Appelées à être parties prenantes de la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD), les entreprises commencent à se mobiliser. Néanmoins, nombre d’ONG sont sceptiques face à ces premiers engagements. Ce billet explore les raisons de ce scepticisme et propose des pistes pour renforcer la confiance entreprises-ONG et garantir le niveau d’ambition du secteur privé.

Si les ODD s’adressent avant tout aux gouvernements nationaux, le secteur privé est un acteur important de leur mise en œuvre. L’article 67 de l’Agenda 2030 pour le développement durable invite en effet les entreprises à investir et à innover afin d’apporter de nouvelles solutions aux problèmes du développement durable ainsi qu’à observer les normes sociales, sanitaires et environnementales qui contribuent à l’atteinte des ODD. Nombre d’entreprises ont initié des réflexions sur leur contribution aux ODD et élaborent des stratégies, voire commencent à les mettre en œuvre. Face à ces premières mobilisations, les ONG sont assez sceptiques. Nous avons interviewé vingt ONG afin de mieux comprendre leurs doutes et d’identifier des pistes pour renforcer l’effectivité et la confiance dans la mobilisation du secteur privé.

ODD : le manque de transparence des entreprises dans le suivi des engagements

Depuis l’adoption des ODD, les entreprises commencent à se mobiliser en affichant leurs engagements et actions de mise en œuvre (voir par exemple, en France, la plateforme Global Impact+). Cette mobilisation concerne également le secteur financier : la Banque mondiale, en partenariat avec BNP Paribas, a par exemple lancé en mars 2017 des obligations destinées à financer les projets qui contribuent aux ODD. Les ONG expriment néanmoins des craintes sur la concrétisation de ces engagements et la réalité de ces contributions, dans la mesure où ils ne s’accompagnent pas forcément de mécanismes de suivi et de rapportage (reporting) transparents permettant de les évaluer. De plus, elles craignent que les entreprises adoptent des objectifs moins ambitieux pour maximiser leur chance de les atteindre.

Sur ce plan, les ONG ont un rôle de tiers de confiance à jouer pour vérifier et évaluer les engagements des entreprises, à côté de ceux des autres parties prenantes. Ce rôle ne se cantonne d’ailleurs pas à une sanction des résultats a posteriori, mais peut aussi prendre la forme d’un accompagnement des entreprises pour les aider à améliorer leurs pratiques. Certaines ONG ont développé une véritable expertise dans ce rôle de critical friend, à l’image d’Oxfam qui a accompagné Unilever dans sa démarche d’amélioration des conditions de travail. Les entreprises seront d’autant plus encouragées à se fixer des objectifs ambitieux et à les respecter qu’elles seront dans une dynamique de collaboration et de dialogue avec les ONG.

La crainte du cherry picking

Les ODD requièrent des entreprises des efforts importants pour engager des transformations profondes. Les ONG, conscientes de ces enjeux, redoutent que les entreprises ne se focalisent alors que sur les objectifs/cibles pour lesquel(le)s elles ont de meilleurs résultats, au détriment des autres, et sans véritablement changer leurs modèles économiques : c’est le risque du cherry picking.

Ce risque est a priori bien réel : un sondage réalisé par PwC en 2015 auprès de plus de 900 entreprises montrait que seulement 1% d’entre elles prévoyaient d’évaluer leurs impacts à l’aune des 17 ODD. Afin de limiter ce risque, les ONG pourraient utiliser les ODD comme un outil d’analyse systématique des démarches de développement durable des entreprises afin d’en montrer les avancées et les limites. Par exemple, l’existence d’un objectif consacré aux inégalités (ODD 10) est une opportunité significative pour mettre en avant les enjeux de rémunération, de distribution des bénéfices et de pratiques fiscales. Si certains responsables RSE utilisent déjà cet ODD pour lancer le débat sur ces enjeux au sein de l’entreprise, ces initiatives restent des cas isolés : l’ODD10 fait ainsi partie des derniers ODD prioritaires pour les entreprises (voir les sondages de PwC de 2015 et de CRS Europe de 2017). Face à la tentation du cherry picking, les ONG peuvent encourager et aider les entreprises à adopter le challenge picking, en se focalisant sur les enjeux critiques propres à chacune d’entre elles.

Engagement des entreprises pour les ODD : le risque d'un désengagement des gouvernements ?

Nombre d’ONG craignent que le fait de reconnaître les entreprises comme des parties prenantes de l’Agenda 2030 soit un moyen pour les gouvernements de se désengager partiellement de sa mise en œuvre, en le « sous-traitant » au secteur privé. Ce discours sur les parties prenantes, dans lequel l’État n’en est qu’une parmi d’autres, inciterait ainsi les gouvernements à adopter une posture de retrait, se posant plus en animateur de plateforme qu’en acteur de la régulation. Là encore, les ONG pourraient jouer un rôle pour construire la transparence et la confiance dans l’implication du secteur privé. Certaines ONG interrogées nous ont ainsi mentionné l’exemple du rôle qu’elles pourraient jouer dans les partenariats publics-privés (PPP) afin d’assurer qu’ils soient en conformité avec les ODD, à l’instar de ce que propose l’initiative People-first PPPs.

Les acteurs publics nationaux comme locaux peuvent quant à eux mettre en place des institutions permettant de construire cette confiance entreprises-ONG. Ils pourraient par exemple associer des représentants d’ONG à une plateforme chargée de présenter chaque année la contribution des entreprises nationales aux ODD.

ODD et effectivité de l'engagement des entreprises : les ONG doivent sensibiliser pour créer de la demande sociétale

Les doutes des ONG sur l’effectivité de l’engagement des entreprises pour les ODD révèlent les défis auxquels vont être confrontées les entreprises, mais aussi les gouvernements, dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030 :

  • créer un système de suivi transparent qui permette de mesurer les progrès accomplis ;
  • engager des transformations ambitieuses des modes de production et de consommation ;
  • organiser les responsabilités des différentes parties prenantes et leurs partenariats.

Pour chacun de ces défis, les ONG ont un rôle clé à jouer. Les ONG doivent également être, aux côtés des gouvernements, acteurs de la sensibilisation du grand public aux ODD. D’après le sondage de CRS Europe, la principale raison pour laquelle les dirigeants des entreprises ne s’intéressent pas aux ODD est le faible niveau de sensibilisation du grand public. Les ONG commencent néanmoins à se mobiliser sur cet enjeu, notamment à travers un projet financé par la Commission européenne et coordonné par SDG Watch qui vise à sensibiliser le grand public aux ODD dans 15 pays européens.