[Série ODD N°2] L’adoption des Objectifs de développement durable (ODD) a été le résultat d’un long processus de négociation entre pays, avec une implication sans précédent de la société civile. Les ONG internationales de coopération, d’environnement ou des droits humains – rompues aux négociations internationales – ont été très actives dans ce processus pour proposer des cibles et se sont ainsi appropriées les ODD. C’est beaucoup moins le cas des ONG nationales, qui ont été peu consultées et utilisent encore peu les ODD pour renforcer leurs actions. Il est essentiel de passer d’un processus international de négociation inclusif à une mise en œuvre nationale participative. Les ODD ont besoin des ONG, et les ONG ont besoin des ODD : ils leurs offrent de nouvelles opportunités pour faire avancer leurs idées et leurs projets.

Les ODD permettent de tenir les gouvernements comptables de leurs progrès

Les ODD créent un cadre de redevabilité commun à tous les pays. Ce cadre comporte des objectifs plus ou moins précis et chiffrés, plus ou moins nouveaux, sur lesquels se sont engagés les Etats, et dans une moindre mesure les entreprises (voir le prochain billet de blog sur les entreprises). Chaque année, les Etats doivent communiquer aux Nations unies leurs statistiques sur plus de 200 indicateurs de suivi, et au moins à deux reprises d’ici 2030 ils devront présenter un rapport sur les progrès réalisés, au Forum politique de haut niveau (FPHN). Par ailleurs, au niveau national, les gouvernements doivent – en concertation avec toutes les parties prenantes, dont les ONG – utiliser les ODD pour évaluer la durabilité de leur pays et les besoins d’action, élaborer de nouvelles stratégies politiques et réévaluer régulièrement les progrès réalisés.

Les ONG nationales ont un rôle décisif à jouer pour faire fonctionner ce cadre de redevabilité, à travers leurs activités de plaidoyer, et les obligations mentionnées précédemment constituent autant d’occasions pour ces ONG de tenir leurs gouvernements comptables et d’alerter sur les enjeux encore insuffisamment pris en compte. Déjà, des ONG nationales produisent des shadow reports, qui apportent une analyse critique de l’état d’avancement des ODD dans leur pays, comme l’a fait la coalition d’ONG suisse Alliance Sud. Elles peuvent même, à l’image d’une coalition d’ONG allemandes, présenter ces shadow reports à New York lors du FPHN et ainsi attirer l’attention de la communauté internationale sur des problèmes de mise en œuvre du développement durable dans leur pays. D’autres utilisent les indicateurs clés des ODD pour établir des classements ou comparer la performance de leur pays avec celle des pays voisins, comme le projet 2030 Watch porté par l’Open Knowledge Foundation en Allemagne.

Par ailleurs, grâce à son principe général de ne « laisser personne de côté », les ODD constituent un outil de plaidoyer intéressant pour un grand nombre d’ONG caritatives et de droits humains. Un outil de plaidoyer en faveur de politiques publiques conçues en priorités pour atteindre les populations les plus marginales ou vulnérables, pour apporter un nouveau souffle à des enjeux « oubliés » ou marginalisés, pour rappeler aux gouvernements de ne pas se reposer sur ce qui est déjà acquis pour la majorité des citoyens.

Les ODD peuvent aussi apporter de nouvelles « munitions de plaidoyer » sur des thématiques particulière. L’ODD 10 sur les inégalités engage par exemple les pays à s’assurer que les revenus des 40% de la population les plus pauvres croissent à un rythme plus rapide que le revenu moyen national. Cet objectif constitue un engagement nouveau pour tous les pays, et notamment la France, et donc une nouvelle occasion pour les ONG de mettre la question des inégalités à l’agenda.

Les ODD permettent aux ONG de former de nouvelles alliances

Les notions « d’indivisibilité » et « d’universalité » sont au cœur des ODD. L’ensemble des objectifs doit être atteint par les pays, en prenant en compte les interactions entre ces objectifs et l’impact des actions d’un pays sur les autres.

Les ONG sont souvent bien conscientes de la nécessité de travailler de manière transversale, hors des silos thématiques traditionnels, d’avoir une approche systémique des enjeux pour avancer de manière plus efficace vers un développement plus durable. Pourtant, comme les institutions publiques, elles peinent encore à développer des actions de plaidoyer communes. Les ODD peuvent constituer un socle de collaboration entre ONG de développement, ONG environnementales et ONG sociales, et cette collaboration hors silos a d’ores et déjà commencé au niveau international. Elle doit maintenant se concrétiser dans les pays. En Europe, on voit émerger de telles alliances, à l’image du SDG Watch Europe au niveau continental, ou des coalitions déjà citées précédemment en Allemagne ou en Suisse. Dans d’autres pays, de telles alliances peinent à voir le jour ou en sont à leurs prémices, comme en France.

Les ODD étant universels, ils peuvent aussi constituer un socle pour que les ONG des différents pays collaborent, au-delà des frontières. Pour qu’elles s’enrichissent de leurs expériences respectives, de leurs propositions, et soient ainsi plus fortes sur les scènes nationale et internationale. De telles alliances pourraient voir le jour de façon transversale, ou sur des thèmes spécifiques. À quand par exemple une alliance entre les ONG en Europe et celles en Amérique Latine sur l’ODD inégalités ? À l’heure actuelle, il semble que nous n’en soyons pas encore là.

Les ODD peuvent inspirer des nouvelles actions de terrain

Les ONG sont des acteurs de la redevabilité des États, tout comme des collectivités locales ou des entreprises, et les ODD peuvent les aider dans ce rôle. Mais elles sont aussi – directement – des acteurs du changement via leurs actions de terrain en faveur de la santé, de l’éducation, de l’environnement, dans leurs pays d’origine ou à l’étranger. D’une certaine manière, elles sont elles-mêmes redevables et doivent rendre compte de leur contribution aux ODD. Seules ou en partenariat avec des pouvoirs publics, des bailleurs de fonds ou des entreprises, elles sont attendues pour renforcer leurs actions de terrain et prendre en compte, dans ces projets, le caractère indivisible des ODD : protéger l’environnement par exemple ne peut se faire au détriment des populations locales, et vice versa. Une évidence théorique qui ne se retrouve pas toujours dans la pratique.

Certains gouvernements tentent de mobiliser les ONG, notamment via des plateformes d’engagement de la société civile, qui mettent en avant les projets les plus innovants. Cela prendra du temps d’observer si et comment les ODD modifient effectivement les projets sur le terrain. À n’en pas douter, l’ampleur de ce changement sera fortement conditionnée par les ressources financières dont disposent les ONG. Et donc par la manière dont les bailleurs publics et privés avec lesquels les ONG collaborent (États, collectivités locales, agences de développement, fondations privées, entreprises) se saisiront des ODD.

Il faut renforcer l’appropriation des ODD par les ONG

Les ONG se saisissent-elles des opportunités que présentent les ODD ? Si certaines « bonnes pratiques » émergent, une réelle dynamique n’est pas encore observable partout, notamment en France. Plusieurs explications peuvent être avancées : manque de connaissance des ODD ; manque de ressources ; manque de crédibilité des processus de mise en œuvre lancés par les États ; manque d’implication des ONG dans ces processus ; manque de portage politique des ODD au plus haut niveau des États.

L’appropriation des ODD par les ONG nationales dépend donc de plusieurs facteurs. Au-delà du travail de sensibilisation des ONG nationales qui doit être mené par l’ONU, les États ou les ONG internationales, celles-ci ont besoin de ressources humaines et financières pour mener à bien cette tâche. Elles ont aussi besoin, plus que jamais, de pouvoir peser sur l’agenda politique, ce qui n’est pas une évidence dans certains pays où la critique n’est pas tolérée par les gouvernements. Et même dans les pays où les ONG disposent d’une réelle liberté d’action et de parole, elles ne s’approprieront les ODD que si elles ont la conviction que les gouvernements prennent au sérieux les objectifs mondiaux qu’ils ont adoptés en 2015. À suivre le 3e et dernier article de la « série ODD » de l’Iddri...