L’accélération du déploiement des énergies renouvelables représente un levier essentiel pour répondre à la crise énergétique et aux fortes tensions sur le système électrique français. Les débats parlementaires sur le projet de loi correspondant (entamés au Sénat en octobre puis à l’Assemblée nationale mi-novembre 2022) ont permis d’identifier deux enjeux clés : l’intégration territoriale des projets et la question du partage des retombées économiques. Sur la base de travaux récents de l’Iddri, ce billet de blog vise à fournir un état des lieux des enjeux associés ainsi que des pistes de recommandations, visant en particulier à intégrer le développement des projets citoyens d’énergies renouvelables et des communautés d’énergies renouvelables dans le projet de loi. 

Le retard français en matière d’énergies renouvelables coûte de plus en plus cher

Quelques chiffres clés permettent d’illustrer l’importance de l’accélération du développement des énergies renouvelables (ENR) dans le contexte actuel. À l’échelle européenne, la France est le seul État membre à avoir manqué son objectif d’ENR pour 2020. La part renouvelable dans la consommation finale brute d’énergie a atteint 19,1 % en 2020, pour un objectif fixé à 23 % ; c’est dans le secteur de la chaleur renouvelable que l’écart vis-à-vis de l’objectif 2020 est le plus grand. Ce retard a des conséquences très concrètes : au total, ce sont au moins 60 TWh d’énergie renouvelable qui manquent à l’appel (voir tableau ci-dessous). Et autant d’imports de gaz qui auraient pu être économisés dans les secteurs de la chaleur et de l’électricité principalement : pour la seule année 2022, cela équivaut à une perte d’environ 6 à 9 milliards d’euros, soit autant que l’ensemble des investissements français dans les énergies renouvelables en 20181 . Sans même parler des 500 millions d’euros de sanctions potentielles que la France devrait payer pour non-respect de l’objectif. 

Part des énergies renouvelables en France - évolution et objectifs 2020 et 2030

Energies renouvelables en France
 
Énergies renouvelables en France : écarts entre les objectifs et la part réalisée en 2020 (en % et TWh) 

 

Consommation finale brute

Chaleur et froid

Electricité

Transports

 

%

TWh

%

TWh

%

TWh

%

TWh

Réalisé 2020

19,1 %

308

23,4 %

157

24,8 %

120

9,2 %

40

Objectif 2020

23 %

371

33 %

221

27 %

131

10 %

43

Écart

-17 %

63

-29 %

65

-8 %

11

-8 %

3

Source : Iddri, données SDES 2022.

 

Les ENR électriques, absorbeurs de choc face à la hausse des prix 

On peut également rappeler, comme le fait la Commission de régulation de l’énergie (CRE) dans sa délibération du 3 novembre 2022 relative à la réévaluation des charges de service public de l’énergie, que les énergies renouvelables sous mécanismes de soutien pourraient rapporter jusqu’à 31 milliards d’euros au budget de l’État entre 2022 et 2023, finançant en grande partie le coût du bouclier tarifaire (45 milliards d’euros bruts prévus pour 2023). Sur ces 31 milliards, la filière tant décriée de l’éolien terrestre devrait contribuer à elle seule à hauteur de 22 milliards d’euros. 
Dans le contexte actuel d’explosion des prix de marché de gros pour l’électricité et le gaz, la production d’énergies renouvelables joue ainsi un rôle d’absorbeur de choc essentiel aux côtés du nucléaire historique. Notons au passage que la France est allée très loin en termes de captage et redistribution des « superprofits » sur les énergies décarbonées (nucléaire et énergies renouvelables), tandis que les mesures concernant les effets de rente dans le secteur des énergies fossiles restent pour l’instant assez timides2

Un besoin urgent de répondre aux tensions du système électrique français

L’accélération des ENR s’inscrit également dans le contexte des fortes tensions sur la sécurité d’approvisionnement électrique, particulièrement marqué pour cet hiver, mais qui risquent de se reproduire dans les années à venir, en raison de l’intensification des travaux liés à la prolongation de la durée de vie des réacteurs existants. 

La production d’électricité nucléaire devrait ainsi représenter 280 TWh en 2022 et 300 à 330 TWh en 2023, soit jusqu’à 100 TWh de moins que la moyenne historique. Cette plus faible disponibilité aura également des répercussions sur le passage des pics de consommation pour l’hiver 2022-2023 et probablement ceux à venir. À la mi-novembre 2022, la puissance nucléaire atteignait 31 GW (10 GW en dessous des minima historiques pour cette période), tandis que les projections pour janvier ont été révisées à la baisse par RTE, passant de 45 à 40 GW pour une pointe hivernale d’environ 80 à 85 GW. Ce qui renforce d’autant l’intérêt du déploiement rapide des ENR et de mesures massives et coordonnées de sobriété et flexibilité de la demande énergétique, qui pourraient représenter l’équivalent de 10 réacteurs nucléaires (9 GW) en puissance cet hiver aux heures les plus contraintes pour l’approvisionnement électrique, selon RTE

La planification au service de l’intégration territoriale des projets : améliorer l’existant plutôt que de créer de nouveaux outils 

On peut noter de prime abord que la question de l’intégration territoriale est omniprésente dans les débats parlementaires sur le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables (PJL ENR). La question est majoritairement considérée sous l’angle des compétences « négatives », c’est-à-dire de la capacité d’une collectivité locale à s’opposer à un projet, que ce soit via un « droit de veto des maires » ou de nouveaux outils de planification, qui viendrait s’ajouter au mille-feuilles déjà existant.

À l’inverse, deux considérations devraient guider tout effort de révision des règles de planification dans une perspective d’accélération des projets : 

  • se baser sur l’existant et éviter au maximum de créer de nouveaux outils de planification qui viendraient s’ajouter au mille-feuilles existant en créant de nouvelles barrières et incertitudes réglementaires ;
  • responsabiliser les territoires dans une approche constructive : par exemple, en mettant en place un quota de « zones prioritaires pour l’éolien » par territoire, permettant de fonctionner ensuite sur une procédure d’autorisation très accélérée, à l’image de ce que l’Allemagne a mis en place depuis l’été 2022 avec la règle des 2 %. Ce quota pourrait bien évidemment intégrer les projets déjà existants, permettant ainsi d’assurer une bonne répartition des projets sur l’ensemble du territoire français. 

Les projets ENR à gouvernance locale, grand oublié de l’effort d’accélération des ENR ? 

Autre oubli majeur du projet de loi en matière d’intégration territoriale : les ENR à gouvernance locale et les « communautés d’énergies renouvelables », auxquelles le ministère de la Transition écologique a pourtant dédié un groupe de travail national tout au long de 2021, ne sont même pas évoquées dans l’actuel projet de loi. 

Or, en associant les collectivités locales et citoyens directement à la gouvernance et au financement, les projets à gouvernance locale constituent un puissant levier pour permettre une concertation approfondie du projet avec les parties prenantes locales dès les premières phases et tout au long de sa mise en œuvre, afin de favoriser l’acceptation des projets et leur intégration territoriale au sens large, y compris en ce qui concerne les impacts sur la biodiversité, autre enjeu au cœur des débats actuels. 

Sans oublier que le groupe de travail de 2021 avait abouti à un plan d’action et 10 mesures clés pour le développement des projets citoyens d’énergies renouvelables, parmi lesquelles figurait l’adoption d’un objectif national ambitieux : développer 1 000 nouveaux projets à gouvernance locale d’ici 2028, à comparer aux 290 recensés en 2022. 

Ne pas réduire la question du « partage de valeur » à l’octroi de chèques en blanc

Le chapitre sur les « mesures en faveur d’un partage territorial de la valeur des énergies renouvelables » du PJL ENR comporte une proposition originale à l’article 18 : octroyer aux riverains des projets ENR (l’éolien terrestre étant visé en premier lieu) une compensation financière directe, sous la forme d’une réduction de facture d’électricité, comprise entre 250 euros annuels pour les ménages et jusqu’à 6 000 euros pour les collectivités locales. 

Cette proposition de « partage de valeur » est surprenante pour au moins trois raisons : 

  • en donnant une compensation financière directe, elle renforce l’idée que ces projets seraient « pénalisants » et nécessiteraient un « dédommagement financier », sans même ouvrir la possibilité pour les acteurs locaux de devenir eux-mêmes parties prenantes de ces projets. Ce qui pourrait être instrumentalisé par certaines critiques comme une volonté « d’acheter la paix sociale », au risque de déclencher l’exact opposé de l’effet recherché : un regain d’opposition aux projets ;
  • on parle de partage de valeur des projets, or le mécanisme ne serait pas du tout financé par le porteur du projet concerné, mais bien par la contribution au service public de l’électricité (CSPE), c’est-à-dire le budget de l’État ;
  • passer par une réduction de facture d’énergie semble être une bonne idée dans la période actuelle, mais il serait nettement préférable d’encourager les porteurs de projets à financer des projets de transition énergétique (rénovation énergétique, mobilité) et écologique (biodiversité, agriculture), permettant de créer des cercles vertueux au service de la transition écologique dans les territoires

Maximiser les retombées économiques locales grâce à la gouvernance locale

Les travaux existants sur les projets d’énergies renouvelables à gouvernance locale pointent pourtant une alternative intéressante : selon l’étude réalisée par Energie partagée en 2019 avec le soutien de l’Ademe, un projet maîtrisé et financé par les acteurs locaux peut générer entre 2 à 3 fois plus de retombées économiques pour le territoire qu’un projet conventionnel. 

Or, il faut bien se rendre à l’évidence : en dépit de leur potentiel considérable (50 % de l’ensemble des projets ENR électriques sont en possession des citoyens et des acteurs locaux en Allemagne, équivalant à 100 milliards d’euros d’investissements) et de leur forte valeur ajoutée sur le plan des retombées économiques et de l’acceptabilité, les projets à gouvernance locale ont encore beaucoup de mal à se développer et des aides publiques sont nécessaires pour massifier ce mouvement.

Ce sont bien des mesures permettant de simplifier, encourager puis systématiser la participation directe des collectivités locales et des citoyens qui font défaut, plus que des compétences « négatives » permettant de s’opposer à de futurs projets. Le groupe de travail de 2021 avait ainsi permis d’identifier de nombreuses pistes concrètes qui pourraient servir d’inspiration pour amender le projet de loi : 

  • financer massivement l’ingénierie territoriale et le montage des projets ENR à l’échelle locale ;
  • développer des mécanismes de financement préférentiels pour les communautés d’énergies renouvelables et élargir l’accès aux mécanismes de soutien en guichet ouvert (hors appels d’offres) ;
  • proposer des alternatives à l’actuel « bonus participatif » dans les appels d’offres CRE, largement délaissé par les développeurs industriels ;
  • fournir des incitations fiscales pour l’investissement citoyen ;
  • systématiser l’ouverture de la gouvernance et du financement des projets ENR aux riverains (citoyens, collectivités, entreprises) ;
  • permettre une modulation des niveaux de soutien financier pour tenir compte des différentiels de productible entre territoires, afin d’assurer une meilleure répartition géographique des projets ;
  • financer des campagnes de communication et de formation pour sensibiliser l’ensemble des acteurs au montage des projets à gouvernance locale.
  • 1En faisant l’hypothèse que l’ensemble de la production renouvelable additionnelle aurait permis de remplacer du gaz naturel dans les secteurs de l’électricité et de la chaleur, avec un prix du gaz à l’import compris entre 100 et 150 euros par MWh en 2022. Les investissements dans les ENR ont atteint 8,6 milliards d’euros en France en 2018 selon les Chiffres clés des ENR, Edition 2022 du SDES : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/chiffres-cles-des-energies-renouvelables-edition-2022.
  • 2L’amendement n°I-2890 au projet de loi des finances déposé par le gouvernement (en attende de discussion) prévoit de créer une « contribution temporaire de solidarité » sur les énergies fossiles, qui devrait rapporter 200 millions d’euros, à comparer aux 17,3 milliards de dollars de bénéfices du groupe Total sur les 3 premiers trimestres 2022. Autre illustration : selon les éléments indiqués par le PDG de Total Énergies en audition à l’Assemblée nationale, le coût de la ristourne à la pompe consentie par le groupe atteint 176 millions d’euros, soit à peine 1 % des bénéfices record du groupe sur les trois premiers trimestres 2022.