Un article consacré au bilan de la 10e conférence des parties (CdP 10) à la Convention sur la diversité biologique (CDB), réunie du 18 au 29 octobre à Nagoya (Japon).

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La dixième conférence des parties (CdP 10) à la convention sur la diversité biologique (CDB), réunie du 18 au 29 octobre à Nagoya (Japon), a atteint, au moins formellement, les trois objectifs liés qu'elle s'était fixée : l'adoption d'un protocole relatif à l'accès et au partage des avantages (APA) tirés de l’utilisation des ressources génétiques ; la définition d’un nouveau Plan stratégique tendant à stopper l’érosion de la biodiversité à l’horizon 2020 ; une stratégie de mobilisation des ressources visant notamment à augmenter les niveaux actuels d’aide publique au développement en soutien à la biodiversité.

La CdP 10 de Nagoya a constitué le point d’orgue de l’année internationale de la biodiversité, jalonnée de grands rendez-vous internationaux : le Global Forum on Oceans, Costs and Islands (mai 2010) ; la troisième réunion intergouvernementale sur la Plateforme science-politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui s’est prononcée en faveur de sa création (juin 2010) ; la session spéciale sur la biodiversité lors de l’As- semblée générale des Nations unies (22 septembre) ; et, enfin, la cinquième réunion des parties au protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques, qui a adopté un traité additionnel sur la responsabilité et la réparation. Ce riche calendrier a contribué à impulser une dynamique positive pour la réunion de Nagoya où les délégations étaient déterminées à conclure un accord afin d’éviter le « syndrome de Copenhague ». Mais ce succès sur la forme ne doit pas masquer les nombreuses incertitudes qui demeurent sur le fond et laissent en suspens des décisions qui devront être prises – et négociées – ultérieurement.

Le protocole sur l’accès et le partage des avantages

« Le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques » constitue l’un des trois objectifs de la CDB. En négociation depuis le Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg en 2002, le protocole APA, texte-clé de la négociation entre pays du « Nord » et du « Sud » àNagoya, doit contribuer à mettre fin au pillage des ressources génétiques (biopiraterie). Ce nouveau protocole sera ouvert à la signature à partir de février 2011 et pourra entrer en vigueur trois mois après la cinquantième ratification d’un État.

Ardemment défendu par les pays megadivers (très riches en diversité biologique) comme le Brésil, il propose un cadre international pour que les bénéfices tirés de l’utilisation des ressources génétiques par les industriels soient partagés avec les pays d’origine, sur la base d’un consentement préalable donné en connaissance de cause et de la signature d’un contrat avec l’État concerné. Par souci de lier les trois piliers de la Convention, le protocole encourage les parties à affecter les revenus tirés de ce dispositif à des activités visant la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité. Le protocole APA répond ainsi aux préoccupations des pays d’origine, mais aussi à celles des pays utilisateurs, en ce qu’il fixe un cadre d’accès clair et stabilisé. L’accord obtenu sur ce protocole est le fruit d’une proposition de la présidence japonaise faite au cours de la dernière nuit de négociation à Nagoya, et peut être considéré comme un bon compromis, tant les négociations semblaient mal engagées. Toutefois, proposé sur le mode « à prendre ou à laisser », le texte final est moins ambitieux que la version sur laquelle aucun consensus n’avait pu être obtenu. Par conséquent, un certain nombre de sujets controversés ont été sortis du texte ou définis en des termes suffisamment généraux pour faire consensus. On peut identifier, de manière non exhaustive, quelques points cruciaux qui sont restés dans le flou :

  • le champ d’application du protocole en ce qui concerne notamment les « produits dérivés des ressources génétiques » ;
  • les modalités d’un mécanisme multilatéral mondial pour assurer le partage des avantages résultant de l’utilisation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées pour lesquelles il n’est pas possible d’accorder ou d’obtenir le consentement préalable en connaissance de cause ;
  • la relation avec d’autres instruments internationaux traitant des échanges de matériel génétique et du partage des avantages, comme la future réglementation des pathogènes de l’Organisation mondiale de la santé ;
  • les procédures de coopération ainsi que les mécanismes institutionnels propres à promouvoir le respect des dispositions du Protocole et à traiter les cas de non-respect de la législation nationale.

Globalement, les négociations ont abouti davan- tage à des accords de principe qu’à des règles réellement opérationnelles. D’une part, un mandat a été donné aux futurs États parties à ce protocole de continuer des négociations pour définir plus précisément certains mécanismes opérationnels. D’autre part, le protocole APA laisse des marges significatives pour des interprétations – parfois divergentes – des obligations clés : les législations nationales qui viendront préciser leur portée joueront donc un rôle crucial dans la contribution du protocole à l’équité internationale et à la gouvernance globale de la biodiversité.

Le plan stratégique 2011-2020

Après l’échec de l’objectif fixé en 2002 par la CDB (« assurer, d’ici 2010, une réduction significative du rythme actuel de perte de diversité biologique aux niveaux mondial, régional et national »), un nouveau plan stratégique a été défini pour la période 2011-2020. Juridiquement peu contraignant et proposant vingt nouveaux objectifs qui serviront avant tout à guider les efforts nationaux et internationaux de protection de la biodiversité, ce plan apparaît toutefois comme la bonne surprise de Nagoya. En effet, pour la première fois, il traduit de façon forte la stratégie de la CDB consistant à influencer les secteurs d’activité les plus impactants, par des objectifs relatifs aux causes de l’érosion de la biodiversité et aux pressions qui s’exercent sur les écosystèmes dont on peut retenir notamment :

  • l’objectif n° 3, qui stipule que les incitations économiques (dont les subventions) défavorables à la biodiversité devront être « supprimées, réduites progressivement ou réformées » ;
  • l’objectif n° 6, qui impose une gestion durable de toutes les pêcheries ;
  • l’objectif n° 8 sur les pollutions par nutriments, notamment d’origine agricole ;
  • l’objectif n° 11 sur les aires protégées : 17 % des surfaces terrestres et des eaux intérieures et 10 % des zones côtières et marines devront être protégées, contre respectivement 13 % et 1 % aujourd’hui. Par ailleurs, au moins 15 % des écosystèmes dégradés devront être restaurés.

Là encore, compromis international oblige, un certain nombre d’objectifs ont vu leur portée réduite ou laissent la porte ouverte à des interprétations très larges. Par exemple, des incertitudes demeurent sur l’influence réelle de l’objectif n° 3 sur les importantes subventions versées au secteur de la pêche, européen notamment, largement responsable des phénomènes de surpêche de nombreuses espèces.

Les différents objectifs sont regroupés au sein de thèmes stratégiques correspondant aux moteurs de la perte de biodiversité : réduction des pressions sur la diversité biologique ; mise en place de clauses de sauvegarde ; mise en valeur des bénéfices fournis par la biodiversité et renforcement des capacités des opérateurs. On peut voir dans cette approche nouvelle des objectifs de la Convention l’influence du Millennium Ecosystem Assessment (MA), qui avait catégorisé les services écosystémiques et mis en avant la nécessité d’infléchir les forces motrices de la dégradation de ces services. D’une manière générale, il ne fait pas de doute que le processus du MA a joué, sur la longue durée, un rôle positif dans le redressement de la CBD observé à Nagoya.

Quoi qu’il en soit, d’ici deux ans, les États parties à la CDB devront traduire ce plan dans leur stratégie nationale sur la biodiversité et leurs plans d’actions.

Financer la mise en œuvre de la convention

La stratégie de mobilisation des ressources, troisième volet de l’accord de Nagoya, prévoit « une augmentation substantielle » des financements pour la biodiversité d’ici 2020 pour la mise en œuvre effective du plan stratégique. Le montant global de cet engagement ainsi que les modalités des mécanismes de financement devront être pré- cisés d’ici la prochaine réunion des États parties à la CDB (COP 11) à New Delhi en 2012.

Comme attendu, ce pilier financement est sans conteste le plus faible de l’accord. C’est d’ailleurs très souvent lors de ces grandes conférences le débat le plus mal posé : il n’existe ni estimation robuste du montant des financements nécessaires, ni estimation fiable des budgets aujourd’hui disponibles pour la sauvegarde de la biodiversité. Sans compter que les engagements en matière d’aide publique au développement ne sont généralement pas tenus, ou font l’objet d’une gymnastique comptable comme le « verdissement » de l’aide publique au développement par exemple. Rien n’ayant donc encore été décidé sur la mise en œuvre de mécanismes de financement innovants, la stratégie repose encore principalement sur des financements publics volontaires. Quelques promesses ont été faites lors de la conférence de Nagoya. Le Japon, notamment, a annoncé un financement de deux milliards de dollars sur trois ans. La France quant à elle entend doubler ses financements dans le cadre de l’aide publique au développement d’ici 2012, soit une enveloppe de plus de 200 millions d’euros pour la biodiversité. À compter de 2014, ce montant sera porté à 500 millions d’euros par an, soit l’équivalent de la somme proposée par l’Allemagne. Enfin, plus de 120 millions de dollars promis par l’Union européenne devraient être consacrés à l’initiative « Life web » de la CDB pour le renforcement des aires protégées. Rappelons pour comparaison que différentes estimations chiffrent les dépenses actuelles dans les aires protégées entre 6,5 et 10 milliards de dollars par an, alors que gérer efficacement ces mêmes aires protégées coûterait environ 14 milliards par an.

Sujets stratégiques

En dehors de ces trois volets du compromis de Nagoya, un certain nombre d’autres questions stratégiques et « sujets nécessitant une considération approfondie » ont été abordés au cours de cette conférence : transferts de technologie, éducation et sensibilisation, coopération avec les autres conventions, participation des acteurs, biodiversite aquatique continentale, biodiversité marine, biodiversité et changement climatique, agrobiodiversité, biodiversité des forêts, biocarburants, espèces invasives, etc. Ces sujets représentent autant d’ordres du jour de futures conférences et marquent la volonté de la CDB de poser son empreinte sur ces questions.

Par ailleurs, des questions ont été abordées qui n’étaient pas directement liées à l’agenda de la CDB, mais ont une forte résonance internationale sur le sujet de la biodiversité. Le rapport sur L’économie des écosystèmes et de la biodiversité (TEEB), d’abord, a fait émerger dans les débats la question de l’évaluation économique, prisée par les Européens mais rejetée par certains pays en développement, en particulier ceux de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA), très actifs dans les négociations à Nagoya. La Plateforme intergouvernementale science-politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), ensuite. Bien qu’il s’agisse d’un mécanisme indépendant de la CDB, les parties ont débattu de sa création à l'occasion de la COP 10 et ont vivement encouragé l'Assemblée générale des Nations unies à prendre une décision sur la suite du processus d'ici la fin 2010. À cet égard, on peut noter que la CDB aurait pu prendre ombrage du projet IPBES, lequel est pour partie fondé sur le constat des lacunes de l’organe scientifique de la CDB, le SBSTTA (Subsidiary Body on Scientific, Technical and Technological Advice, OSASTT en français). Au contraire, la Convention a accueilli positivement ce projet comme étant de nature, précisément, à permettre au SBSTTA de mieux remplir sa mission.

Les conditions de la réussite

La conclusion d’un accord à Nagoya a d’abord été le fait d’une bonne volonté générale affichée par les parties en présence. Un accord largement favorisé par les procédures de négociation mises en œuvre par la présidence japonaise. L’Union européenne a également joué la carte de la médiation entre les différents intérêts en présence, grâce notamment au rôle de coordinateur joué par Janez Potocnik, commissaire européen à l’Environnement.

Par ailleurs, l’absence des États-Unis (non parties à la CDB) dans la négociation et la grande discrétion de la Chine ont permis d’éviter une confrontation stérile entre les deux superpuissances. Revers de la médaille : les États-Unis ne sont pas contraints par les textes adoptés à Nagoya.

La nature même de la négociation a également favorisé la conclusion d’un accord. Par exemple, le protocole APA est aussi important pour le « Sud » (partage des avantages) que pour le « Nord » (accès) : dès lors, convergences des points de vue et concessions politiques ont été possibles, là où, par exemple, à la conférence climat de Copenhague, beaucoup pouvaient se passer d’un accord. Autre différence : l’ambition et l’impact potentiel de l’accord de Nagoya sont sans commune mesure avec ce qui était visé à Copenhague, à savoir un changement de trajectoire de développement. De plus, mises à part les dispositions du protocole APA, l’accord de Nagoya édicte des règles de « droit mou » (soft law), non contraignantes et non assorties de mécanismes de sanctions.

Finalement, la conférence de Nagoya a prouvé que le système multilatéral environnemental au sein du système des Nations unies fonctionne encore : il demeure un lieu approprié de régulation mondiale où chacun se sent légitime, responsable et écouté. Reste que les bases posées à Nagoya ne permettront pas, en l’état, d’inverser la tendance globale à l’érosion de la biodiversité, c’est-à-dire d’influer sérieusement sur les principaux moteurs d’érosion : conversion des sols, surexploitation, pollution, changements climatiques, etc. Cette conférence aura surtout permis des avancées sur des sujets très techniques, l’essentiel restant à décider et négocier, à la fois au sein de la CDB mais aussi dans d’autres arènes et à d’autres niveaux de gouvernance. Les réformes en cours des politiques européennes agricole de la pêche en sont des exemples cruciaux.

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