Secteur clé de la transition bas-carbone, la politique de rénovation énergétique des bâtiments reste en-deçà de ses objectifs, en dépit des progrès réalisés ces dernières années. Comment dès lors amplifier la dynamique, en ciblant particulièrement les rénovations performantes sur le plan énergétique et climatique ? Alors que le Président de la République a souhaité placer ce nouveau quinquennat sous le signe de l’urgence climatique et de la planification écologique, comment appréhender la gouvernance des politiques de rénovation énergétique dans un contexte de crises – géopolitique, sociale, économique et écologique – particulièrement difficile à manœuvrer ?
 
S’appuyant sur les travaux d’une plateforme d’experts sur la rénovation énergétique des logements privés animée par l’Iddri et l’Ademe depuis près de deux ans, ce billet de blog vise à résumer les enjeux autour de 5 axes clés. 

Mettre le cap sur la rénovation performante 

On peut saluer l’effort de massification des rénovations énergétiques enclenché avec la création puis le renforcement du dispositif d’aide MaPrimeRénov1 depuis 2 ans, avec près de 650 000 de projets financés pour la seule année 2021, profitant pour deux tiers aux ménages modestes et très modestes. Or, selon l’analyse faite par le Comité d’évaluation du plan France Relance, 86 % des dossiers concernent des rénovations « mono-gestes » et principalement de remplacement de chaudières, tandis que les rénovations performantes et globales restent encore marginales.

L’analyse comparée des principaux scénarios prospectifs visant à atteindre la neutralité carbone en 2050 met pourtant en exergue un point crucial : respecter la trajectoire définie implique de déclencher rapidement une dynamique massive de rénovations performantes, afin d’atteindre pour chaque bâtiment le niveau de performance énergétique maximal (en fonction de la faisabilité technique et économique), en vue de porter l’ensemble du parc en moyenne au niveau bâtiment basse consommation (BBC). 

Comme l’illustre un Document de propositions récemment publié par l’Iddri, aligner l’ensemble des dispositifs de politiques publiques (aides, accompagnement, financement, réglementation, structuration de l’offre) avec cet objectif de performance représenterait un changement de paradigme important. Celui-ci ne pourra se faire du jour au lendemain, ce qui valide l’intérêt d’une planification cohérente, afin de mettre en œuvre cette transition de façon progressive et cohérente. 

Planifier la « transition juste » en temps de crise : un équilibre à trouver, une cohérence à assurer

Accélérer la transition écologique en période de crises – géopolitique, énergétique, économique, sociale, écologique – semble aussi indispensable que difficile. Avec une tentation politique quasi-irrésistible de cibler d’abord l’urgence sociale et économique à court terme, parfois à contre-courant des logiques de transition. Ce qu’a fait le gouvernement français en réponse à la hausse rapide des prix des énergies depuis septembre 2021, en engageant plus de 25 milliards d’euros de fonds publics pour réguler – de façon non-ciblée – les prix et préserver le budget des ménages et entreprises.

Or, les limites d’une telle politique sont déjà visibles, dans un contexte où les prix des énergies risquent de rester à des niveaux élevés pendant au moins trois ans, selon la communication de la commission européenne publiée le 18 mai. 

Dans ce contexte, la planification écologique consiste à traiter l’urgence sociale à court terme tout en ne perdant pas de vue les objectifs et la trajectoire de moyen et long terme, selon le principe de « 1 €=1 € » : pour chaque euro d’aide à la facture, un euro doit être fléché vers l’accélération de la transition, seul levier pour réduire la vulnérabilité aux crises à venir. Appliqué à la rénovation énergétique, cela impliquerait de mettre en œuvre des aides au paiement des factures ciblées sur les acteurs les plus vulnérables tout en lançant une vaste vague de rénovation, à commencer par un programme massif de rénovations BBC de passoires thermiques habitées par des ménages modestes. 

Structurer l’offre de rénovation performante : une controverse à dépasser, un marché à créer 

La faible structuration du marché des rénovations performantes reste le talon d’Achille des politiques de rénovation qui se focalisent aujourd’hui principalement sur la demande. Mais la faible attention portée à la structuration reflète également une controverse rarement rendue explicite, entre ceux qui affirment que la faible structuration de l’offre représente un point de blocage important et ceux arguant que l’offre s’adaptera à condition de faire face à une demande massive et structurée. 

Dilemme qui ne saura être dépassé qu’à condition d’embarquer l’ensemble des parties prenantes (à commencer par les professionnels) dans un processus visant à élaborer un diagnostic partagé et une feuille de route stratégique (voir ci-dessous) pour définir ensemble les priorités. 

Planifier la massification du marché des rénovation performantes exigera également de mieux appréhender les enjeux d’innovations technologiques et surtout organisationnelles en lien avec la rénovation énergétique. On peut à ce titre regretter l’absence criante des enjeux de rénovation énergétique dans les priorités du plan France 2030.

Créer les conditions d’une gouvernance transversale des politiques du logement

Les logements font l’objet de nombreuses politiques, aux approches et finalités différentes : politiques sociales, d’urbanisme et d’aménagement, d’accès au logement. Pour des raisons historiques et de gouvernance, ces politiques continuent à fonctionner majoritairement en silos, générant un manque de synergies et des opportunités manquées. 

À la croisée des enjeux sociaux (précarité énergétique et hausse des prix), sanitaires (insalubrité et impact des privations de chauffage sur la santé publique), économiques (le marché du bâtiment et ses 150 milliards de chiffre d’affaires) et écologiques (incluant l’adaptation aux effets du réchauffement climatique), les enjeux énergie-climat devront être intégrés de façon transversale dans ces politiques, en identifiant les synergies potentielles tout comme les éventuels points de friction. 

Élaborer une feuille de route stratégique pour les politiques de rénovation énergétique sur 10 à 15 ans

Planifier, c’est avant tout fixer un cap et une trajectoire pour l’atteindre, déclinée en leviers opérationnels. Si le cap est connu pour le secteur du bâtiment (atteindre la neutralité carbone et un parc « BBC » en 2050), la trajectoire pour y arriver reste incertaine. Et ce d’autant plus que la majorité des instruments politiques restent gérés de façon conjoncturelle, sans aucune visibilité sur la programmation des budgets ou les évolutions réglementaires attendues sur les prochaines années.

La nécessité d’une telle feuille de route apparaît d’autant plus forte face au défi d’alignement des politiques avec l’objectif de massification des rénovations énergétiques performantes : en effet, en l’absence de signaux clairs et crédibles et déclinés dans le temps, il serait plus qu’optimiste d’espérer que les acteurs de marché (du côté de l’offre comme de la demande) adopteront spontanément ces orientations. 

Le même constat vaut pour des dispositions réglementaires comme la « disparition » des passoires thermiques (article 22 de la loi Énergie-Climat de 2019) ou encore l’interdiction progressive de location des passoires thermiques : sans plan de mise en œuvre crédible (intégrant la question du contrôle et des sanctions), ces obligations ne déploieront que peu d’effets.  

L’élaboration d’une telle feuille de route devrait également intégrer l’enjeu de la programmation pluriannuelle des financements publics au service de la rénovation énergétique, selon la proposition émise par la Convention citoyenne pour le climat (p. 283), également reprise par le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur la rénovation énergétique des bâtiments (p. 120).  

Et bonne nouvelle, pour concrétiser la planification des politiques de rénovation énergétique, le gouvernement dispose de deux opportunités à court terme, dont l’articulation reste par ailleurs à préciser : 

  • la nouvelle feuille de route de la rénovation énergétique des bâtiments (introduite par l’article 1 de la loi Énergie-Climat de 2019) qui devrait être annexée à la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et donc logiquement intégrer le processus d’élaboration de la stratégie française énergie-climat (SFEC). 
  • La « feuille de route sur la décarbonation du cycle de vie du bâtiment » lancée dans le cadre des feuilles de route de décarbonation des filières industrielles prévues par l’article 301 de la loi Climat et Résilience de 2021. 

Pour aller plus loin :