L'Union européenne doit définir l'architecture de la prochaine politique agricole commune (PAC), qui devra être mise en oeuvre à compter de 2021. Les propositions actuellement en discussion mettent l'accent sur une meilleure prise en charge des enjeux climatiques par le secteur agricole. Mais il est important de mieux prendre en compte aussi d'autres enjeux environnementaux et sociaux, parmi lesquels la protection de la biodiversité, la conservation des ressources
naturelles et en particulier la vie des sols et leur fertilité, et l'accès à une alimentation saine pour tous les citoyens.

C'est pour y contribuer que, depuis 2016, l'Iddri développe avec le bureau d'études AScA un scénario agroécologique pour l'Europe. Intitulé « TYFA » (Ten Years For Agroecology in Europe), son objectif est de développer une vision du système alimentaire européen considérant avec le même degré d'exigence les questions de santé humaine et de sécurité alimentaire, de conservation de la biodiversité et des ressources naturelles, et de changement climatique.

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Conférence "Une Europe agroécologique est-elle possible ?", le 13 septembre 2018 à AgroParisTech

Les bases agronomiques de ce scénario, élaboré avec l'appui d'un panel d'experts de haut niveau, ont été présentées
publiquement en septembre 2018 à AgroParisTech
, en présence du PDG de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), Philippe Mauguin, de l'ancien rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'Alimentation, Olivier de Schutter, et du député et ancien rapporteur du projet Écophyto, Dominique Pottier.

Dans la perspective évoquée ci-dessus, le scénario s'appuie sur une approche complète de l'agroécologie, du champ à l'assiette : abandon des pesticides et des fertilisants de synthèse, redéploiement des prairies naturelles et extension des infrastructures agroécologiques (haies, arbres, mares, habitats pierreux) et généralisation de régimes alimentaires plus sains, avec notablement moins de produits animaux et davantage de fruits et légumes. L'extensification de l'élevage herbivore joue par ailleurs un rôle clé dans le scénario. Le développement d'un modèle quantitatif du système alimentaire européen permet ainsi de montrer que, malgré une baisse induite de la production de 35 % par rapport à 2010 (en Kcal), le scénario TYFA :

  • satisfait aux besoins alimentaires des Européens tout en conservant une capacité d'exportation de céréales, produits laitiers et vin ;
  • conduit à une réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole de 40 % par rapport à 2010 (et jusqu’à – 47 % pour la variante dite « TYFA-GES » publiée en avril 2019) ;
  • permet de reconquérir la biodiversité et de conserver les ressources naturelles.

Au cours des semaines qui ont suivi sa sortie, le scénario a été mentionné dans de nombreux médias, en France et en Europe (Euractiv, The Guardian…) et présenté à plus de trente reprises dans différentes enceintes (dont à l'Assemblée nationale française, auprès de la DG AGRI de la Commission européenne et de représentants du secteur agricole), touchant de manière directe plus de mille personnes. La bonne réception du scénario illustre le fait qu'il manquait dans le débat national européen un scénario techniquement crédible de généralisation à l'échelle du continent de modèles jusqu'aujourd'hui considérés comme cantonnés à des niches. Face à cela, TYFA montre qu'il est agronomiquement possible de produire moins et mieux afin de faire face aux besoins alimentaires d'une population croissante comme aux enjeux environnementaux de plus en plus pressants. En 2019 et 2020, l'Iddri approfondira le scénario TYFA en analysant en particulier ses implications socio-économiques et les convergences qui peuvent être trouvées avec les stratégies des producteurs et des coopératives.

En partenariat avec d'autres think tanks européens, des acteurs de la société civile et du secteur privé, il s'agira également d'identifier les leviers d'une transition agroécologique réussie, tant en matière de politiques publiques que de stratégies privées. Les ressorts d'une telle transition se révèlent plus larges qu'un seul changement de politique agricole, et doivent être pensés à l'échelle de tout le système alimentaire.