Trois ans après la COP 21, la conférence climat des Nations unies la plus importante depuis l’adoption de l’Accord de Paris en 2015 s’est ouverte dimanche 2 décembre à Katowice. La Pologne, qui accueille une COP pour la 3e fois (après Poznań en 2008 et Varsovie en 2013), a fait le choix de la capitale de la Silésie, une région dont l’économie reposait traditionnellement sur l’industrie minière et sidérurgique, pour mettre en lumière la récente et profonde reconversion de ce centre industriel vers l’innovation et la culture et présenter Katowice comme le modèle d’une transition « verte ». Ce choix permet également de dessiner la vision polonaise de la transition vers un monde résilient et bas-carbone, qui doit mieux prendre en compte les aspects sociaux en s’assurant que l’humain y demeure la dimension centrale. L’Iddri décrypte dans ce billet les enjeux politiques et opérationnels de cette vision.

Les messages clés envoyés à la communauté climatique par la présidence de la COP 24 entérinent cette vision sociale de la transition écologique : « il est nécessaire de conduire le changement collectivement avec les populations concernées à travers la transformation juste et solidaire des territoires et des secteurs industriels ». De même, la Déclaration de Silésie sur la solidarité et la transition juste que le président polonais de la COP Michal Kurtyka, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Environnement, a proposée à la signature des chefs d’État présents (48 signatures au 6 décembre), entend mettre l’accent sur les conséquences socio-économiques potentiellement négatives des changements en cours et à venir.

On ne peut que se réjouir de la volonté d’accompagner les populations dans la nécessaire transition énergétique afin d’en atténuer les impacts sociaux négatifs, et de l’appropriation par tous de l’expression « transition juste », définie par les associations internationales de syndicats depuis près d’une décennie, mais le risque est que ce soit également un moyen subtil d’alerter et d’insister sur les dommages collatéraux de la transition afin d’en limiter la portée ou la profondeur. On voit bien l’intérêt que l’exécutif polonais aurait à souligner les risques sur l’emploi que comporte la transition énergétique, espérant préserver ses mines et ses centrales à charbon (qui fournissent près de 80 % de son électricité) et retarder la transformation dans les décisions prises par l’Union européenne. Cette tension quant à la meilleure manière de combiner priorités climatiques, nécessités économiques et conséquences sociales est palpable dans le discours de l’exécutif polonais, qui met surtout l’accent sur ces dernières dimensions.

Cependant, l’exemple de la Silésie, qui a anticipé une reconversion hors du charbon, montre plutôt une version positive de la synergie entre transition énergétique et nécessités de reconversion, et entre ainsi en résonance avec les travaux menés par l’Iddri et Climate Strategies sur la mise en œuvre de transitions de six pays ou régions hors de la dépendance de leur économie au charbon. D’une part, ces travaux montrent que les objectifs de décarbonation de l’économie entrent en fait en synergie avec d’autres facteurs impliquant la nécessité d’une sortie du charbon, comme les tendances générales liées aux progrès technologiques et à la compétition mondiale qui auraient conduit, même sans ambition de transition énergétique, à des impacts sociaux importants dans ces régions. D’autre part, ces travaux montrent que le principal facteur de réussite de ces transitions consiste à les anticiper, et proposent des recommandations dans cette perspective : une meilleure orientation des jeunes travailleurs vers des emplois alternatifs, un départ à la retraite naturel des employés plus âgés et des programmes de reclassement. C’est d’ailleurs ce que le gouvernement espagnol va mettre en œuvre après un accord de 250 m€ avec les syndicats et l’industrie.

Il est donc urgent que l’ensemble des gouvernements du globe, mais également les entreprises, les industries, les partenaires sociaux et les territoires, prennent sérieusement en compte la dimension sociale de la transition bas-carbone et la question des inégalités entre groupes sociaux ou entre régions, soumis à des évolutions rapides de leurs économies et de la structure des emplois pour bien d’autres facteurs que les impératifs climatiques. La Déclaration de Silésie est utile pour réaffirmer cette vision, et il importe qu’elle permette de structurer un champ d’action opérationnel en faveur de cette transition juste, et qu’à l’inverse elle ne soit pas instrumentalisée pour ralentir l’action.