Des exigences en matière sanitaire, environnementale et géopolitique sont nécessaires pour soutenir des régimes alimentaires plus sains et plus durables en Europe. Si l'adoption de mesures politiques relatives à la consommation alimentaire reste délicate1 , les faits démontrent l'importance de l'environnement alimentaire2 dans le choix des aliments consommés. Alors que l'UE hésite, certains États membres ont commencé à aller de l'avant et à élaborer des stratégies alimentaires, mais sans le cadre européen nécessaire pour en assurer la cohérence. Ce billet de blog dresse un panorama des stratégies alimentaires nationales existantes, explique pourquoi les règles de l'UE devraient les harmoniser et discute de certains éléments que les États membres devraient inclure dans ces stratégies. Il apporte ainsi une perspective européenne à une Étude qui propose une méthodologie pour caractériser le cadre actuel de la politique alimentaire française et qui formule des recommandations politiques pour concevoir des stratégies alimentaires nationales réussies.

  • 1 En effet, si la stratégie « De la fourche à la fourchette » (2020) de la Commission européenne mentionne la notamment nécessité de modifier les régimes alimentaires, les mesures relatives à la consommation sont au point mort au sein de la Commission et restent axées sur l'environnement cognitif plutôt que sur des mesures plus percutantes telles que les taxes.
  • 2 Une définition des environnements alimentaires opérationnelle pour l'élaboration des politiques distingue quatre dimensions : physique (infrastructures et conditions matérielles dans lesquelles les aliments sont consommés, également connues sous le nom de « paysage alimentaire ») ; socioculturelle (normes et représentations sociales façonnant les attitudes des groupes et des individus à l'égard de l'alimentation) ; économique (prix et ressources) ; et cognitive (fourniture d'informations, de compétences et de connaissances). Voir Brocard & Saujot, (2023). Environnement, inégalités, santé : quelle stratégie pour les politiques alimentaires françaises, Étude Iddri.

Des publications scientifiques récentes montrent que les Européens consomment une quantité excessive de produits animaux, de graisses et de sucre, et trop peu de fruits et de légumes, ce qui entraîne la prolifération de maladies non transmissibles. En outre, les produits d'origine animale peuvent avoir des effets négatifs importants sur l'environnement. C'est pourquoi les chercheurs ont proposé des changements de régime alimentaire afin d'améliorer à la fois la santé humaine et la durabilité des systèmes alimentaires. Ces changements pourraient également avoir des implications géopolitiques s'ils permettent à l'UE de devenir plus autonome en matière de production alimentaire, la guerre en Ukraine ayant illustré la dépendance de l'Union à l'égard de pays tiers pour ce qui est des aliments pour animaux et des engrais. Bien que la nécessité d'une action politique à ce niveau soit clairement démontrée, il subsiste d'importantes lacunes dans la promotion d'une alimentation saine et durable.

Les États membres commencent à agir 

Un nombre croissant d’États membres proposent des stratégies3 visant à améliorer les régimes alimentaires, la santé, la durabilité et la nutrition. 

En France, les discussions autour d'une nouvelle stratégie alimentaire nationale incluant des objectifs climatiques et sanitaires en plus des considérations économiques ont été lancées lors de la Convention citoyenne pour le climat, et la loi Climat et Résilience a fait de la création d'une telle stratégie une obligation légale. Jusqu'à présent, les mesures réglementaires relatives à la nutrition et à l'approvisionnement alimentaire ont été prises séparément dans le cadre de deux plans distincts, tandis que les questions environnementales ont été le plus souvent mises de côté. La nouvelle stratégie alimentaire, dont la publication est prévue pour l'automne, offre la possibilité de combler cette lacune politique et de supprimer les cloisonnements.

En Allemagne, le gouvernement se prépare à publier une stratégie alimentaire en 2023, comme le prévoit l'accord de coalition. À la suite d'importantes consultations avec les parties prenantes, un document d'orientation a été approuvé en décembre 2022 en vue de la création de la stratégie, dans lequel le gouvernement fédéral affirme clairement que les décideurs politiques doivent créer des environnements alimentaires qui favorisent des régimes alimentaires sains et durables.

D'autres États membres, dont la Suède (2016), la Finlande (2017), le Danemark (2018) et l'Irlande (2021), ont déjà élaboré des stratégies alimentaires. Malgré certaines similitudes dans leur couverture des questions d'environnement et de nutrition, nous observons un certain nombre de différences dans le cadrage général (d'une vision axée sur l'économie de la « chaîne alimentaire » à une perspective plus holistique des « systèmes alimentaires »), la définition du problème (la compétitivité dans la chaîne de valeur, le manque de durabilité, les inégalités sociales, les questions de santé) et les instruments politiques mobilisés.

Nécessité d'un cadre communautaire commun découlant d'objectifs globaux 

Alors que de plus en plus d'États membres créent des stratégies alimentaires, l'intérêt pour une action de l'UE visant à en améliorer la cohérence grandit. Pour ce faire, l’Iddri et ses partenaires ont proposé en 2021 et confirmé en 2022 l'idée que la loi-cadre sur les systèmes alimentaires durables (SFS en anglais), dont la publication était initialement prévue à l'automne 2023, oblige les États membres à mettre en place des plans d'action sur les systèmes alimentaires durables. Une approche selon laquelle la législation au niveau de l'UE, telle que la SFS, coordonne l'action des États membres est légitimée par : (1) les impacts transfrontaliers et commerciaux des systèmes alimentaires ; (2) la nécessité pour l'UE d’assurer une cohérence politique ; et (3) le fait que les États membres sont les mieux placés pour créer des stratégies adaptées à leurs spécificités nationales.

Étant donné que les systèmes alimentaires, y compris la consommation et la production, ont des effets sociaux, environnementaux et économiques transfrontaliers, il est nécessaire d'assurer une coordination au niveau de l'UE pour garantir la cohérence dans toute l'Europe. En l'absence d'un cadre commun, les stratégies proposées par les États membres présentent des différences significatives, ce qui peut entraîner des distorsions du marché. Ces effets transfrontaliers justifient que l'UE agisse pour assurer la cohérence et se prémunir contre les différences entre les cadres juridiques des États membres qui ont une incidence sur le fonctionnement du marché unique.

La Commission européenne peut jouer - et a joué dans d'autres domaines politiques - un rôle pour assurer la cohérence, si une loi européenne, telle que la loi SFS, crée la base des plans d'action nationaux. La Commission peut contribuer de manière significative à la cohérence entre les États membres en mettant en place des objectifs communs pour les plans d'action nationaux en matière d'alimentation. Outre la création d'objectifs généraux, la Commission pourrait également jouer d'autres rôles pour favoriser la cohérence. Dans le cadre du programme scolaire de l'UE, par exemple, les États membres élaborent des stratégies pour recevoir un soutien financier afin de fournir des fruits, des légumes et du lait aux enfants conformément à certaines exigences énoncées dans le règlement d'exécution (UE) 2017/39 de la Commission, et doivent ensuite remplir des rapports de suivi sur lesquels la Commission peut formuler des observations.

Il serait utile d'inclure les plans d'action des États membres dans la loi SFS ou dans d'autres législations-cadres de l'UE, car les contextes nationaux en matière d'alimentation sont très différents en raison des conditions pédoclimatiques, des dimensions culturelles et des facteurs socio-économiques. Il est donc nécessaire de faire preuve de souplesse et d'adopter une approche à plusieurs niveaux en matière de gouvernance alimentaire. Les gouvernements des États membres sont les mieux placés pour prendre en compte cette diversité et créer les instruments appropriés pour relever les défis nationaux et régionaux dans un cadre européen adéquat.

Une proposition de méthodologie pour créer des plans d'action

Ces plans doivent inclure des calendriers appropriés qui mettent en place une série de mesures pour atteindre les objectifs fixés dans le plan européen « vaincre le cancer », la stratégie « De la fourche à la fourchette » et, le cas échéant, la loi SFS. 

Ces plans doivent également être fondés sur des analyses de ce qui existe dans les différents pays. À l'instar des plans stratégiques de la PAC, les États membres doivent ainsi examiner les politiques et les stratégies existantes ainsi que les principaux défis à relever en matière d'alimentation saine et durable. À cet égard, une définition de la durabilité du système alimentaire devrait être établie au niveau de l'UE, idéalement dans le cadre de la loi SFS, et devrait intégrer la santé, la durabilité environnementale, le bien-être des animaux et les aspects sociaux. Cet examen politique doit porter sur toutes les dimensions de l'environnement alimentaire : physique, socioculturelle, économique et cognitive.

Les plans nationaux doivent définir une orientation claire vers laquelle toutes les politiques nationales tendront, afin de garantir la cohérence au niveau national. Ils doivent comprendre des instruments ambitieux, évalués en fonction de leur capacité à atteindre les objectifs généraux de l'UE et à garantir la cohérence et l'exhaustivité des différentes mesures (voir figure ci-dessous). En outre, leur efficacité doit être prouvée et ils doivent aller au-delà de l'idée de responsabilité individuelle, l'accent étant mis sur la modification de l'ensemble de l'environnement alimentaire afin que le choix des aliments les plus sains et les plus durables soit le plus facile à faire pour tous les consommateurs. Pour ce faire, la contribution des acteurs du milieu de la chaîne (distributeurs, industries, services de restauration) devrait être au cœur des plans d'action nationaux pour l'alimentation, car ils jouent un rôle clé dans l'élaboration de ces environnements alimentaires et, par voie de conséquence, des pratiques alimentaires.

Enfin, les plans d'action devraient comprendre des structures de gouvernance qui incluent tous les ministères et départements concernés, éventuellement dans une approche transversale. Ils devraient également permettre l'engagement des citoyens et des parties prenantes avant, pendant et après la phase de mise en œuvre, en utilisant les outils de gouvernance les plus appropriés.


Les auteurs remercient Nikolai Pushkarev, Aurélie Catallo et Pierre-Marie Aubert pour leurs commentaires utiles sur ce billet de blog.
 

  • 3 Par souci de clarté, nous utilisons le terme « stratégie » pour désigner les politiques actuelles et prévues par les États membres, et le terme « plan d'action » pour désigner les plans futurs harmonisés par l'UE ; toutefois, les deux termes peuvent être utilisés de manière interchangeable.