Le rapport spécial du Giec sur un réchauffement climatique de 1,5°C paru en 2018 montre que la réalisation des objectifs de l'Accord de Paris sur le climat implique des transitions rapides et profondes dans les domaines de l'énergie, de l’usage des terres et des écosystèmes, de l'industrie, des systèmes urbains et des infrastructures. Même s'il ne s'agit pas de la solution miracle, le changement technologique est un important catalyseur de ces transformations. Ce billet de blog, qui résume un article scientifique publié par trois auteurs du rapport du Giec (dont Henri Waisman, Iddri) dans Environmental Research Letters, présente huit conclusions sur le rôle des technologies dans la transition bas-carbone dans le contexte du développement durable.

Trois niveaux d'évaluation sous-tendent les résultats du rapport du Giec sur les catalyseurs technologiques de la transition nécessaire vers un monde à faibles émissions de carbone : (1) la modélisation technico-économique, qui fournit des données sur les tendances technologiques à l’échelle globale (chapitre 2) ; (2) les évaluations de faisabilité, qui analysent les changements économiques, institutionnels, culturels ou socio-économiques nécessaires pour éliminer les obstacles et fournir un contexte propice à un déploiement technologique plus large (chapitre 4) ; et (3) l'analyse des synergies et des compromis entre différentes options technologiques et dimensions du développement durable (chapitre 5). Le premier type d'évaluation fait souvent l'objet d'une attention particulière de la part des lecteurs du rapport spécial du Giec (SR1.5), notamment les administrations, le secteur privé et la société civile, ainsi que les médias, qui diffusent les résultats à un public plus large. Toutefois, ces trois méthodes d'évaluation distinctes mais complémentaires doivent être considérées conjointement afin d'assurer une interprétation correcte des résultats et, partant, de fournir des conclusions solides et pertinentes pour la décision politique.

Conclusion n° 1. Les technologies qui soutiennent une demande énergétique plus faible permettent des synergies plus prononcées et un plus faible nombre de compromis en matière de développement durable. Il s'agit notamment des options en matière d'efficacité énergétique, telles que des moteurs industriels, des véhicules, des appareils électroménagers ou des structures de bâtiments plus efficaces. Ces technologies sont généralement plus matures que d'autres technologies d'atténuation du changement climatique et, lorsqu'elles sont dûment encouragées, elles facilitent le déploiement d'options à faible intensité de carbone du côté de l'offre, car elles réduisent la valeur absolue de la production requise et, partant, l'ampleur de l'augmentation de capacités.

2. D'ici 2050, une augmentation drastique des énergies renouvelables jusqu'à 70 à 85 % de la production d'électricité et une réduction des sources fossiles à presque zéro dans le cas du charbon sont nécessaires dans le secteur de la production d'électricité. Le degré de dépendance à l'égard d'autres technologies à faibles émissions varie selon les scénarios ; c’est un domaine dans lequel des choix peuvent être faits. Ces choix se font au niveau national, local ou individuel et dépendent d'un certain nombre de paramètres, parmi lesquels les caractéristiques et préférences collectives, les comportements, et les capacités institutionnelles et financières. Celles-ci peuvent, par exemple, expliquer en partie les approches divergentes d'un pays à l'autre quant au déploiement de l'énergie nucléaire.

3. Les actions à court terme dans le domaine des technologies devraient combiner le déploiement rapide des technologies existantes à faibles émissions avec des efforts parallèles pour développer et commencer à déployer un large éventail de nouvelles technologies. Plus le déploiement des options technologiques d'atténuation existantes sera rapide et approfondi au cours de la prochaine décennie, plus la dépendance à l'égard des technologies nouvelles et plus incertaines sera faible à long terme. Toutefois, les technologies qui ne sont pas actuellement disponibles sur le marché jouent un rôle important pour permettre les transitions à faibles émissions de carbone. La recherche, le développement, la démonstration et le déploiement d'un large éventail de nouvelles technologies pour la transition future constituent un domaine clé de la coopération internationale.

4. Les facteurs de changement non technologiques, tels que les infrastructures ou les comportements, conditionnent la faisabilité de différentes options technologiques. Par exemple, des modes d'urbanisation plus denses permettent le déploiement de transports publics et non motorisés ; le potentiel de substitution de produits dans les systèmes industriels dépend de l'organisation des marchés et des incitations gouvernementales ; les changements de régime alimentaire, la réduction du gaspillage alimentaire et une production alimentaire efficace dépendent largement des changements de comportement des consommateurs comme des producteurs.

5. Le rôle et la contribution d'une option technologique donnée au niveau du système dépendent de la stratégie plus large qui est appliquée dans tous les secteurs. Par exemple, les perspectives en matière d’électricité renouvelable dépendent de la dynamique d'autres secteurs, en particulier les transports (véhicules électriques et trains), l'industrie (électrification, hydrogène vert) et le chauffage des bâtiments (pompes à chaleur).

6. Pour obtenir des trajectoires compatibles avec un réchauffement de 1,5° C, il faut éliminer le dioxyde de carbone de l'atmosphère. Mais le nombre et l'ampleur des technologies d'élimination du dioxyde de carbone (EDC) varient considérablement selon les trajectoires ; des réductions d'émissions à court terme plus élevées diminuent la nécessité d'un déploiement à grande échelle de ces options. Le rôle et la faisabilité d'une technologie d'EDC dans un secteur donné dans la perspective du maintien du réchauffement climatique à 1,5° C dépendent de la capacité des autres secteurs à imaginer des solutions pour réduire suffisamment leur empreinte carbone.

7. Les spécificités locales et nationales, y compris les politiques visant à limiter les compromis, permettent de déterminer si des synergies avec le développement durable sont possibles, et par conséquent quels portefeuilles de technologies seront mis en œuvre. Les choix technologiques doivent être faits en fonction des spécificités du contexte local en termes, par exemple, de disponibilité des ressources (cruciales pour la faisabilité des énergies renouvelables), de caractéristiques géographiques (un pays avec beaucoup de régions éloignées peut favoriser un système électrique décentralisé pour fournir de l'électricité à tous), et de synergies avec d'autres priorités en matière de développement durable (des fourneaux améliorés prolongent les réserves de combustibles et donc réduisent la déforestation, soutiennent l'égalité des chances en réduisant le nombre d'enfants souffrant d'asthme et offrent des possibilités plus grandes d’émancipation aux femmes des communautés autochtones et rurales).

8. Les investissements dans le déploiement des technologies et la R&D doivent s'inscrire dans une perspective à long terme et systémique qui tienne compte des conséquences des actions à court terme sur la réalisation des objectifs de long terme en matière de climat et de développement durable et des interactions entre les décisions prises sur les différentes composantes de la transformation. Il s'agit notamment de prendre en compte le risque financier lié à l'adoption à court terme d'options à forte intensité de carbone dans le contexte d'une transition bas-carbone, compte tenu notamment du risque de dépendances de sentier et d’actifs échoués. Les marchés actuels ne saisissent pas nécessairement ces effets ni n'offrent les incitations appropriées, si bien des combinaisons d'instruments politiques, associées aux changements de comportements, à l’innovation technologique, au renforcement des capacités institutionnelles et à une gouvernance à plusieurs niveaux seront nécessaires pour corriger ces imperfections des marchés.

Ces perspectives issues du rapport du Giec proposent des orientations sur les actions réalisables à mettre en œuvre dans le cadre d’une transition écologique permettant d’atteindre des objectifs à la fois climatiques et de développement durable. Elles éclairent également les choix entre différentes options technologiques et stratégies d'atténuation tout en prenant en compte les compromis possibles avec les priorités socio-économiques et de développement définies dans chaque contexte local.