auront préservé leurs forêts. Il faudra plusieurs années pour que le fonds soit opérationnel. Les annonces à la COP 30 ont permis de rassembler environ 6,6 milliards de dollars de contributions initiales, qui devraient atteindre 25 milliards afin de générer sur les marchés financiers les montants escomptés pour la redistribution.
La COP 30 a également été l’occasion du lancement du Bioeconomy Challenge, qui vise à identifier et développer en 3 ans les cadres de gouvernance nécessaires à la mise en œuvre des principes de haut niveau du G20, adoptés lors de la présidence du Brésil en 2024. Si cette dynamique est intéressante pour placer la biodiversité au cœur des stratégies de développement, comme on l’observe dans certaines récentes stratégies régionales ou nationales dédiées, notamment en Amérique latine et en Afrique australe, le terme de bioéconomie couvre un spectre très large, qui n’est pas synonyme de durabilité ni de retombées positives pour la biodiversité et les populations (Iddri, 2025c). L’un des enjeux sera donc d’identifier les conditions clés du développement de la socio-bioéconomie, qui repose sur des chaînes de valeur encore peu développées (de produits forestiers non-ligneux par exemple comme l’açaï ou le rooibos), étroitement liées aux pratiques de populations autochtones et locales et à la protection de la biodiversité dans leurs territoires. Un autre enjeu sera de ne pas perdre de vue la priorité à donner à la transition des secteurs primaires aux pratiques majoritairement non durables (agriculture, pêche, forêt), que le tournant vers la bioéconomie pourrait intensifier notamment pour la production de biocarburants ou de biomatériaux.
2026 : le défi d’un bilan pragmatique sur les politiques de biodiversité
Les cas présentés ci-dessus ne sont qu’une illustration parmi d’autres du défi qui attend la revue mondiale des progrès de la Convention sur la diversité biologique (CDB) : il serait illusoire de prétendre à un exercice exhaustif. Les politiques propres à l’atteinte des cibles pour la biodiversité à 2030 devraient globalement montrer du retard, voire des suspensions ou des reculs (seuls 62 pays sur 196 ont soumis une stratégie nationale à date, et les bilans de mise en œuvre pour ceux qui en ont seront vraisemblablement mitigés). Mais une part importante des actions conditionnant l’atteinte des cibles du CMB relèvent d’arènes politiques couvrant d’autres thématiques ou secteurs que la biodiversité, et sont mises en œuvre par des acteurs non-étatiques dont seule une fraction est connectée à la CDB. Lorsqu’il s’agit d’actions mises en œuvre par des communautés locales, des associations ou des entreprises, elles sont difficilement centralisables et analysables par les gouvernements nationaux qui présentent l’avancement des actions pour la biodiversité de leur pays.
Deux types de dynamiques nous semblent particulièrement intéressantes à observer ; celle des acteurs de la stabilité financière et du financement de l’économie, et celle des acteurs clés de l’économie, en l’occurrence les entreprises.
En matière de financement de long terme, on peut noter les efforts de lisibilité des banques multilatérales et nationales de développement, dont le guide pratique publié par plusieurs d’entre elles à la COP 30. Les institutions de Bretton-Woods (Banque mondiale, Fonds monétaire international) sont également directement concernées par ces orientations. Leurs réunions annuelles, se tenant au printemps et à l’automne, peuvent être l’occasion d’acter en interne une amélioration des pratiques de suivi et des priorités dans la sélection des projets financés. Plus largement, la capacité des financements publics à faire effet de levier sur des financements privés sera clé, et l’on peut observer un début de dynamique en la matière, comme avec ce récent rapport, également lancé à la COP 30, qui propose des standards en matière de partenariats public-privés. En outre, à la suite de l’analyse de la Banque centrale européenne, il faudra suivre la reconnaissance du rôle clé de la biodiversité dans la stabilité financière régionale et mondiale, ainsi que les initiatives visant à réduire les risques d’inassurabilité, liés notamment à l’incapacité croissante des écosystèmes à assurer la résilience des sociétés face aux événements climatiques extrêmes, comme celles lancées par l’Insurance Development Forum (IDF) et par le Forum for Insurance Transition (FIT) du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).
En ce qui concerne les entreprises, le début de l’année 2026 sera marqué par le Forum économique mondial et la 12e session plénière de l’IPBES qui se penchera sur un rapport dédié au lien entre les entreprises et la biodiversité. Si les risques géopolitiques et de désinformation ont été évalués par les chefs d’entreprises comme les plus néfastes aux affaires à court terme lors des dernières éditions, les risques climatiques et liés à l’érosion de la biodiversité et des ressources naturelles sont toujours bien présents et prévalent à moyen terme (10 ans). Au vu des efforts engagés par certaines précurseurs, dont des grands groupes internationaux, des voix d’entreprises s’élèvent pour maintenir les politiques de préservation de la biodiversité, telles que le règlement européen sur la déforestation importée. Ces positions contredisent l’argument invoqué par le Conseil européen selon lequel la réglementation environnementale des dernières années nuirait aux affaires. Alors que les cadres politiques sont affaiblis, les engagements volontaires des entreprises sont de plus en plus attendus. Le rapport de l’IPBES abondera en ce sens, en mettant en relief les différentes options qui s’offrent aux entreprises pour mieux intégrer la biodiversité, et les options dont disposent les décideurs pour les accompagner. Ces discussions devraient dépasser la question principalement traitée aujourd’hui, i.e. celle du reporting des entreprises sur la biodiversité. En la matière, le problème n’est pas tant le manque de méthodologies pour mesurer l’impact et les risques de transition que la prolifération des approches, et ce autant en Asie qu’en Europe. Une harmonisation de ces normes et métriques pourrait utilement focaliser l’action des entreprises.
Les transformations structurelles en faveur de la biodiversité semblent donc se poursuivre dans certains cas, en arrière-plan d’un agenda environnemental ouvertement attaqué. Les différents rendez-vous de 2026 précédent la COP 17, sans être connectés au processus de la CDB, sont autant de jalons qui pourront montrer que des secteurs et des territoires qui se sont engagés ces dernières années dans une voie de transition n’ont pas enterré la biodiversité.