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Maripoldata

 

 

 

Le samedi 4 mars 2023, la présidente de la conférence intergouvernementale chargée d'élaborer un accord visant à protéger la biodiversité en haute mer a déclaré : « Le navire a atteint le rivage ». Après plus de 15 ans de discussions et une route semée d’embûches, le consensus sur un accord visant à assurer la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité dans les zones marines situées au-delà de la juridiction nationale (BBNJ en anglais) a finalement été atteint.

Conservation et compromis

Ce consensus est un succès majeur pour le multilatéralisme et un développement historique du régime juridique de l'océan qui comble les lacunes de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), adoptée en 1982. Le traité met en place des processus de protection de l'environnement marin, résout un différend de longue date sur le principe du patrimoine commun de l'humanité1 et renforce le développement des capacités et le transfert de technologies, permettant ainsi à tous les États de prendre part à la gestion de ce vaste bien commun.

En imposant l'obligation d'assurer la conservation et l'utilisation durable, en reconnaissant la valeur intrinsèque de la biodiversité et en appelant les parties à « agir en tant que gardiens de l'océan », l'accord fournit une base solide et un nouvel élan pour la protection de la biodiversité en haute mer.

L'accord permet la mise en place d'outils de gestion par zone (ABMT en anglais)  dans les zones marines situées au-delà de la juridiction nationale, y compris des aires marines protégées (AMP). Les parties soumettront des propositions, qui seront évaluées par un organe scientifique et technique. La Conférence des Parties (COP) décidera ensuite d'adopter ou non la proposition, idéalement par consensus mais avec la possibilité d'un vote à la majorité des ¾2 . Une procédure d'« opt-out » a finalement été incluse, permettant à une Partie de justifier une dérogation à la mesure approuvée à la majorité.

L'accord vise à promouvoir la coopération et la coordination, et les négociateurs ont dû s'assurer qu'il ne porterait pas préjudice à la diversité des instruments, cadres et organismes ayant déjà un mandat en matière de biodiversité en haute mer3 . La COP mènera des consultations et formulera des recommandations, tandis que les Parties à l'accord devront promouvoir la conservation et l'utilisation durable de cette biodiversité dans les enceintes compétentes. La question de l’articulation avec les organisations existantes et de la cohérence de leurs actions avec les objectifs de conservation feront certainement l’objet d’intenses débats. 

La COP aura par ailleurs la possibilité de de reconnaître des mesures existantes adoptées dans d'autres forums, telles que les AMP de haute mer établies dans l'Atlantique du Nord-Est par la Commission OSPAR par exemple. Les Parties à certaines conventions de mers régionales et d'autres organismes ont en effet développé des actions en matière de gestion de la haute mer, et le nouvel accord pourrait donc leur apporter une reconnaissance et offrir un soutien supplémentaires à ces efforts.

Les dispositions de la CNUDM relatives aux études d’impacts environnementaux sont renforcées par le nouveau traité qui établit un processus clair exigeant la consultation des parties prenantes et l'implication du STB. Les pays en développement ont plaidé en faveur d'un processus d'EIE « internationalisé » qui aurait permis aux Parties, par l'intermédiaire de la COP et d'autres organes de l'accord BBNJ, d'exercer un contrôle et une participation beaucoup plus importants.

Ces propositions incluaient la possibilité de confier à la COP le pouvoir d'autoriser ou de refuser en dernier ressort une activité proposée. Toutefois, beaucoup d’États développés n'étaient pas disposés à céder leur souveraineté sur les activités menées en haute mer. L'accord laisse donc à l'État qui réalise l'EIE le soin de décider si une activité peut être menée, le rôle des autres Parties se limitant à la notification et à la consultation.

L'accord prévoit également la possibilité d'élaborer des évaluations environnementales stratégiques (EES), un processus proactif et collaboratif visant à évaluer les connaissances scientifiques et à comprendre les incidences potentielles des développements futurs. Ces évaluations pourraient être réalisées lorsque de nouvelles activités et menaces pour la biodiversité se profilent, telles que l'exploration de nouvelles zones de pêche.

Résoudre le différend sur les ressources génétiques marines

L'accord résout le désaccord longtemps insoluble concernant le statut juridique des ressources génétiques marines (RGM), utilisées pour développer des produits pharmaceutiques, des cosmétiques et d'autres produits. Les États du Sud ont insisté sur le fait que les RGM font partie du patrimoine commun de l'humanité et que des règles devraient être élaborées pour réglementer l'accès et partager les bénéfices issus de leur exploitation. Les pays développés, quant à eux, souhaitaient pour beaucoup que les RGM restent largement non réglementées, sans obligation de partager les bénéfices futurs. 

L'impasse a commencé à se débloquer au cours de la première semaine, lorsque les États développés ont accepté d'effectuer des versements anticipés à un fonds spécifique, en plus de leurs contributions budgétaires ordinaires. Plutôt que d'être répartis entre toutes les Parties – comme c'est le cas pour les ressources minérales des fonds marins –, les bénéfices monétaires seront utilisés pour soutenir la mise en œuvre de l'accord, promouvant ainsi la conservation, l'utilisation durable et le renforcement des capacités. Des désaccords subsistaient néanmoins sur les paiements ultérieurs une fois les produits commercialisés, ainsi que sur les exigences en matière de rapportage et l'inclusion de l'information de séquençage numérique (DSI en anglais)4 .

Un compromis a été trouvé, selon lequel la COP devra examiner d'autres modalités de partage des avantages monétaires. En outre, des dispositions ont été incluses pour accroître la transparence et le partage des résultats de la recherche et du développement, notamment par le biais d'identifiants normalisés pour les RGM, de rapports réguliers et de procédures de notification.

Du consensus à la convention

Bien qu'un consensus ait été trouvé, le temps a manqué pour « nettoyer » le texte et l'adopter formellement. La présidente a donc suspendu la conférence et une brève session de reprise se tiendra pour adopter formellement l'accord après l'édition technique et la traduction dans les six langues de l'ONU.
 
Une fois l'accord adopté, d'autres tâches ardues se profilent : obtenir les 60 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur, évaluer les capacités et les besoins des États, mettre en place le cadre institutionnel et faire progresser les connaissances scientifiques nécessaires à des décisions efficaces. 

L'accord final laisse également beaucoup de travail à la première réunion de la COP. Outre la mise en place des structures institutionnelles pertinentes5 , celle-ci devra notamment décider du taux des contributions au fonds de partage des avantages, préciser le rôle du Fonds pour l'environnement mondial dans la fourniture d'un soutien financier et élaborer les processus de consultation et d'évaluation pertinents pour les mesures de conservation et les études d'impact.

Larguer les amarres

L'efficacité de l'accord BBNJ est à présent entre les mains des gouvernements et des décideurs. La société civile, les scientifiques et les autres parties prenantes sont appelés à jouer un rôle important, et des efforts sont déjà en cours pour identifier les prochaines étapes de la mise en œuvre et les candidats possibles à la création d’aires protégées. Le navire a peut-être atteint le rivage, mais un long voyage l’attend encore.