L'Accord de Paris sur le climat signé en décembre 2015 lors de la COP 21 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a pour objectif – central et ultime – de « contenir l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et à poursuivre l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels » (cf. Art. 2.1.a.1 ). Toutes les Parties à la Convention Climat se sont accordées sur cet objectif, et y contribuent, appuyées par l’ensemble des acteurs non étatiques, par différents types d'engagements (contributions déterminées au niveau national, stratégies de long terme) et d'instruments de suivi. Ce billet de blog analyse la portée juridique de ces engagements, tant au niveau international que national, et interroge l’opposabilité potentielle de l’accord, dans un contexte de judiciarisation croissante de l’(in)action climatique.

Ce billet de blog appartient à une série produite par l’Iddri sur les effets de l’Accord de Paris sur le climat, à l’occasion du 5e anniversaire de son adoption.

Articuler droit international et droits nationaux

L’Accord de Paris2 est un traité, relevant de la Convention de Vienne sur le droit des traités3 , dans le cadre de laquelle les Parties s’obligent les unes par rapport aux autres. La dimension contraignante du texte de l’accord est à géométrie variable, les obligations étant plus ou moins impératives, ou souples (différence entre shall ou should en anglais)4 . Traité dit de « 3e génération » dans la gouvernance de l’environnement, il est de caractère progressif et crée des dynamiques temporelles de mise en œuvre. Les mécanismes procéduraux sur lesquels il repose (règles de comptabilité et de transparence, notamment, entre autres éléments du rulebook de l’accord) sont en effet intégrables mutuellement entre les échelles nationale et internationale : ils permettent en effet à la fois d’améliorer la gouvernance internationale du droit climatique et, par l’intermédiaire des contributions déterminées au niveau national (NDC en anglais) soumises par les États, de générer au niveau des pays des mesures qui seront obligatoires du point de vue du droit national. Les contraintes ne sont donc pas seulement juridiques au sens strict, mais d’un type nouveau permettant d’articuler de façon vertueuse droit international et droits nationaux5 .

Dans son récent arrêt Commune de Grande-Synthe, le Conseil d’État a précisé sa vision de cette articulation en indiquant que « si les stipulations de la CCNUCC et de l’Accord de Paris… sont….dépourvues d’effet direct, elles doivent néanmoins être prises en compte dans l’interprétation du droit positif », c’est-à-dire le droit européen et le droit national qui sont, eux, d’application directe6 .

Outre les mécanismes non directement juridiques qui peuvent être attendus d’une telle architecture (pression entre pairs, apprentissage collectif), comment caractériser ses effets proprement juridiques, notamment sur les processus politiques décisifs ? On fait ici référence aux impacts sur les différentes politiques publiques (politiques fiscales, politiques sectorielles, infrastructures et aménagement du territoire, investissements, par exemple).

Pour ce qui relève de l’échelon national, l’article 4.2.7 de l’accord crée une obligation de transcrire les NDC dans un dispositif national d’application (en France, la Stratégie nationale bas-carbone8 est l’instrument d’application de l’Accord de Paris). La question nationale est donc assez strictement encadrée, un pays qui ne prendrait pas de mesures nationales pour mettre en œuvre sa NDC (soit ses engagements vis-à-vis de l’accord) pourrait être en infraction vis-à-vis des autres Parties.

En outre, l’Accord de Paris repose sur deux principes intégrés à la Convention Climat dès 19929 : le principe de précaution et le principe de responsabilités communes mais différenciées. Ces deux principes, notamment repris, pour le premier, dans de nombreux droits nationaux, constituent des leviers potentiels pour créer des obligations juridiques.

Mettre en cohérence objectifs (ambitieux) et mise œuvre

L’Accord de Paris met également en tension d’une part le besoin d’ambition pour tout le monde (cf. art. 2), mais sans le répartir, d’autre part un certain nombre de mécanismes par lesquels les pays vont devoir individuellement, progressivement, tenter de s’aligner sur ce niveau d’ambition. Les objectifs et les outils pour les atteindre (NDC, stratégies à long terme (cf. art. 4.19)) sont par conséquent des éléments séparés et indépendants dans l’accord, qui « laisse » le jeu d’acteurs (États, entreprises, etc.), aux niveaux international et national, apporter la cohérence nécessaire entre mesures de court terme et transformations de long terme en vue de l’objectif ultime, limiter la hausse de la température à +2°C, voire 1,5°C.

Sans obliger formellement les Parties à assurer cette compatibilité, sans non plus valider leurs engagements (ils le sont par les Parties elles-mêmes), l’Accord de Paris donne la possibilité, par un système de gouvernance polycentrique, à différents acteurs de remettre en cause ces engagements eu égard à leur insuffisance par rapport à l’ambition globale. Cette horizontalité de la gouvernance permet, à différents niveaux, des actions et des alignements d’anticipation conformes aux objectifs de l’accord.

Ainsi, depuis 2015, certains acteurs, notamment de la finance internationale, ont modifié en profondeur leurs discours, désormais centré sur l’alignement avec l’Accord de Paris. Si la traduction dans la réalité de ce nouveau paradigme reste à prouver et à évaluer, la transformation induite par le système mis en place par l’accord, en rupture conceptuelle totale avec la verticalité « descendante » (top-down) du protocole de Kyoto et reposant sur une autonomie espérée vertueuse des acteurs, est déjà à l’œuvre.

Assurer la redevabilité des engagements

La force politique de l’Accord de Paris, dont témoigne notamment l’annonce par le futur président des États-Unis Joe Biden de réintégrer l’accord dès sa prise de fonction, semble donc acquise, et vient donner un surcroît de soutien à son opposabilité juridique. Si celle-ci ne coule pas de source (invoquer une NDC devant une juridiction nationale dépend de la situation juridique de chaque pays), l’Accord de Paris confirme, renforce et propose des leviers d’action, en créant des interactions et synergies collectives qui contribuent à fabriquer du droit et de la jurisprudence.

Si les contentieux climatiques devant les différentes juridictions nationales existent et se sont multipliés depuis quelques décennies, l’Accord de Paris offre un cadre de référence supplémentaire y compris devant le juge interne. Plusieurs affaires illustrent cette tendance, notamment, en France, « Commune de Grande-Synthe contre l’État français » susmentionnée, « L'Affaire du siècle », « Urgenda » aux Pays-Bas ou encore l’affaire de l’aéroport de Heathrow devant la Cour royale de Londres10 . Ces affaires portées en justice semblent en mesure d’exercer une influence progressive à la fois sur le développement de politiques climatiques nationales et l’impulsion de lois climatiques plus ambitieuses au niveau des États, et sur une dynamique évolutive du droit international lui-même11 . En s’appuyant de plus en plus sur l’Accord de Paris, lui donnant ainsi une force interprétative certaine, une nouvelle gouvernance du climat à plusieurs échelles se met en place. On peut dès lors observer une tendance croissante à une évolution du droit positif concernant le climat dans les différents pays où les contentieux climatiques se développent.