Les risques climatiques ne s’arrêtent pas aux frontières. Leur caractère transfrontalier est toutefois encore insuffisamment pris en compte dans la planification et la mise en œuvre de l’adaptation au changement climatique, lesquelles se focalisent généralement sur les échelons national et infra-national. Une gestion coordonnée de ces risques tout au long de la chaîne de transmission, par exemple au niveau régional, est à la fois essentielle et urgente. Elle requiert de mieux appréhender les conditions favorisant une gouvernance coordonnée des cascades de risques, au service de solutions climatiques transfrontalières. 

De multiples travaux soulignent l’importance des risques climatiques transfrontaliers (RCT), qui se manifestent lorsque les impacts du changement climatique dans un pays donné et/ou les réponses apportées par ce pays (adaptation) ont des répercussions négatives sur un ou plusieurs pays voisins ou plus lointains (Anisimov et al., 2023). C’est pourquoi, quelle que soit la nature du RCT ou son mode de transmission (biophysique, humaine ou économique ; Harris et al., 2022), l’adaptation doit être pensée de manière systémique et entre pays.

C’est tout l’enjeu d’une gouvernance partagée des RCT, comme le rappelle le sixième cycle d’évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec, 2023, p. 112) : « la nature transfrontalière de nombreux risques climatiques accroît la nécessité d’une gestion, d’une coopération, de réponses et de solutions transfrontalières tenant compte du climat par le biais de processus de gouvernance multinationaux ou régionaux ». La recherche montre cependant que les politiques et mesures d’adaptation actuelles ne sont pas à la hauteur de ce défi en ce qu’elles se focalisent sur les impacts directs du changement climatique aux échelons local et national (Benzie and Persson, 2019). Or les RCT impliquent que l’adaptation doit aussi être entendue comme un bien commun, et en appellent donc à une coopération renforcée aux niveaux international et régional (Persson, 2019), et ce sur la base de nouvelles normes partagées et de cadres de gouvernance qui prennent en compte l’intégralité de la chaîne de transmission au-delà des juridictions nationales (Magnan et al., 2022). 

L’intérêt de l’échelon régional

Les RCT peuvent se matérialiser au niveau planétaire, comme dans le cas d’un évènement climatique dans un pays dont les conséquences se répercutent dans d’autres pays via des chaînes de valeurs internationales. Les inondations en Thaïlande en 2011 ont par exemple eu des effets sur la production de composants électroniques, affectant alors, en cascade, les exportations vers le Japon, l’Europe et les États-Unis puis les industries automobile et électronique (Giec, 2022). Nombre de ces risques transfrontaliers se matérialisent également au niveau régional ; cette propagation est facilitée à la fois par la présence d’écosystèmes et ressources partagés, et par l’intégration socioéconomique et politique généralement forte entre les pays d’une même région, ce qui favorise les cascades de risques d’un secteur à l’autre. L’échelle régionale s’avère donc particulièrement pertinente pour définir des politiques et stratégies d’adaptation aux RCT.

Cet échelon offre un cadre pour le dialogue institutionnalisé, avec des mécanismes existants aux formes et mandats divers allant d’accords multilatéraux ou de traités à des institutions supranationales et bureaux régionaux d’organisations intergouvernementales (OCDE, 2013). Ces coopérations peuvent être économiques, trans-sectorielles ou encore sectorielles, touchant aux questions de santé, de commerce, d’agriculture et de ressources naturelles. Si leur mission n’est pas directement liée à la gestion des risques climatiques, elles constituent un réseau et un cadre préexistant qui représentent a priori une opportunité concrète pour mettre en place une gouvernance des RCT. D’ailleurs, certaines organisations se saisissent déjà des enjeux climatiques, et dans une moindre mesure de l’enjeu des RCT. C’est le cas de l’Union européenne dans sa stratégie d’adaptation annoncée en 2021, de l’Asie du Sud-Est dans le rapport de l'ASEAN sur le changement climatique de 2021, ou encore de l'Union africaine dans ses stratégie et plan d'action sur le changement climatique et le développement résilient pour la période 2022-2032. Adoptant un angle plus spécifique, des organismes tels que la Mekong River Commission et l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal sont des plateformes opérationnelles pour la coopération autour des risques liés à la sécurité hydrique, alimentaire et énergétique. Cette prise en compte reste cependant parcellaire, et les risques climatiques qui se répercutent au travers des échanges économiques ou mouvements de populations sont encore insuffisamment considérés. De plus, dans les faits, la planification régionale pour l’adaptation continue de privilégier l’angle national (Benzie and Persson, 2019), et les acteurs manquent encore d’outils pour mettre en place des modalités opérationnelles de coopération en matière de RCT.

Plus largement, les relations de pouvoir, intérêts géopolitiques et motivations domestiques parfois divergents peuvent faire obstacle à la gestion coordonnée des RCT. Un exemple typique est celui de la gestion de l’eau dans le bassin versant du Nil, où les intérêts hydroélectriques de l’Éthiopie, par l’intermédiaire du barrage de la Renaissance, sont en contradiction avec les enjeux d’adaptation de l’agriculture en Égypte. L’adaptation dans un cadre transfrontalier suppose d’aider ces organisations régionales de gestion transfrontalière des ressources à monter en compétence aussi sur le plan politique et pas seulement technique : en effet, négocier des réductions globales des usages de l’eau en cas de crise ou à plus long terme est un exercice politique extrêmement complexe qui suppose des compétences analytiques, diplomatiques et un mandat politique adéquat. Par ailleurs, les acteurs impliqués dans la gouvernance régionale restent souvent ancrés dans des critères, règles et objectifs de coopération préexistants mal adaptés à la gestion des RCT (par exemple, davantage centré sur la coordination des ouvrages de mobilisation de la ressource en eau que sur la gestion de la demande en eau). La question sous-jacente est alors de savoir s’il est préférable de créer de nouvelles institutions spécialisées sur ces enjeux, ou de renforcer les compétences des acteurs existants à travers l’élargissement et la réforme de leurs mandats et structures et, dans ce cas, de déterminer quelles organisations parmi la diversité existante sont le plus à même de porter l’agenda RCT.

Analyser les mécanismes existants de gouvernance des risques climatiques transfrontaliers 

Les politiques publiques doivent donc être guidées et les acteurs, régionaux et sectoriels, mais aussi banques de développement et institutions financières au travers de leurs programmes d’appui au niveau régional, équipés pour une gestion plus effective des risques et de leurs répercussions, et ce de manière équitable entre les sociétés et soutenable sur le long terme. Or les connaissances sur les mécanismes permettant une gouvernance des RCT manquent encore, alors qu’elles sont cruciales pour établir un cadre commun en faveur du partage d’expérience d’une région à une autre et/ou d’un type de RCT à un autre. Il existe déjà une littérature importante sur la coopération transfrontalière et une compréhension générique des mécanismes et instruments de gouvernance régionale (OCDE, 2013). Cependant, il est nécessaire de questionner la pertinence de ces mécanismes pour traiter des enjeux relativement nouveaux posés par les RCT. Cela requiert d’analyser, à partir de cas particuliers de coopérations régionales existantes, en quoi les RCT posent des questions et défis nouveaux aux acteurs et mécanismes en place, pour ensuite interroger les solutions possibles et leur pertinence en fonction des contextes d’analyse. Trois grandes questions de recherche s’imposent : 

  1. Comment l'adaptation aux RCT met-elle à l’épreuve les systèmes et mécanismes de gouvernance transfrontalière existants ? Ces derniers sont souvent spécifiques à un sujet (par exemple, un type de pollution donné) et axés sur la réaction aux chocs plutôt que l’anticipation. Or le nouveau défi imposé par l'adaptation au changement climatique, y compris aux RCT, est qu’il faut désormais gérer les conséquences d’évènements extrêmes plus fréquents et/ou plus intenses, et ce dans un contexte de conditions environnementales elles-mêmes changeantes. Il s’agit donc d’anticiper des réactions en chaîne amplifiées en termes d’intensité et plus complexes en termes de ramifications d'impacts/risques (pour plusieurs secteurs, couches de la société, etc.).  
  2. Dans ce contexte, quels sont les points forts des mécanismes existants de gouvernance transfrontalière pour relever les défis propres à l’adaptation, et quelles sont leurs lacunes ? Qu’est-ce que cela implique en termes d’innovations nécessaires, organisation du partage des responsabilités, restructurations et réforme des mandats ? L’expérience d’autres mécanismes de gouvernance dans des domaines non liés à des questions d’environnement pourrait s’avérer utile pour identifier des leviers pertinents permettant d’enclencher ou de renforcer la gouvernance régionale des RCT.
  3. Quelles leçons tirer d’études de cas régionales qui soient transposables à d’autres contextes régionaux ou climatiques, et donc à plus large échelle ? Cette montée en échelle est nécessaire pour permettre le partage d'expériences d'une région à l’autre, et ainsi favoriser un déploiement plus ambitieux de systèmes de gouvernance régionale des RCT. Cela permettra en retour d’informer la théorie sur les cadres de coopération régionale en introduisant des connaissances davantage ancrées dans la réalité du terrain de la gouvernance des RCT. Ces cadres sont en effet indispensables afin d’améliorer le soutien international à la coopération régionale en matière d'adaptation transfrontalière.