Le 28 Septembre dernier, le Brésil a rendu publique sa contribution nationale (Intended Nationally Determined Contribution, INDC) au processus de négociation internationale.

Analyse et déchiffrage en vue des négociations.

Cet INDC renforce-t-il l’ambition de l’action climatique du pays ?

Le Brésil s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 37 % en dessous des niveaux de 2005 d’ici 2025 (1 300 Mt de CO2-eq en 2025), et à respecter un objectif indicatif de -43 % d’ici 2030 (1 200 Mt en 2030). En 2012, dernière année pour laquelle des données sont disponibles, les émissions brésiliennes totales de GES étaient de 1 203 Mt de CO2-eq. Ainsi, concrètement, l’INDC du Brésil appelle essentiellement à une stabilisation de ses émissions totales et laisse une marge pour une légère augmentation. Toutefois, la conjoncture du Brésil est particulière. Le pays a réduit massivement ses émissions liées à la déforestation (- 85 % en 2012 par rapport aux niveaux de 2005), tandis que les émissions provenant de l’agriculture et du secteur énergétique continuent d’augmenter (+ 7,4 % et + 35,9 % respectivement entre 2005 et 2012). Les secteurs de l’agriculture et de l’énergie sont désormais les premières sources d’émissions, devant la déforestation ; celle-ci a diminué, passant de 1 179 Mt de CO2-eq en 2005 à 176 Mt de CO2-eq en 2012. L’INDC du Brésil annonce l’intention du pays d’atteindre zéro déforestation illégale et zéro émissions nettes liées à la déforestation légale en 2030. Le défi de l’atténuation des émissions étant transféré aux secteurs de l’énergie et de l’agriculture, il est difficile de dire si l’INDC du Brésil représente une accélération de l’action climatique sans étudier plus en détail ce qui est proposé dans ces deux secteurs. Le Brésil a apporté des précisions sur les mesures nécessaires à la mise en œuvre de son INDC, ce qui permet d’évaluer les actions dans ces secteurs. Ces informations sont résumées dans le tableau ci-dessous.  
2014 Niveau prévu en 2030
 Énergies renouvelables dans le mix énergétique  39.6%  45%
 Énergies renouvelables dans le mix énergétique, hors hydraulique  29%  28-33%
Énergies renouvelables dans l’électricité, hors hydraulique  2.0% au moins 23%
Part des biocarburants durables dans le mix énergétique  5.6%  environ 18%
Source : INDC brésilien et données d’Enerdata. N.B. nous avons interprété le terme « mix énergétique » comme étant l’énergie primaire, en l’absence de précision dans l’INDC brésilien.

L’INDC contient-il des informations claires et crédibles sur la façon de réaliser cette contribution, et les transformations qu’elle exige ?

Globalement, l’INDC brésilien est d’une grande transparence, et fournit de nombreux éléments additionnels sur les transformations nécessaires pour atteindre l’INDC (voir ci-dessus pour l’exemple du secteur de l’énergie). L’INDC brésilien contient une description très claire du niveau précis d’émissions ciblées et des méthodologies utilisées. Compte tenu de l’importance du secteur de l’agriculture (37 % du total des émissions de GES, la principale source) et de l’augmentation de ces émissions (7,4 % au total entre 2005 et 2012), il aurait été bon d’avoir un peu plus d’informations sur les objectifs d’atténuation dans ce secteur essentiel ; l’INDC brésilien décrit toutefois en détails son ambition de restaurer 15 millions d’hectares de pâturages dégradés d’ici 2030 et de mettre en place 5 millions d’hectares de systèmes intégrés de terres cultivées, élevage et forêts. Cependant, aucun détail n’est apporté sur les émissions globales de l’agriculture. Par ailleurs, de plus amples informations sur les évolutions de la demande énergétique permettraient de clarifier les objectifs du secteur de l’énergie évoqués ci-dessus ; une part de 45 % d’énergie renouvelable dans le mix énergétique peut avoir des significations très différentes selon le niveau global de la demande en énergie. Ceci est particulièrement important dans un pays comme le Brésil, où la gestion de la croissance de la demande d’énergie apparaît comme un défi majeur (voir ci-dessous).

Comment se situe l’INDC par rapport aux autres priorités nationales de développement du pays ?

Comme indiqué plus haut, le principal enjeu du Brésil en termes d’atténuation est désormais le secteur de l’énergie, dont les émissions ont augmenté de 35 % depuis 2005. Dans ce domaine, le Brésil fait face à des défis particuliers, mais aussi à des opportunités. L’intérêt des ressources hydroélectriques est en déclin ; et la sécheresse a une influence perturbatrice sur la production hydroélectrique (production en baisse de 13 % en 2014 par rapport aux niveaux de 2011). D’autre part, le potentiel éolien et solaire brésilien est énorme, et ces secteurs connaissent une croissance rapide (avec un taux de croissance annuel moyen pour la production éolienne de 40 % au cours des cinq dernières années). L’accent mis sur le développement des énergies renouvelables non hydrauliques permet donc d’identifier un enjeu clé pour la réduction des émissions dans le secteur énergétique. Le Brésil est également confronté à un choix stratégique concernant le rôle du pétrole dans son secteur des transports. Après la découverte de gigantesques réserves de pétrole pré-salifères, on peut craindre une diminution du leadership du Brésil dans le domaine des biocarburants durables. Cependant, avec le scandale Petrobras et la faiblesse des prix mondiaux du pétrole (le pétrole pré-salifère est en eau profonde et coûteux), l’accent mis sur la production de biocarburants durables dans l’INDC peut indiquer une volonté d’accorder un plus grand rôle à cet atout majeur pour le Brésil dans son développement socio-économique.

Quels sont les blocages et les opportunités pour aller plus loin ?

Dans le secteur énergétique, le Brésil dispose déjà d’un mix énergétique très propre ; le défi est qu’il le reste. Toutefois, l’autre enjeu de taille du secteur énergétique est de parvenir à contrôler la demande énergétique globale. La demande énergétique brésilienne a augmenté d’environ 5 % par an au cours des 5 dernières années, pour une croissance du PIB de 2,8 %. L’intensité énergétique du secteur des transports brésilien est environ 60 % plus élevée que celle des autres pays BRICS. Ainsi, si l’INDC brésilien a identifié comme action clé un gain d’efficacité de 10 % dans le secteur de l’électricité, il aurait été bon de mettre l’accent sur l’efficacité du secteur des transports et de l’énergie de façon plus générale. Par exemple, un scénario de décarbonation profonde (deep decarbonization scenario) au Brésil montre que l’efficacité du transport par passager au kilomètre devrait être améliorée de 40 % d’ici 2050.

Qu’est-ce que l’INDC signifie pour les négociations internationales ?

  • Engagement dans un cycle quinquennal d’action sur le changement climatique Le Brésil s’est fixé un objectif pour 2025 et un objectif indicatif pour 2030. Cette idée d’une période cible « ferme » de cinq ans (2020-2025), et de périodes d’objectifs « indicatifs » de cinq ans (2025-2030), les objectifs étant renforcés et prolongés dans le temps tous les cinq ans, a été développée dans une publication conjointe de l’Iddri et du NCSC  (The mitigation framework in the 2015 climate change agreement: from targets to pathways - PDF 1,80 Mo ) . Avec un objectif à l’horizon 2025, le Brésil, comme les Etats-Unis qui ont aussi une cible d’ici 2025, sera soumis a des pressions en 2020 pour confirmer son objectif pour 2030 ; pour cela, le Brésil voudra également que les autres pays revoient dès 2020 leurs objectifs à l’horizon 2030. L’adoption par le Brésil d’un objectif d’ici 2025 augmente les chances que l’accord de Paris contienne une clause de révision rapide, obligeant les pays à revoir leurs objectifs d’ici 2020 (une idée développée dans un autre document de l’Iddri et du NCSC [Regular Review and Rounds of Collective Action and National Contributions the 2015 Climate Agreement: A Proposal - PDF 1,85 Mo]).
  • Financement climatique L’INDC du Brésil n’est pas subordonné à l’apport d’un soutien financier international, même si le Brésil indique que le renforcement de l’action au-delà de son INDC nécessiterait un soutien financier. L’Inde ayant récemment annoncé que sa contribution ne sera pas non plus conditionnée par un soutien, le mouvement des INDCs sans conditions des grandes économies émergentes se trouve renforcé. Le Brésil déclare également qu’il renforcera son soutien aux pays en développement. Cela devrait aider à débloquer les discussions sur le financement climatique. Les pays développés ont fait pression pour une plus grande contribution des pays émergents riches, en échange d’un renforcement de leurs propres engagements. Avec les nouvelles grandes annonces de financement du Royaume-Uni et de la France pour les pays développés, et celles de la Chine pour les pays émergents, cette réciprocité semble se dessiner.
  • Différenciation Le Brésil est devenu le premier pays en développement à proposer comme contribution nationale une réduction absolue de ses émissions. Dans les négociations, le Brésil a été l’un des promoteurs de la « différenciation concentrique » qui verrait les pays converger progressivement vers des obligations climatiques plus précises et rigoureuses. En optant pour une réduction absolue, le Brésil donne l’exemple de la façon dont cela pourrait fonctionner.
  • Décarbonation profonde à long terme L’INDC brésilien place ses objectifs 2025-2030 dans le cadre d’une transformation à long terme aboutissant à la décarbonation de l’économie mondiale d’ici la fin du siècle. Cela reflète la teneur de la déclaration germano-brésilienne sur le changement climatique. Comme dans la Déclaration conjointe sino-américaine et la conclusion du président du déjeuner des chefs d’Etats sur le changement climatique ce week-end, l’importance de la décarbonation à long terme est ici renforcée, ainsi que l’idée que Paris doit reconnaître l’importance des pays développant des stratégies d’ici la moitié du siècle en vue d’un avenir faible en carbone.