Face à la crise des prix de l’énergie, l’État français a fait le choix d’un blocage des tarifs du gaz et de l’électricité pour tous les consommateurs. Avec un coût public de 20 milliards d’euros pour la seule année 2022, cette approche par les prix soulève d’importantes questions de soutenabilité budgétaire. Et ce d’autant qu’elle risque d’occulter les deux enjeux principaux pour faire face à cette crise : proposer des mesures efficaces et justes ciblées sur les ménages et les entreprises les plus vulnérables face à ce choc des prix qui touche aussi bien l’énergie que les produits alimentaires ; et accélérer massivement les politiques de rénovation énergétique, seules à même de réduire notre dépendance aux énergies fossiles dans le secteur des bâtiments. 

Le blocage des tarifs ne répond pas aux besoins des plus vulnérables 

Qu’il s’agisse du blocage des tarifs sur le gaz et l’électricité ou encore de la réduction de 15 centimes d’euros au litre pour les carburants, l’action politique récente sur les prix a le mérite de la rapidité et de la simplicité. Mais celle-ci se paie au prix fort. Sur le plan financier tout d’abord : l’ensemble des aides face à la hausse des prix de l’énergie s’élève désormais à plus de 30 milliards d’euros depuis fin 2021, soit autant que l’ensemble des dépenses publiques favorables au climat en 2021 (y compris du plan de relance) selon les chiffres d’I4CE1 .

Sur le plan social ensuite : une aide par les prix revient à consacrer plus de moyens financiers aux ménages les plus aisés car ceux-ci consomment plus d’énergie, et revient donc à s’affranchir du principe d’équité, qui voudrait qu’on soutienne davantage les plus modestes et les plus vulnérables. Pour les plus modestes, une revalorisation de 100 € du chèque énergie et une indemnité inflation de 100 € (également pour les ménages aux revenus inférieurs à 2 000 €/mois) ont été mises en place, mais demeurent insuffisantes pour assurer un bouclier aux ménages vulnérables, comme le montrent les deux exemples suivants. Dans le cas d’un ménage modeste habitant une passoire thermique de 100 m² chauffée au gaz en classe « F » du diagnostic de performance énergétique (soit 330 kWh par m² et par an) l’augmentation de facture atteint plus de 700 euros en octobre 2021 (date de mise en œuvre du blocage tarifaire) par rapport à janvier 2019, plus de 1 200 € par rapport à janvier2021). Pour y faire face, le ménage a obtenu 200 € d’aide via le chèque énergie additionnel et l’indemnité inflation. 

Pour une personne modeste qui doit faire 50 km aller-retour en voiture pour se rendre au travail tous les jours, à 1 000 km par mois et avec une consommation de 7 l/100 km, l’augmentation des prix du gazole se monte à un peu plus de 500 € sur l’année, tandis que la réduction de 15 centimes au litre durant 4 mois lui rapporte 42 € au total, et 126 € sur l’année dans l’hypothèse où la mesure serait prolongée sur une année. 

Quelle place pour la rénovation énergétique dans le plan de résilience ? 

Dans le sillage de l’initiative européenne « REPowerEU », le gouvernement français a annoncé le 16 mars dernier son plan Résilience économique et sociale, visant à répondre au contexte de la guerre en Ukraine et à la volonté entre autres de réduire rapidement la dépendance aux importations d’énergies fossiles depuis la Russie. Comme le montre un Document de propositions récent de l’Iddri, des mesures de restrictions dont l’effet se limite au court terme peuvent être adoptées pour réduire rapidement la dépendance de manière significative, mais le principal levier réside dans l’accélération des stratégies de réduction  structurelles de la consommation d’énergie, au premier rang desquelles la rénovation énergétique des bâtiments.

En matière de rénovation énergétique, la principale annonce à destination des ménages concerne une bonification des aides MaPrimeRénov de 1 000 €, fléchée sur le remplacement de chaudières au gaz et au fioul. 

Si elle constitue un signal additionnel pour encourager le lancement de rénovations énergétiques, cette mesure risque néanmoins d’aggraver le principal défaut existant du dispositif d’aide français. En effet, comme le mentionnent les différents rapports d’évaluation récents (du Haut Conseil pour le climat en 2020, de l’Assemblée nationale en mars 2021, de la Cour des Comptes en septembre 2021, du Comité d’évaluation du plan de relance en octobre 2021), si le dispositif MaPrimeRénov a effectivement permis une massification des projets, il l’a fait en privilégiant systématiquement les gestes individuels de travaux (86 % des dossiers) et notamment les changements de chaudière, là où les « rénovations globales » représentent aujourd’hui à peine 0,1 % des dossiers. 

L’aide aux gestes uniques de travaux ne constitue pas une solution à long terme

Or, changer de chaudière sans améliorer l’isolation de l’enveloppe du bâtiment peut s’avérer contre-productif à long terme, qu’il s’agisse du confort du ménage, des gains réels en matière de performance énergétique et de réductions des émissions de gaz à effet de serre, ou de facture énergétique. 

S’agissant justement d’un plan de « résilience », on peut ainsi regretter que l’effort d’accélération des politiques de rénovation énergétique dans un contexte de crise géopolitique et de hausse des prix de l’énergie néglige à ce point le chantier de la massification des rénovations globales et performantes atteignant le standard « bâtiment basse consommation » (BBC), qui pourtant constitue le principal levier pour réduire durablement la vulnérabilité des ménages à la hausse des prix de l’énergie. Et ce alors que la mise en œuvre de la neutralité carbone exige « de disposer d'un parc immobilier dont l'ensemble des bâtiments sont rénovés en fonction des normes BBC ou assimilées, à l'horizon 2050 » (Article L100-4 du Code de l’énergie résumant les objectifs de la politique énergétique nationale). 

À titre d’illustration, le dernier panorama des financements climat d’I4CE indique un besoin additionnel d’investissements de 34 milliards d’euros sur 3 ans (2021-2023) spécifiquement fléchés vers les rénovations performantes et globales. Et le scénario de l’alliance Rénovons indique qu’une trajectoire ambitieuse de rénovation BBC des passoires thermiques en France nécessiterait 3,2 milliards d’euros de financements publics par an, soit à peine 10 % des fonds déjà engagés face à la crise des prix.   

Rénovation énergétique et importations de gaz russe : un lien étroit

L’approche rétrospective constitue une autre façon d’illustrer l’importance de la rénovation énergétique pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles importées, et en l’occurrence, au gaz russe. Le Grenelle de l’environnement de 2008 par exemple avait fortement insisté sur l’importance de l’efficacité énergétique dans le bâtiment comme principal levier de la transition énergétique, en fixant deux objectifs structurants :

  • une réduction de 38 % de la consommation d’énergie dans les bâtiments existants d’ici 2020 ;
  • 400 000 rénovations « lourdes » par an.

Si ces deux objectifs avaient été atteints sur les 10 dernières années, la consommation de gaz naturel aurait pu être réduite d’environ 100 TWh, soit l’équivalent des importations françaises de gaz naturel russe en 2019. En effet, réduire de 38 % la consommation des bâtiments équivaut à un peu plus de 200 TWh. 50 % d’économies sur les bâtiments chauffés au gaz permettraient une baisse de 100 TWh. De même, une rénovation lourde (entendue ici comme une rénovation permettant de réduire d’un facteur 4 la consommation après travaux) permettrait de gagner de 20 à 25 MWh par mois, soit jusqu’à 10 TWh d’économies par an et jusqu’à 100 TWh sur 10 ans. 

Aligner les politiques de rénovation énergétique sur l’objectif de performance

Que ce soit pour faire face à la crise géopolitique actuelle ou à la lutte contre le réchauffement climatique, la politique des « petits gestes » en matière de rénovation énergétique ne suffit plus. L’urgence actuelle ne nous autorise plus à perdre 10 années supplémentaires. 

Tous les scénarios de décarbonation convergent aujourd’hui sur l’importance clé de la massification des rénovations énergétiques performantes pour l’atteinte de la neutralité carbone. Il convient donc de se poser sans tarder la question des obstacles à lever et des leviers à actionner2 pour structurer puis massifier ce marché encore embryonnaire en France. 

Et, de fait, la révision de la Programmation pluriannuelle de l’énergie engagée depuis peu devrait pour la première fois inclure une « feuille de route de la rénovation énergétique des bâtiments, précisant les modalités de mise en œuvre (…) de l'objectif de rénovation des bâtiments en fonction des normes BBC ou assimilées » (Article 1 de la loi climat-énergie de 2019). 

Tout un programme pour la prochaine mandature.
 

  • 1Intégrant l’augmentation du chèque énergie de 100 euros pour les 6 millions de bénéficiaires, l’indemnité inflation pour 38 millions de français, le coût du blocage tarifaire sur les tarifs réglementés de l’électricité et du gaz, la réduction de 15 centimes au litre pour les carburants, les aides aux entreprises et l’augmentation de 1 000 € de MaprimeRénov pour les changements de chaudière.
  • 2À cet égard, il convient de signaler la création, dans le cadre de la loi Climat & Résilience du 22 août 2021, d'un Service public de la performance énergétique de l'habitat, appelé France Renov' depuis janvier 2022, ainsi que le conditionnement des aides à des certifications. En outre, les rapports précités (Haut Conseil pour le climat, Assemblée nationale, Cour des Comptes, Comité d’évaluation du plan de relance) contiennent déjà de nombreuses propositions et recommandations visant à améliorer les politiques de rénovation énergétique.