Le soutien à l'accord d'association entre l'Union européenne et le bloc commercial du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay), annoncé en juin 2019 par la Commission Juncker juste avant la fin de son mandat, par les Parlements nationaux européens, les chefs d'État et le Parlement européen s'est réduit au cours des six derniers mois. Une nouvelle étude de l'Iddri publiée ce jour analyse les changements d'approche des Européens vis-à-vis des accords de libre-échange de l’UE, et en interroge la portée en termes d’intégration future du développement durable dans les pratiques commerciales.

Après 20 ans de négociations, l'UE et les pays du Mercosur sont parvenus à un « accord de principe » le 28 juin 20191 . Dans un premier temps, l'Allemagne a pleinement soutenu l'accord UE-Mercosur et a fait de la conclusion de ce dossier une priorité pendant sa présidence du Conseil de l'UE (du 1er juillet au 31 décembre 2020). La position allemande a toutefois changé à l'été 2020, d'autres États européens ayant montré des réticences à ratifier l'accord à la suite des incendies dévastateurs en Amazonie et à la position plutôt agressive adoptée par le chef de l'État brésilien en réponse à la remise en cause de sa politique pro-déforestation.

Les récents changements dans les équilibres politiques européens peuvent expliquer les positions hostiles à l'accord UE-Mercosur « en l'état ». Les questions environnementales ont été déterminantes lors des élections du Parlement européen de mai 2019 et dans certains États membres. Les résultats de ces élections ont donné aux partis centristes une couleur plus « verte » et entraîné de nouveaux engagements en faveur du développement durable de la Commission européenne par le biais du Pacte vert européen. Cette inflexion politique majeure a rendu difficile la signature par la Commission européenne d'un accord de libre-échange (ALE) qui n'améliorerait pas explicitement les performances climatiques et environnementales des pays signataires.

En outre, le vide laissé par le départ du Royaume-Uni en termes de positionnement quant à la politique commerciale de l'UE a conduit à une nouvelle alliance entre les Pays-Bas, traditionnellement l'un des pays de l'UE les plus favorables au libre-échange2 , et la France, qui rappelle régulièrement les limites à l'approche fondée uniquement sur le marché. Cette alliance franco-néerlandaise sur le commerce a soumis à la Commission européenne une proposition commune (un « non-papier »)3 , largement soutenue par les autres pays de l'UE et qui suggère un changement de la politique commerciale de l'UE. Elle a par ailleurs rassemblé, de façon inattendue, des groupes aux intérêts politiques différents : 1) questions agricoles ; 2)  questions environnementales ; et 3) conséquences environnementales des ALE.

Dans ce contexte, il est intéressant de noter la forte asymétrie dans l'expression des intérêts, les médias mettant fortement l'accent sur les aspects négatifs ou « défensifs » en termes environnementaux et économiques, tandis que les partisans des ALE ne se font pas autant entendre. En témoignent notamment les représentants de l'agriculture et de l'industrie agroalimentaire qui n'expriment pratiquement aucun intérêt en public, laissant le terrain à leurs collègues du secteur de l'élevage ; mais également l'absence de narratif public, par les pays qui soutiennent l'accord, notamment l'Allemagne, l'Espagne et le Portugal, sur le rôle que cet accord pourrait jouer pour la position européenne sur les marchés mondiaux (surtout si l'on considère la forte concurrence de la Chine dans le contexte du Mercosur) ; enfin, le manque de soutien public de l'accord par les groupes d'intérêt économiques et les représentants de l'industrie et des services. Ce silence ajoute à la difficulté de trouver un moyen pragmatique et efficace de sortir de l'impasse.

La présidence allemande ayant abandonné le dossier, on peut se demander si la présidence portugaise , qui a débuté en janvier 2021, sera en mesure de mettre tous les États membres de l'UE sur la même longueur d'onde pour assurer la ratification et la mise en œuvre rapides de l'accord UE-Mercosur. Trois options peuvent être identifiées pour faire avancer les négociations. La première consisterait pour les deux parties à signer une déclaration politique, interprétative ou incluant des principes généraux, exprimant leur engagement à prêter attention aux questions environnementales, sanitaires et sociales soulevées et à coopérer pour les trouver. À l'autre extrême, les négociateurs pourraient utiliser la diplomatie commerciale de l'UE comme un outil de protection de l'environnement en faisant de l'arrêt de la politique de déforestation du Brésil une condition de l'adoption de l'accord. Entre ces deux options figure la possibilité d'inclure un certain nombre de garanties « techniques », comme la garantie d'une traçabilité complète de la filière bovine et l'introduction de certaines règles d'étiquetage pour répondre aux préoccupations des consommateurs européens.

Il est fort possible que les accords axés sur les produits agricoles se heurtent à la même résistance de la part des États membres de l'UE lorsqu'ils négocient avec des pays qui n'ont pas une excellente réputation en matière d'environnement. Le cas de la Malaisie en est une illustration : l'une des raisons pour lesquelles les négociations avec l'UE sont « en pause » est la contestation par la Malaisie, à l'Organisation mondiale du commerce, du traitement réservé par l'UE à ses exportations d'huile de palme. Cela montre que l'UE doit veiller à ce que ses ambitions d'utiliser la politique commerciale comme un instrument diplomatique au service de la politique environnementale, en cherchant à « exporter » certaines normes commerciales dans les futurs ALE de l'UE, n’épuisent pas la volonté des pays tiers de rechercher un accord.

Il y a beaucoup à apprendre de l'accord UE-Mercosur « en l'état » en ce qu'il pourrait constituer un plan d'action pour la conception des prochains ALE de l'UE. Un équilibre subtil est à trouver entre les garanties qu'il devrait comporter pour répondre aux préoccupations de la France et des Pays-Bas, et le risque qu'il fait courir de susciter des accusations de pratiques protectionnistes déloyales sous le couvert de la protection du climat ou des forêts. L'UE a mis en place de manière convaincante et opportune un Pacte vert pour répondre à ses électeurs internes. Toutefois, la dimension extérieure du Pacte vert et ses effets possibles sur les pays tiers ont été quelque peu négligés jusqu'à présent. En ce sens, l'accord UE-Mercosur pourrait cristalliser les frustrations et les malentendus des pays tiers.

Les ALE européens de « troisième génération » pourraient résoudre ce dilemme en introduisant, par exemple, (1) des clauses environnementales dans les accords eux-mêmes plutôt que des références aux accords environnementaux multilatéraux, (2) la mise en œuvre progressive des accords évaluée par des indicateurs de performance et de politique, (3) la conception d'accords d'investissement pour promouvoir le développement durable et (4) l'adoption de réglementations européennes internes pour exclure, sans discrimination, les produits agricoles résultant de la dégradation des terres et des écosystèmes remarquables.