Alors que le multilatéralisme et les différentes formes de coopération internationale sont mis à mal par une géopolitique de plus en plus brutale, certains pays émergents en sont actuellement les fers de lance et en proposent des visions renouvelées. C’est le cas du Brésil de Lula qui, après le G20 en 2024, préside actuellement les BRICS1 ainsi que la COP 30 sur le climat qui se tiendra en novembre. Il souhaite placer l’économie de la nature (ou bioéconomie) au cœur de son développement et promeut une approche de coopération internationale en la matière. La bioéconomie bénéficie actuellement d’une certaine traction politique dans les pays en développement et émergents (Équateur, Colombie, Afrique du Sud, Communauté de développement d’Afrique australe, etc.), dont les stratégies reflètent des propositions de développement fondé sur une utilisation durable de la biodiversité et des relations entre les humains et la nature renouvelées. Quelles sont les conditions politiques et financières pour que ces visions se réalisent ? Et quel rôle peuvent jouer le G20 et la COP 30 ?
Objectif : faire rimer développement et biodiversité
Le terme « bioéconomie » (Iddri, 2025) recouvre l’ensemble des filières fondées sur la conversion de la biomasse : agriculture, foresterie, énergie (biocarburants), pêche, tourisme vert, biotechnologies pour la santé, l’alimentation, les matériaux, etc. En ce sens, la bioéconomie n’est pas par définition positive pour la biodiversité. Par exemple, la production de biocarburants par des monocultures intensives engendre déforestation, surutilisation des ressources en eau et d’intrants chimiques. En matière de développement, la bioéconomie fournit des emplois, produit des matières premières ou génère des liquidités, via l’exportation, notamment dans les secteurs « classiques » de l’agriculture, l’énergie et la foresterie. Mais les approches dominantes peuvent entrer en opposition avec d’autres attentes prioritaires des populations locales, comme la sécurité alimentaire ou la préservation des modes de vie traditionnels2.
Une approche complémentaire de la bioéconomie qui se fraye un chemin dans les discussions internationales répond plus directement aux enjeux de protection de la biodiversité et aux besoins prioritaires des territoires. Parfois appelée « socio-bioéconomie » ou « économie autochtone »3, cette approche consiste à soutenir les pratiques des populations autochtones et communautés locales (IPLCs en anglais) au cœur de la gestion durable des écosystèmes, dans la droite ligne des avancées de la COP 16 de la Convention sur la diversité biologique (CDB) (Iddri, 2024).
Le G20 a pour sa part adopté en 2024 des principes de haut niveau pour la bioéconomie : s’ils vont dans le bon sens, l’enjeu, de taille, est de les décliner dans la réalité des filières. Cela implique d’assurer la transition des secteurs productifs classiques vers des pratiques plus vertes (peu émettrices de CO2 et préservant la biodiversité) et de trouver les modalités de financement pour soutenir la socio-bioéconomie.
Établir une stratégie domestique et une plateforme de coordination des financements
Les « plateformes pays », lancées en 2018 sous G20 allemand, visent à ce qu’un pays structure un projet global de développement, fondé sur un ensemble de politiques domestiques et la coordination des bailleurs. Le G20 sud-africain et la COP 30 brésilienne promeuvent ce mécanisme pour répondre aux enjeux du financement du développement bas-carbone.
Lors de la COP 28 sur le climat en 2023, le Brésil a lancé son plan de transition écologique, autour de 6 axes, dont la finance durable et la bioéconomie. En amont de la COP 16 sur la biodiversité de 2024, la Colombie a lancé un plan de 40 milliards de dollars pour s’affranchir des énergies fossiles, dont 8,5 milliards pour conserver et restaurer la nature via le développement de l’écotourisme, l’agriculture durable et la restauration des écosystèmes. Si l’articulation de ces initiatives avec les stratégies nationales de la biodiversité et le détail des mesures proposées restent à examiner, elles illustrent la volonté de certains États de mettre en avant le lien entre développement et préservation de la biodiversité, dans un contexte de trajectoire bas-carbone.
Ces plans sont avant tout des stratégies domestiques, fondées sur une série de politiques de soutien au développement de filières, de mobilisation de ressources fiscales internes, etc., qui peuvent s’assortir d’évolutions réglementaires. Ils sont portés par l’ensemble du gouvernement, au-delà des portefeuilles du climat ou de la biodiversité, et constituent un ancrage permettant de coordonner les différentes sources de financement, notamment les bailleurs internationaux. Les deux pays ont ainsi mis en place des « plateformes pays » : la Climate and Ecological Transformation Investment Platform au Brésil, et une nouvelle génération de « Just Energy Transition Partnership » en Colombie.
Ces plateformes peuvent permettre de relier développement, climat et biodiversité, à condition de respecter trois principes clés :
développer des activités soutenant l’intégrité des écosystèmes et les retombées pour les populations locales ;
construire une stratégie nationale cohérente entre climat, biodiversité et développement, appuyée par les politiques domestiques ;
monter une stratégie de levée de financements et de coordination des bailleurs sur cette base.
Accompagner les pays qui n’ont pas les capacités de mettre sur pied ces plateformes pourrait constituer une priorité du développement des Cadres nationaux de financement intégrés, mis en place en 2015 dans le cadre du Programme d’action d’Addis Abbeba pour la réalisation des Objectifs de développement durable. La 4e conférence du financement du développement, qui aura lieu à Séville du 30 juin au 3 juillet 2025, pourrait aussi progresser sur le sujet.
Deux leviers clés : mobiliser les ministères des Finances et les banques de développement
Dans ce double objectif de mobilisation de financement interne et externe, et dans la lignée de la Coalition des ministres des Finances pour le climat, lancée par la Banque mondiale en 2019, le Brésil cherche à mobiliser les ministères des Finances. Pendant son G20, il a lancé une initiative sur la bioéconomie, visant à placer l’économie de la nature dans l’architecture financière internationale, en faisant le lien avec les tracks politiques (sherpa) et financiers. Le sujet est repris par l’Afrique du Sud cette année, en regardant vers la zone de libre-échange continentale (ZLECAf). Par ailleurs, afin de nourrir la feuille de route « de Baku à Belém », qui vise à passer d’un financement de 300 milliards de dollars à 1,3 trillion pour le climat, le Brésil a lancé un cercle de ministres des Finances en avril 2025. Il serait utile que cette feuille de route intègre à part entière les enjeux de financement de la biodiversité, y compris au-delà de l’attention historique des COP climat sur la protection des forêts tropicales4. Dès le sommet des BRICS, le Brésil a pour objectif d’aboutir à une position conjointe sur la finance climat. Si ces discussions concernent en priorité le climat, on peut noter que (1) leur logique est cohérente avec la décision de la COP 16 sur la biodiversité concernant la mobilisation des ressources (Iddri, 2025), qui cherche à passer d’une logique de financement de la biodiversité à une logique de mainstreaming de la biodiversité dans la finance, et que (2) les objectifs de développement, de climat et de biodiversité peuvent et doivent être considérés simultanément, représentant ainsi un avantage comparatif pour les pays tout en améliorant leur résilience aux changements globaux.
L’approche des banques de développement doit également évoluer dans le sens d’une meilleure intégration des enjeux de biodiversité, comme le soulignait la déclaration conjointe des banques multilatérales de développement sur la nature, les peuples et la planète lors de la COP 26 de Glasgow sur le climat (2021). Depuis, les deux principales banques de développement d’Amérique latine ont lancé des plans en faveur d’une meilleure prise en compte de la biodiversité dans leur stratégie :
la Banque interaméricaine de développement (BID) a lancé sa stratégie pour accélérer l’inclusion du capital naturel et de la biodiversité dans les projets de développement, ainsi qu’un soutien aux initiatives des peuples indigènes en matière de bioéconomie. Le fonds « Amazonia para la Vida » souligne d’ailleurs le fait qu’une partie des politiques de bioéconomie est nécessairement décentralisée, en lien avec la question de l’accès direct des peuples autochtones et communautés locales au financement de la biodiversité (Iddri, 2024) ;
la Banque de développement de l’Amérique latine et des Caraïbes (CAF) a présenté sa nouvelle stratégie en faveur des écosystèmes, fondée sur l’établissement de visions à long terme pour 14 écosystèmes stratégiques.
Alors que du côté de la CDB, « l’examen mondial » doit permettre de faire état des avancées et leviers d’accélération en vue de la COP 17 fin 2026 (Iddri, 2025), un focus sur les besoins des pays pour développer des stratégies domestiques de financement et de coordination entre politiques de développement durable serait particulièrement utile, ainsi qu’une analyse de la diversité des plateformes pays mises en place, notamment en matière de capacités développées par les pays pour coordonner l’intégration de la biodiversité dans de multiples secteurs.
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Instituto Mapinguari, https://mapinguari.org/portfolio/destravapeapos/
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See Nobre, C.A. et al. (2023). New Economy for the Brazilian Amazon. São Paulo: WRI Brasil. Report available at: www.wribrasil.org.br/nova-economia-da-amazonia. https://doi.org/10.46830/wrirpt.22.00034en
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Le Tropical Forest Forever Facility, portée par le Brésil à destination de tous les pays en développement recensant des forêts tropicales humides sur leur territoire, est un instrument financier innovant global qui pourrait être lancé à la COP30. Il vient compléter d’autres mécanismes, comme celui de la REDD+.