Trois ans et demi après la signature de l'Accord de Paris sur le climat, les élections européennes du 26 mai donneront un signal politique à la fois sur l’attente des citoyens et sur le potentiel d’action quant à la préservation de l’environnement. Alors que les candidats déclinent au fil de la campagne leurs propositions pour rendre l’Europe plus durable1 , quels enjeux émergeront sur la politique énergétique et climatique de l’Union européenne au lendemain du scrutin ? L’Iddri dresse dans ce billet un état des lieux des progrès de l’UE sur le volet énergie-climat, identifie et propose des pistes de travail pour les institutions européennes pour les cinq prochaines années2 .

Des résultats en trompe-l’œil

À première vue, l'Union européenne peut se targuer de résultats satisfaisants dans la lutte contre le changement climatique. Malgré des différences notables entre États membres, elle est en bonne voie pour atteindre ses objectifs énergie-climat à l’horizon 2020, en particulier son objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES), comme le montraient récemment une analyse de l’Agence européenne de l’environnement3 et une communication récente d’Eurostat relative aux émissions de 20184 . L’Union a également adopté lors de la dernière législature un nouveau train de mesures finalisé par l’adoption de son « paquet énergie propre », qui entérine de nouveaux objectifs pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique pour 2030 ; ceux-ci mettent techniquement l’Union en position de relever son objectif climatique au-delà des 40 % qu’elle avait proposés comme contribution lors de la signature de l’Accord de Paris en 2015, ce qui constituerait un signal positif indispensable envoyé aux autres grands pays émetteurs pour qu’ils révisent également à la hausse leur ambition. Est-ce à dire que l’Union peut se reposer sur ses lauriers ?

Ce ne devrait pas être le cas, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la bonne performance vis-à-vis de ses objectifs 2020 cache des déséquilibres importants à l’échelle des secteurs économiques. Les progrès de l’UE sont ainsi principalement le résultat de transformations dans le secteur de l’énergie, avec l’essor des énergies renouvelables et une diminution de la production à charbon dans certains pays, et de l’atonie de la production industrielle dans les pays de l’Union affectés par la crise économique. Or, pour atteindre l’objectif global de limitation du réchauffement climatique à 2° C, et aller vers 1,5 °C, il convient de transformer l’ensemble des secteurs pour atteindre la neutralité carbone en Europe en 2050, c’est-à-dire réduire fortement les émissions de GES et compenser les émissions résiduelles par la séquestration des puits de carbone naturels ou les technologies de séquestration, qui en sont au stade expérimental. Les progrès en matière de décarbonation devraient rapidement s'étendre à d'autres secteurs économiques tels que le bâtiment ou le secteur des transports, où les émissions continuent d'augmenter.

Quelles pistes d’action pour la prochaine mandature ?

Pour ce faire, l’Union européenne peut mettre la lutte contre le changement climatique au cœur de son action pour les cinq prochaines années. L’Iddri a récemment publié avec cinq autres think tanks des propositions en ce sens5 . Cela signifie d’étendre les considérations sur le climat à l’ensemble des politiques européennes, de la politique agricole commune à la politique de cohésion ou commerciale. Deux thèmes importants pour le climat seront à l'ordre du jour juste après les élections : la révision de l'ambition de l'UE en matière de climat pour 2030 et pour 2050 et la finalisation du budget de l'UE pour la période 2021-2027.

En ce qui concerne l'ambition climatique, l'actuelle Commission européenne, le Parlement et neuf États membres de l'UE ont déjà exprimé leur soutien à l'objectif de neutralité climatique de l'UE pour 2050. Un soutien rapide du Conseil au mois de juin constituerait un signal positif. Quant à l’objectif 2030, il devrait rapidement intégrer le renforcement des objectifs sur les énergies renouvelables et d’efficacité énergétique pour être porté à au moins 45 à 46 % de réduction d’émissions de GES par rapport à 1990 contre les 40 % actuels. Pour ce qui est du budget de l'Union, la part consacrée à l'action pour le climat devrait dépasser 25 %, et des critères devraient être introduits progressivement pour éviter que les fonds de l'UE (de la politique agricole ou de cohésion, par exemple) ne soient dépensés pour des projets non compatibles avec la protection du climat.

Ces deux étapes passées, la Vision stratégique pour une économie neutre pour le climat et le nouveau cadre de gouvernance de l’UE sur l’énergie et le climat poseront les bases d’un dialogue avec les États membres pour identifier les domaines dans lesquels la politique communautaire pourrait accélérer les progrès en matière de décarbonation. D’abord, des modifications d’ordre réglementaire permettraient de mieux orienter le développement du gaz vert ou de synthèse, permettant une compatibilité avec d'autres objectifs de durabilité (biodiversité et sols notamment) ; une révision des règles sur les aides d’État pourrait également permettre de renforcer la décarbonation des secteurs industriels. L’Iddri a récemment organisé un dialogue fructueux à Paris autour des dix propositions du think tank Agora Energiewende sur des initiatives législatives pour la Commission européenne sur l’énergie et le climat.

Ensuite, à mesure que les transformations sectorielles progressent et que de nouveaux secteurs sont concernés (transports, agriculture), de nouveaux défis apparaissent et reposent dans une plus grande mesure sur les États membres et les acteurs locaux. Au-delà de modifications d’ordre réglementaire, l’Union européenne peut alors se positionner en support pour les États membres et les acteurs locaux en leur fournissant l’accès à une assistance technique, un partage de bonnes pratiques dans d’autres régions de l’Union et fournir un accès au financement de leurs actions pour le climat. La plateforme formée par la Commission européenne sur l’avenir des régions charbonnières en transition est un exemple de partage d’expériences qui pourrait être étendu à d’autres secteurs économiques affectés par la transition bas-carbone (industrie automobile, agroalimentaire, etc.) et renforcé par un soutien financier d’une réforme du fonds d’ajustement à la mondialisation de l’Union. Les institutions de l'UE pourraient également faciliter et soutenir les coalitions d'États membres ambitieux sur des questions telles que la tarification du carbone ou la taxation de l'aviation et favoriser ainsi une émulation positive entre pays européens.

Enfin, au cours de cette mandature, l’Union ne pourra pas éviter de se poser la question de la cohérence entre sa politique commerciale et la mise en œuvre de ses objectifs climatiques ambitieux : éviter que la décarbonation des secteurs économiques en Europe ne soit le fait d’une délocalisation des industries intensives en carbone dans des pays dont sont issues les importations, et donc réduire le contenu en carbone des importations ; cet objectif est déjà au cœur, par exemple, de la proposition d’une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée en France6 , mais dont l’articulation avec la politique commerciale reste complexe à négocier, à la fois en interne et avec les partenaires commerciaux.

Le défi de l’Union européenne pour les cinq années à venir sera donc d’être en mesure de mettre en œuvre ses engagements, et en particulier d’accélérer les transformations dans l’ensemble des secteurs économiques et de trouver des réponses aux défis sociétaux que soulèvent la transition. Continuer à progresser et afficher des résultats concrets dans le développement de nouvelles activités économiques permettrait à l’Union de peser de tout son poids lors des futures étapes pour le renforcement de l’ambition prévues par l’Accord de Paris en 2020 et 2025. A contrario, rester sur un satisfecit des progrès réels mais limités jusqu’à présent reviendrait à perdre, une nouvelle fois, de précieuses années dans la course contre la montre que représente le changement climatique. Gageons que la montée récente des préoccupations environnementales dans l’opinion et le verdissement des programmes politiques de tous bords ne pourra laisser bien longtemps l’Union européenne au milieu du gué.