Donnant une suite positive à une résolution adoptée en 2022 par l’Assemblée des Nations unies pour l’Environnement (ANUE) et après quatre sessions de négociations, une réunion intergouvernementale a décidé le 20 juin dernier de créer un nouveau panel science-politique concernant les produits chimiques, les déchets et la pollution, venant s’ajouter au Giec et à l’IPBES. Les trois crises environnementales planétaires (climat, biodiversité, pollution) font ainsi désormais l’objet d’instances mobilisant les savoirs scientifiques au service de l’action nécessaire au niveau international et national. C’est un signal positif de soutien au multilatéralisme1 et au rôle de la science, dans une période de forte contestation et de conflits. Les discussions furent parfois tendues, reflétant les différentes visions nationales (notamment sur les règles de gouvernance des institutions internationales environnementales) et la diversité des préoccupations qui s’expriment sur les questions d’environnement. Au final, la création du « Panel chimie » est un pas en avant significatif, mais certaines modalités de fonctionnement doivent encore être précisées, si possible lors de la première plénière du nouveau panel.
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Mais un multilatéralisme affaibli, au sein duquel la règle du consensus peut permettre tous les blocages et où une vision réductrice des questions environnementales planétaires s’oppose à la vision systémique du développement durable.
La dernière session du groupe de négociation dit OEGW-3-2 portant sur l’établissement d’une nouvelle plateforme science-politique appelée par commodité « Panel chimie », consacrée aux produits chimiques, aux déchets et à la pollution2, s’est déroulée à Punta del Este du 15 au 19 juin 2025 et a abouti à un accord confirmé lors d’une réunion intergouvernementale qui s’est tenue dans la foulée le 20 juin. La plateforme portera le nom de « Panel intergouvernemental science-politique sur les produits chimiques, les déchets et la pollution » (Intergovernmental Science Policy Panel on Chemicals, Waste and Pollution [ISP-CWP]), et disposera d’un statut d’organisme indépendant dont le secrétariat sera dans l’immédiat assuré par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).
Principes fondateurs
Le document fondateur précise le champ d’application du Panel couvrant les objectifs et les fonctions suivants :
mener des analyses prospectives (« horizon scanning ») en vue d’identifier des signaux précurseurs d’évolutions critiques dont le traitement relèvera de l’action politique ;
conduire des évaluations de problèmes relevant de réponses politiques ;
identifier les besoins de connaissances, rapprocher chercheurs et responsables politiques, disséminer l’information ;
promouvoir le partage d’informations en particulier avec les pays en développement ainsi que le renforcement des capacités dans les domaines couverts par le Panel.
Comme l’Iddri l’a déjà souligné (Iddri, 2023), certaines de ces fonctions sont spécifiques par rapport au Giec et à l’IPBES, et très bienvenues, notamment celle de veille prospective, essentielle dans un domaine où les incertitudes et les manques de connaissances sont majeurs et pourtant déterminants pour la décision (effets cocktails entre polluants, effets chroniques, mais aussi scénarios de réduction des plastiques et produits chimiques dans les modèles d’affaires et les usages, etc.). La fonction d’identification des besoins de connaissances situe aussi cette plateforme plus explicitement en amont des agendas de recherche que ses équivalents sur le climat et la biodiversité. Des données et informations clés, par exemple sur les risques de toxicité et d’écotoxicité des molécules chimiques, étant souvent détenues par les industries productrices privées, il est d’autant plus important que ce panel ait une fonction de partage d’informations avec les autorités publiques et autres acteurs des pays en développement.
Le document fondateur indique par ailleurs les principes de fonctionnement avec en particulier le souci de garantir l’indépendance et la crédibilité de la plateforme, de rechercher le consensus dans les processus décisionnels, d’assurer la transparence des travaux, de mobiliser l’ensemble des savoirs pertinents en termes de disciplines et de porteurs de connaissances, produire des livrables pertinents pour la décision politique (« policy relevant ») sans être prescriptifs (« policy prescriptive »).
Le Panel est piloté par une assemblée plénière ouverte aux pays membres des Nations unies, ainsi qu’à des observateurs pour lesquels les critères de participation doivent encore être finalisés à partir d’une approche inclusive. La plénière a notamment la responsabilité de l’adoption du programme de travail, et désigne les membres du Comité d’experts interdisciplinaire (IEC, Interdisciplinary Expert Committee), qui joue un rôle central dans la conduite des travaux ; les membres de l’IEC sont sélectionnés sur la base d’une large expertise, y compris socio-économique. Des observateurs pourront être invités à accéder aux sessions de l’IEC, là encore selon des règles qui restent à préciser. La définition du programme de travail constituera une prochaine étape particulièrement stratégique, par exemple pour voir à quelle échéance pourraient et devraient être abordées des questions clés qui n’ont pas manqué d’être soulevées lors des négociations sur un nouveau traité sur la pollution plastique (Iddri, 2024), sur les scénarios économiques de transition dans le cas où la production de polluants et de plastiques serait réduite à la source.
Des discussions non encore abouties ont concerné la question du genre, la prise en compte de l’expertise des communautés locales aux cotés des peuples indigènes ou encore celle des enjeux sanitaires et le rôle attendu de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont on espère qu’il sera substantiel.
Les questions non abouties à Punta del Este devront être réexaminées lors de la première Assemblée plénière du Panel, qui pourrait se tenir rapidement à Genève à l’invitation de la Suisse, laquelle a également proposé d’accueillir le secrétariat du nouveau panel, lequel serait ainsi proche du secrétariat des conventions chimiques, de l’OMS et du bureau européen du PNUE. Elles concernent principalement certaines règles de procédure comme l’admission des observateurs, la préparation et l’adoption du programme de travail et les livrables, ainsi que l’évitement des conflits d’intérêts. Cette dernière question a été soulignée comme particulièrement centrale par la société civile, à deux titres : compte tenu de la centralité des données et informations détenues par les industries productrices de produits chimiques sur le sujet spécifique de ce panel ; et compte tenu du nombre croissant des représentants des industries pétrolières ou pétrochimiques dans les négociations sur l’environnement, constaté notamment sur le climat ou sur les plastiques.
Quelles suites dans un contexte multilatéral dégradé ?
Si à l’issue de la réunion de Punta del Este, les États et le PNUE ont montré leur satisfaction et leur désir d’avancer, certaines ONG ont exprimé leur préoccupation face aux nombreuses tentatives d’obstruction, à l’adoption désormais acquise de la règle du consensus et plus généralement à un état d’esprit peu coopératif affiché par certains pays. De fait, le climat dégradé des relations internationales et l’affaiblissement des Nations unies, la réticence de certains pays à rapprocher questions environnementales et sanitaires, sont facteurs de méfiance et de freinage. Néanmoins, malgré les positions répétées de la Russie sur l’obligation de consensus et la volonté des États-Unis et de l’Argentine d’écarter la notion de genre — pourtant largement admise au niveau international —, le document fondateur a été adopté sans opposition de ces pays, ce qui permet d’aller de l’avant.
Dans ce contexte qui n’est pas sans rappeler les positions en présence dans la négociation du traité sur l’élimination de la pollution plastique, les discussions sur les dispositions à finaliser et sur la préparation du premier programme de travail pourront sans doute être l’occasion d’une guérilla paralysante. Mais la communauté scientifique et la société civile, les secrétariats des accords multilatéraux sur l’environnement concernés, le PNUE et l’Organisation mondiale de la santé ainsi que les nombreux États volontaristes en Europe et dans le monde veilleront à ce que ce Panel réponde aux attentes qu’il suscitera dès sa prochaine mise en place.
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Dès 2022, la revue scientifique Lancet Global Health publiait un ensemble d’analyses alarmantes sur l’impact sanitaire et environnemental des nouveaux polluants, notamment chimiques, et appelait à la constitution d’une plateforme internationale dédiée à la pollution.