Le 20 juillet 2016, la Commission européenne publiait sa proposition portant sur la décision relative à la répartition de l’effort (DRE), fixant des objectifs nationaux de réduction des GES pour les secteurs non couverts par le système d’échange d’émissions de l’Union. Cette proposition s’applique à environ 60 % des émissions de GES en Europe, principalement dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l’agriculture. Cette toute nouvelle proposition est fondée sur les objectifs européens d’émissions de GES auxquels l’UE s’est engagée lors de la conférence climatique de l’an dernier qui a conduit à l’Accord de Paris, mais ne suit pas le calendrier envisagé pour réviser le niveau d’ambition mondiale. Les objectifs nationaux proposés sont différenciés suivant le niveau de développement économique et prévoient des marges de manœuvre donnant aux États membres la liberté de réduire leurs efforts sectoriels. Dans le climat d’incertitude actuel, une réévaluation du niveau d’ambition de l’UE serait bénéfique pour traduire les objectifs politiques en mesures nationales et locales efficaces.

Partage des mécanismes de distribution et d’assouplissement

La décision relative à la répartition de l’effort (DRE) répartit entre les États membres un objectif de réduction des émissions de GES d’ici 2030 à l’échelle de l’UE par rapport aux niveaux de 2005 pour les secteurs non couverts par le système d’échange d’émissions (SEQE). Elle vise à atteindre une réduction de 40 % des émissions totales de GES par rapport à 1990 dans l’UE, ce qui est l’objectif qui avait été décidé lors du Conseil européen d’octobre 2014 et mis sur la table lors de la conférence sur le climat de Paris l’an dernier. Dans la pratique, les pays de l’UE seront tenus, de 2021 à 2030, de respecter chaque année une limite annuelle d’émissions de carbone et feront l’objet d’une pénalité sur leur obligation de l’année suivante s’ils n’y parviennent pas. Une certaine souplesse leur est accordée puisqu’ils peuvent épargner les émissions autorisées non utilisées pour les utiliser plus tard, ou encore emprunter à l’avance les émissions autorisées pour les années à venir, jusqu’à une certaine limite, au cas où ils dépasseraient leur limite d’émission au cours d’une année. Des transferts entre pays sont également autorisés. La Commission européenne contrôlera officiellement les progrès réalisés par les États membres tous les cinq ans.

Comme ceux adoptés à l’horizon 2020, les objectifs nationaux sont basés sur le PIB relatif par habitant, afin de fixer des objectifs plus stricts pour les pays les plus riches. Les cibles des pays à revenu élevé sont également ajustées en fonction d’une évaluation de leur potentiel de réduction des émissions. Par rapport au niveau des émissions de 2005, les objectifs nationaux proposés vont de -40 % pour la Suède et le Luxembourg à 0 % pour la Bulgarie (voir Figure 1 ci-dessous) et des objectifs plus stricts s’appliquent aux États d’Europe occidentale et des pays nordiques (la cible de l’Allemagne est de -38 %, celle de la France et du Royaume-Uni est de -37 %), tandis que les objectifs à atteindre pour les pays d’Europe de l’Est sont plus faibles.

Projections du scénario de statu quo

Si l’on considère les projections du scénario de statu quo à l’horizon 2020 réalisées par l’Agence européenne pour l’environnement, le tableau n’est plus tout à fait le même. Ces projections tiennent compte des tendances d’émissions récentes et des mesures existantes et peuvent être utilisées pour évaluer le niveau d’effort et les mesures supplémentaires nécessaires dans la décennie de 2020 à 2030. La pression reste plus élevée pour les pays occidentaux et les pays nordiques, mais elle est réduite par les réductions d’émissions qui auront eu lieu depuis 2005. En revanche, les pays les plus touchés par les crises économiques et la plupart des pays d’Europe de l’Est seront déjà proches ou au-dessus de leur objectif. Pour 12 pays, les objectifs proposés impliquent une réduction des émissions de 8 % par rapport aux émissions de 2005, et six pays seraient autorisés à augmenter leurs émissions entre 2020 et 2030, avant même la prise en compte de toutes les options d’assouplissement (voir Figure 1). La Pologne, la Roumanie et la Lettonie seront plus éloignées de leurs cibles à l’horizon 2030 en 2020 parce que leurs émissions couvertes par la DRE ont augmenté depuis 2005, mais en quantités relatives plutôt faibles.

Figure 1. Objectifs nationaux d’émissions de GES pour les secteurs non SEQE par rapport aux émissions de 2005 et éloignement de l’objectif d’après les projections suivant le scénario de statu quo 2020, avec et sans utilisation de nouvelles flexibilités (en %)

Figure 1. Objectifs nationaux d’émissions de GES pour les secteurs non SEQE par rapport aux émissions de 2005 et éloignement de l’objectif d’après les projections suivant le scénario de statu quo 2020, avec et sans utilisation de nouvelles flexibilités (en %)
Source : Commission Européenne et Scénario avec mesures existantes de « Trends and Projections in Europe in 2015 », AEE

Utiliser les réductions d’émissions provenant d’autres secteurs pour de nouvelles dispositions d’assouplissement

Par ailleurs, de nouvelles possibilités sont offertes aux États membres qui peuvent remplir une partie de leur obligation en utilisant les réductions d’émissions provenant d’autres secteurs. Il existe deux sortes de nouvelles dispositions d’assouplissement :

  1. l’une permet à chaque pays d’utiliser une quantité de réductions d’émissions découlant de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie (UTCATF) en fonction de la taille relative de leur secteur agricole. Dans le cas où tous les pays utiliseraient complètement cette marge de manœuvre liée à l’UTCATF, une réduction de 280 MtCO2 éq. pourrait être réalisée en dehors du périmètre des secteurs non-SEQE sur la période 2021-2030, ce qui équivaudrait à un assouplissement de l’objectif global non-SEQE compris entre 1 % et 29 % par rapport aux niveaux de 2005.
     
  2. La deuxième marge de manœuvre possible concerne neuf pays au revenu relativement élevé et leur permet d’annuler les quotas du SEQE et de les prendre en considération dans leur obligation pour les secteurs non-SEQE. Cette disposition est également limitée à un total de 100 MtCO2 et les pays éligibles devront décider avant 2020 s’ils souhaitent en faire usage, et dans quelle mesure, pendant toute la période. Une pleine utilisation de cette marge de manœuvre aura le même effet qu’une réduction de 0,34 % de la cible non-SEQE. Par conséquent, l’impact global des dispositions d’assouplissement sur la rigueur du plafond des émissions non-SEQE n’est pas si important (1,3 % des émissions de 2005 environ), mais pourrait être significatif au niveau national : cela représente par exemple près de 10 % des émissions de 2005 de l’Irlande, ou un tiers de son objectif non-SEQE à l’horizon 2030 (voir figure 2)

Les objectifs  de la décision relative à la répartition de l’effort par rapport aux objectifs à long terme de l’Accord de Paris

À un autre niveau, il est important d’évaluer la cohérence de la décision avec les efforts mondiaux visant à atténuer les changements climatiques. À cet égard, la décision mentionne l’Accord de Paris, et en particulier son mécanisme de révision :

« L’Union européenne et toutes les autres parties sont tenues de communiquer leur contribution déterminée au niveau national (CDN) tous les 5 ans, à la lumière des informations tirées du bilan mondial qui aura lieu en 2023, et tous les cinq ans par la suite. » (voir page 2)

En conséquence, un examen de tous les éléments de la décision est prévu avant février 2024 afin de préparer une éventuelle révision du niveau d’ambition pour 2025. Cela ne tient absolument pas compte de la possibilité pour les Parties d’accroître dès 2020 leur engagement pour 2030 après le dialogue de facilitation sur l’atténuation en 2018. L’Accord de Paris exige que les Parties limitent collectivement l’augmentation de la température en dessous de 2°C et visent 1,5°C. Cependant, l’objectif actuel de l’UE correspond à une réduction des émissions de GES de 80 % (voir Figure 2) et une augmentation probable de 2°C ou plus dans la plupart des scénarios récents de la CCNUCC (voir tableau SPM.1 ici). L’UE, comme les autres Parties, devra augmenter son ambition avec le temps pour atteindre les objectifs climatiques à long terme.

Figure 2. Emissions de GES historiques et scénario de statu quo (BAU) dans l’UE par rapport aux objectifs 2030 et de long terme (-80 à -95 % en 2050) Figure 2. Emissions de GES historiques et scénario de statu quo (BAU) dans l’UE par rapport aux objectifs 2030 et de long terme (-80 à -95 % en 2050)[/caption]

Source : Iddri à partir du rapport “Trends and projections in Europe in 2015” de l’AEE

Un message ambitieux sur l’action collective [...] consisterait à donner les moyens pour qu’une révision des objectifs nationaux soit effectuée plus tôt, afin d’ouvrir la voie à une augmentation de l’ambition climatique de l’UE en conformité avec les objectifs fixés par l’Accord de Paris.

Pour conclure, il est utile de rappeler le but de ces objectifs nationaux qui sont destinés à « (...) inciter à adopter d’autres politiques entraînant des réductions plus importantes ». Les politiques sectorielles ne sont pas encore suffisantes en Europe pour atteindre les objectifs d’atténuation à long terme comme le montre l’évolution des émissions suivant le scénario de statu quo estimée par l’Agence européenne pour l’environnement dans la Figure 2. Il semble évident que le rythme de la transformation doit accélérer en Europe pour être sur la bonne voie pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. La transition doit même commencer si l’on considère le secteur des transports couvert par cette décision et qui représente un quart des émissions de GES de l’UE. On peut toutefois s’interroger sur le message politique envoyé à travers la proposition DRE par la Commission européenne aux États membres. Un mélange d’objectifs modérément ambitieux et de nouvelles dispositions d’assouplissement ainsi que l’éloignement dans le futur de la révision pourraient s’avérer l’excuse parfaite pour beaucoup d’entre eux pour adopter un comportement attentiste. Au moment où l’avenir de l’Europe s’assombrit, un message ambitieux sur l’action collective serait certainement utile. Un premier pas dans cette direction consisterait à donner les moyens pour qu’une révision des objectifs nationaux soit effectuée plus tôt, afin d’ouvrir la voie à une augmentation de l’ambition climatique de l’UE en conformité avec les objectifs fixés par l’Accord de Paris.