À la suite de la « vague verte » révélée par les résultats des élections législatives européennes de mai dernier, qui a positionné les questions environnementales en haut de l’agenda politique continental, la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté le Green Deal européen comme le cœur de l’action de la Commission. L’équipe des commissaires réunis par Ursula von der Leyen reflète ces priorités, et Frans Timmermans doit devenir le vice-président exécutif de la Commission chargé de la supervision du Green Deal. Alors que le Parlement européen vient de terminer les auditions des candidats à la Commission pour confirmer leur nomination, ce billet fait le point sur ce que l’on sait de ce programme, notamment le cadre institutionnel conçu pour le concrétiser, et propose quelques premières réflexions sur les enjeux et les défis de cet agenda.

Les orientations politiques pour la nouvelle Commission (2019-2024), proposées par Ursual von der Leyen, mettent en évidence les (six)1 domaines politiques clés de son action. Le premier consiste, au cours de ses 100 premiers jours de mandat, à élaborer un Green Deal européen pour une UE climatiquement neutre2 , proposition détaillée dans la lettre de mission envoyée à Frans Timmermans.

Le Gren Deal vise essentiellement à concrétiser la vision de la Commission de l’UE d’une « Union climatiquement neutre » d’ici 20503 , soit l’obejctif d’atteindre la neutralité entre puits et émissions de tous les gaz à effet de serre sans « laisser personne de côté ». Un premier volet du Green Deal consiste donc à proposer la première legislation climat européenne intégrant explicitement l’objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050. Conforter cet objectif permettrait de rouvrir le débat actuellement très animé sur le renforcement des engagements de l’UE à l’horizon 2030 dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat (lire le brief du projet COP21 Ripples) et de reprendre son leadership en matière de diplomatie internationale sur le climat. Ursula von der Leyen s’engage à augmenter l’objectif global de 40 % de réduction des émissions de l’UE à « au moins 50 % » et même « 55 % de manière responsible ». Ces objectifs à 2030 et 2050 sont nécessaires pour aligner l’UE sur les objectifs globaux de l’Accord de Paris et enverraient un signal fort pour une action à tous les niveaux de la société au sein de l’UE.

Des politiques et des mesures nouvelles sont également incluses dans la proposition de Green Deal : introduire une taxe carbone aux frontières pour éviter les fuites internationales ; réviser la directive sur la taxation de l'énergie ; créer un Fonds pour la transition juste en complément des fonds de cohésion existants et afin de « ne laisser personne de côté ». Au carrefour de ces priorités, Ursula von der Leyen entend proposer : un Plan d'investissement pour une Europe durable en capacité d’investir quelque 1 000 milliards d'euros d'ici 2030 ; de doubler la part des investissements climat de la Banque européenne d'investissement pour atteindre 50 % d'ici 2025 ; et de créer un Pacte climatique européen visant à inciter les régions, les communautés locales, la société civile, les industriels et les écoles à prendre des engagements volontaires en matière de lutte contre le changement climatique de façon coordonnée.

Toutes ces propositions répondent aux blocages identifiés dans la transition vers une économie neutre en carbone et seront affinées dans les mois à venir, au fil de l’action menée par la Commission. Ce faisant, les questions cruciales devront trouver des réponses. Quel sera le critère environnemental lié au décaissement du Plan d'investissement pour une Europe durable ? Quels secteurs industriels devraient être couverts par la taxe carbone aux frontiers et devrait-elle être combinée à de nouveaux instruments pour encourager les investissements dans une industrie bas-carbone ? Un prix minimum devrait-il être inclus dans le marché carbone européen (SCEQE, ou EU ETS en anglais) ou dans le secteur de l'électricité ? Quelle sera le dimensionnement du Fonds pour la transition juste et quels secteurs et actions couvrira-t-il ? Les détails de mise en œuvre de ces mesures seront de la plus haute importance pour effectivement tenir la promesse de mettre l'UE sur la voie d’une décarbonation profonde. Définir des paquets de politiques capables de combiner l'ambition climatique et la capacité de changer tous les secteurs et les comportements des citoyens, de ne pas désavantager les Européens par rapport à leurs concurrents étrangers et de ne pas laisser certaines communautés de côté – autant de priorités au coeur du Green Deal – sera central.

Sur le plan institutionnel, Frans Timmermans (social-démocrate néerlandais) est chargé de mettre en œuvre le Green Deal européen et supervise directement la DG CLIMA (direction générale du climat à Bruxelles). Dans la pratique, il coordonnera les travaux de cinq autres commissaires : énergie, transports, agriculture, environnement et océans et (conjointement avec un autre vice-président) santé. Cela reflète ses autres priorités jusqu'en 2024 : œuvrer en faveur d'une ambition « zéro pollution », diriger les travaux sur une stratégie biodiversité pour 2030 et sur une stratégie « de la ferme à l’assiette » pour une alimentation durable. Toutefois, même si l'ampleur du portefeuille de Timmermans est conçue pour lui donner les outils nécessaires à la réalisation d'un Green Deal, des questions de gouvernance institutionnelle demeurent. Pas moins de neuf commissaires doivent rendre compte directement à Ursula von der Leyen, notamment les commissaires en charge des politiques budgétaires, économiques et financières (comme la régulation pour une finances durable), qui joueront un rôle clé dans la réalisation Green Deal. Il en va de même pour les commissaires chargés de la mise en œuvre du Fonds pour la transition juste, de la réécriture de la directive sur la taxation de l'énergie ou de la mise en œuvre d'une taxe carbone aux frontières : tous ces postes sont attribués à des commissaires rapportant au conservateur letton Valdis Dombrovskis, chargé de mettre en place « une économie qui fonctionne pour les citoyens » (affaires économiques et financières, commerce, emploi et politique régionale).

Le Green Deal peut être une occasion de mettre l'UE en ordre de marche vers la neutralité climatique, mais cela nécessitera un accord unanime et le soutien actif de tous les États membres. Alors que le dernier Conseil des ministres de l'Environnement (4 octobre), qui s'est simplement engagé à « actualiser » la contribution climatique (NDC) de l'UE, a envoyé des signaux faibles en termes d'ambition, le prochain Conseil européen (17-18 octobre) sera la dernière opportunité pour les chefs d'État de l'UE de s'accorder sur un objectif de neutralité climatique d'ici 2050 avant la COP25. Ensuite débutera l'effort complexe mais nécessaire de traduire ces objectifs en politiques européennes efficaces.

  • 1Environnement et changement climatique ; politiques économiques, fiscales et commerciales ; numérique ; migrations, frontières et État de droit ; affaires étrangères ; démocratisation de la gouvernance européenne
  • 2La neutralité climatique, plus particulièrement dans le contexte européen, implique d’atteindre la neutralité pour tous les gaz à effet de serre, contrairement à la neutralité carbone, qui ne fait reference qu’au CO2.
  • 3Une planète propre pour tous : une vision stratégique européenne à long terme pour une économie neutre climatiquement, compétitive, moderne et prospère