L'Inflation Reduction Act (IRA) adopté en août 2022 par les États-Unis comprend notamment un ensemble de mesures et de programmes d’action en faveur de la décarbonation ; l’objectif est de poser les bases de la compétitivité de l’économie américaine dans un monde bas-carbone. Salué pour son ambition climatique inédite, ce plan suscite néanmoins de vives inquiétudes sur le continent européen quant aux risques pour l’Union européenne d’être dépassée dans la course aux technologies innovantes bas-carbone (green race) dans le domaine industriel. C’est dans ce contexte que la présidente de la Commission européenne Ursula van der Leyen a présenté à Davos en janvier dernier et à Bruxelles le 1er février le Plan industriel du Pacte vert, soit les contours de la réponse européenne à l’IRA. Quelles priorités devraient guider les débats sur la mise en œuvre de ce plan, plus particulièrement lors du prochain Conseil européen extraordinaire des 9 et 10 février prochains ? 

Malgré des éléments protectionnistes qui méritent une discussion diplomatique entre partenaires, l’IRA est une bonne nouvelle à la fois pour la lutte contre le changement climatique, en ce qu’il permettrait de réduire les émissions des États-Unis de 1 Gt par an en 2030 (rapprochant ainsi le pays de son objectif climatique à l’horizon 2030), et pour certaines entreprises européennes qui pourront quand même bénéficier du marché américain pour continuer à se développer et profiter des économies d’échelles. Pour les Européens, il convient donc de ne pas se tromper de réponse et de se concentrer sur l’accélération et l’attractivité de leur soutien à l’investissement dans le verdissement de leur industrie, ce que le plan dévoilé le 1er février par la Commission esquisse. 

Quelle attractivité de l’IRA pour la décarbonation de l’industrie ?

Que contiennent l’IRA et son volet climatique, à l’origine de la discussion en Europe ? En raison des contraintes politiques internes qui rendent toute approche règlementaire difficile, c’est avant tout un plan d’aide à l’investissement dans les industries bas-carbone s’appuyant sur des incitations à l’achat et à la production bas-carbone via l’octroi de crédits d’impôts. Il contient effectivement des éléments protectionnistes dans certains de ses volets, via l’imposition de critères de contenu locaux pour obtenir certains soutiens comme l’aide à l’achat de véhicules particuliers, qui peuvent faire l’objet de discussions bilatérales et commerciales et, si nécessaire, une réponse par l’emploi en Europe de mesures similaires. Celles-ci semblent pourtant limitées et l’essentiel de ce plan provient de crédits d’impôts attractifs pour les investisseurs dans un éventail large de technologies bas-carbone. 

Point essentiel, de nombreux soutiens financiers inclus dans l’IRA n’ont pas de limite absolue et dépendront donc des volumes de production engagés avec l’avantage pour les investisseurs de ne pas être en compétition avec d’autres développeurs de projets bas-carbone pour les mêmes fonds. L’estimation du Congress Budgetary Office (CBO) de 391 milliards de dollars de dépenses publiques sur dix ans pour la transition climatique pourrait être ainsi plus faible ou plus importante selon le déploiement des technologies bas-carbone1 . C’est donc bien la générosité et la stabilité dans les projets de décarbonation de l’industrie sur une longue période qui constitue le cœur de l’attractivité de l’IRA pour les investisseurs. 

Face au plan américain, l’Europe n’a pourtant pas à rougir de la comparaison. Elle dispose d’un cadre réglementaire ambitieux en cours de finalisation, avec notamment le paquet Fit for 55 qui a permis de mettre en mouvement les acteurs innovants dans les technologies bas-carbone, mais aussi d’un soutien politique élevé pour la lutte contre le changement climatique. Ce qui manque aujourd’hui au sein de l’UE, c’est l’impulsion pour investir des fonds publics et prendre des risques pour le déploiement de technologies innovantes dans la décarbonation de l’industrie : les soutiens financiers sont limités ou en cours de définition au niveau européen et via des plans nationaux (aux Pays-Bas, en Allemagne et en France notamment). C’est sur cette dimension (soutien et « dérisquage » des investissements) que la réponse européenne doit porter, d’autant plus que l’IRA n’est pas unique en son genre : la Chine, le Japon et l’Inde ont également annoncé des plans d’investissement, dans une course aux technologies vertes qui s’accélère (tendance identifiée par la communication de la Commission). Une accélération de l’Union européenne est donc nécessaire tant sur le plan économique, son Pacte vert ayant été présenté comme une stratégie de compétitivité, que sur le plan politique, une fuite hors UE des projets innovants dans les technologies bas-carbone affaiblirait le consensus autour de l’action ambitieuse sur le climat en fermant les perspectives d’avenir pour l’industrie européenne.

Trois priorités pour le plan européen pour l’industrie verte

La communication de la Commission se concentre à juste titre sur une réponse domestique à l’IRA, plutôt que sur des mesures de rétorsion ou de réciprocité en matière commerciale. Elle identifie des leviers importants pour augmenter et sécuriser le soutien aux projets industriels bas-carbone en Europe, mais c’est bien dans le détail des mesures que ce plan enclenchera que l’on pourra juger de la capacité des Européens à accélérer la décarbonation et la compétitivité de leur industrie. Trois priorités doivent guider le débat européen des prochains mois :

Première priorité : centrer le soutien public sur les technologies innovantes et radicalement bas-carbone qui peuvent aujourd’hui coûter plus cher mais qu’il convient de développer. L’assouplissement du régime d’aide d’État et la simplification des procédures annoncé par l’Union européenne peut accélérer l’octroi des aides et l’accès au soutien des acteurs les plus innovants. Toutefois, des conditions strictes doivent être conservées quant au fléchage vers des technologies et projets dont il ne fait pas de doute qu’ils auront un rôle à jouer dans une économie neutre en carbone, également quant à la performance en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans ce cadre, des mécanismes en cours de discussion, mais qui peinaient à se traduire dans les faits, comme les contrats-carbone différence peuvent être utilisés, de même que la commande publique, qui permettrait de garantir des marchés importants pour les nouveaux matériaux bas-carbone. Le plan industriel pour le Pacte vert peut-être le moment pour faire bouger les lignes sur ces sujets.

Deuxième priorité : approfondir la définition d’une stratégie de transition industrielle pour l’Europe à horizon de dix ans poursuivant les objectifs de neutralité climatique et les objectifs d’autonomie de l’Europe et intégrant les échanges avec les partenaires commerciaux du continent. Cette stratégie devrait offrir une vision intégrée de l’évolution des filières chaînes de valeur industrielles en prenant en compte que tous les pays européens n’ont pas les mêmes atouts pour se spécialiser dans l’ensemble des technologies bas-carbone. Sans ralentir l’accélération nécessaire des aides à court terme, ce plan permettrait de fixer et d’ajuster des objectifs à l’échelle des secteurs industriels annoncés dans la loi sur l’industrie neutre en carbone à venir, mais aussi d’identifier les besoins d’investissements, d’orienter le développement des réseaux énergétiques européens et d’alimenter les objectifs des accords environnementaux et commerciaux avec les partenaires extérieurs de l’UE. Les révisions des plans nationaux énergie-climat prévues en 2023 et la définition à venir de l’objectif climatique 2040 peuvent être l’occasion de faire émerger cette vision commune.

Troisième priorité : poser les bases d’un plan de financement à long terme de la transition industrielle basé sur le principe de solidarité financière entre Européens. C’est aujourd’hui le sujet le plus fortement débattu entre pays européens. C’est aussi le point sur lequel la communication de la Commission reste peu détaillée en évoquant uniquement une proposition de Fonds pour la souveraineté européenne à l’été. C’est pourtant un débat essentiel à résoudre pour ne pas créer d’antagonismes entre pays européens et pour que l’ensemble des États membres aient la capacité d’accueillir des projets de décarbonation. Les montants des aides aux entreprises approuvés par la Commission sont éloquents à ce titre, avec près de 80 % des montants correspondant à des aides par l’Allemagne et la France. Relâcher le contrôle des aides d’État sans prévoir ce volet de solidarité financière ne ferait qu’amplifier les plaies interne de l’Union et accroître le risque de fragmentation du marché unique, entre les pays qui peuvent investir seuls et ceux dont les finances publiques sont plus contraintes. Le débat sur le financement de la transition industrielle devrait être lié à celui sur la réforme du pacte de stabilité et de croissance qui doit garantir la capacité des Européens à investir dans les besoins de la transition bas-carbone. De même, ce plan industriel devrait appuyer le développement d’outils de financement européens et ne pas se contenter de refinancer des aides nationales pour garantir une coordination des projets européens et un déploiement équilibré des projets d’industrie bas-carbone en Europe. 

L’accélération aux États-Unis comme en Chine ou au Japon de la course aux technologies vertes ne doit pas faire perdre de vue qu’elle est une évolution positive pour accroître les chances d’atténuer le changement climatique. Un travail diplomatique doit être mené pour aligner les approches entre Européens et Américains sur les conditions de localisation qui concernent tout particulièrement l’industrie automobile et éviter d’enclencher une course protectionniste via l’emploi de clauses similaires. La réponse européenne doit néanmoins être l’occasion d’améliorer l’attractivité de son économie pour les projets innovants d’industrie bas-carbone. C’est un défi de taille pour les Européens qui devront sortir au plus vite de la crise énergétique en cours en accélérant l’efficacité et la sobriété et le déploiement rapide des énergies renouvelables et bas-carbone pour garantir des ressources énergétiques disponibles. Pourtant, les Européens ne manquent pas d’atouts sur les plans technologique, financier ou règlementaire pour prendre toute leur place dans cette course afin de bâtir la compétitivité des économies de demain.

Crédit image : Commission européenne