Le Forum politique de haut niveau (HLPF) s’est tenu du 5 au 15 juillet 2022 à New York. Marqué par un contexte de multiples crises globales et interconnectées, ce rendez-vous de la plateforme centrale des Nations unies pour le suivi et l'examen de l’Agenda 2030 et des Objectifs de développement durable (ODD) au niveau mondial a mis en exergue le retard pris dans l’atteinte de l’ambition adoptée en octobre 2015 de « Transformer notre monde ». Largement passées sous silence dans les débats politiques et médiatiques, sauf pour les experts et les initiés, ces discussions sont pourtant un enjeu clé dans les rapports conflictuels entre pays du Sud et pays du Nord, et donc dans la géopolitique mondiale. 

L’Agenda 2030 au cœur des relations Nord-Sud

Initié par une proposition de pays du Sud (Colombie, Guatemala), l’Agenda 2030 constitue un objet politique complexe dont beaucoup de pays du Nord ont du mal à se saisir pour leurs propres politiques nationales, mais il a encore une légitimité politique très forte pour bon nombre de pays du Sud, et la Chine ne s’y trompe pas lorsqu’elle s’y réfère de manière systématique. Cadre systémique conceptuellement juste pour penser la transformation sociale et environnementale de nos sociétés, il est donc aussi politiquement prioritaire pour une majorité de pays (qui voient l’Accord de Paris sur le climat comme intégré dans l’Agenda 2030, et donc les ODD comme le cadre de pensée majeur). Sa complexité et les difficultés rencontrées dans son opérationnalisation l’ont cependant relégué en arrière-plan pour beaucoup de décideurs politiques européens (sauf en matière d’aide au développement) et nord-américains.

Il serait très risqué que l’Agenda 2030 disparaisse des radars et pour au moins deux motivations majeures : (1) sur le fond, il est indispensable d’atteindre ensemble les ODD, car ils désignent la transformation structurelle de nos sociétés indispensable en matière sociale et environnementale ; (2) en termes de risque politique, l’Agenda 2030 et son pendant financier l’Agenda pour l’Action d’Addis Abeba constituaient un des éléments du deal passé par les pays du Sud pour participer à l’Accord de Paris : la montée de la défiance du Sud envers les promesses financières du Nord (finance climat et adaptation, financement de la biodiversité, accès aux vaccins, etc.) risque de culminer lors du bilan à mi-parcours de l’Agenda 2030 l’année prochaine, qui constitue donc le point d’orgue d’une séquence à haut risque.

2023, étape clé dans la mise en œuvre des ODD

En effet, en septembre 2023, les chefs d’État et de gouvernement seront mobilisés pour faire un point d’étape à mi-parcours lors du Sommet des ODD. À un an de cette échéance clé, le constat n’est pas à l’euphorie, au contraire. Les difficultés liées aux inégalités d’accès aux vaccins, à l’aggravation de la crise climatique, à la crise alimentaire, au recul sur le développement1 et les droits humains, à la perte de biodiversité et à la question de la dette ont en particulier été soulignées par les États membres2 . Et si l’Agenda d’Addis Abeba ne contient pas d’engagements financiers chiffrés, il tient lieu de stratégie pour la coopération Nord-Sud en matière de développement, et les montants mobilisés sembleront nécessairement trop faibles face à l’ampleur des enjeux.

Pour que le Sommet de 2023 ne soit pas un sommet de crise, mais utile pour accélérer la mise en œuvre de la transformation que les ODD incarnent, il est nécessaire d’être, dès aujourd’hui, beaucoup plus exigeant dans la mise en œuvre des engagements pris en 2015. Et les pays et les différents acteurs devront à la fois démontrer ce qu’ils ont changé dans leurs pratiques (par exemple en matière de financement du développement ancré dans les besoins des pays pour atteindre les ODD, même si la mue est loin d’être encore complète) et afficher ce qu’ils sont prêts à faire pour accélérer considérablement l’action dans la seconde moitié de la période des ODD.

Mobilisation et alignement en faveur des ODD

Les récents travaux scientifiques publiés sont très clairs : l’impact politique de l’Agenda 2030 a été jusque-là essentiellement discursif, rarement normatif, et beaucoup trop peu transformatif3 . Combien sont les parties prenantes, les différents acteurs, bailleurs de fonds, organisations internationales et États qui ont véritablement fait évoluer leurs pratiques et leurs politiques depuis l’adoption de l’Agenda 2030 ? Les exemples existent, mais sont encore trop peu nombreux. Le potentiel véritablement transformateur de l’Agenda 2030 réside dans sa nature intégrée et indivisible, l’accent mis sur l’adoption d’un horizon à long terme, la priorité accordée aux changements systémiques et dans son engagement à améliorer la vie des personnes les plus pauvres et les plus marginalisées tout en réalisant le développement durable.

Pour être effective, l’atteinte des ODD nécessite une mobilisation générale de l’ensemble des acteurs, en particulier les États et les institutions financières. La question du financement est en effet centrale : parce que les besoins sont toujours présents (voire accrus à la suite de la succession de crises sanitaires, économiques, liées à la guerre) et les objectifs, mais également les promesses de financement, n’ont pas été atteints, parce que de nombreux pays du Sud estiment ne pas recevoir assez, parce que les pays donateurs cherchent les moyens de mobiliser des sources alternatives de financement pour financer la mise en œuvre de l’Agenda 2030. 

Le problème, comme le soulignait au dernier HLPF Paula Caballero, négociatrice colombienne à l’origine des ODD, « nous sommes prisonniers d’une mentalité en silos qui nous a amené là où nous sommes aujourd’hui ». Pour remédier à cela, il est nécessaire d’être beaucoup plus disruptif et de « défaire le statu quo ». L’Agenda 2030, plutôt qu’un horizon idéal ou aspirationnel lointain, doit ainsi être perçu comme une opportunité, un appel à transformer, à agir sur les liens, les synergies et les frictions pour éviter les blocages qui caractérisent les actions, les politiques et les investissements réalisés aujourd’hui. Puisqu’il s’agit d’un agenda de transformation, il fait évidemment face à des résistances et à des effets de verrouillage, qu’il faut pouvoir regarder en face.

Désormais, plutôt que les discours, ce sont les actions qui doivent être alignées avec l’Agenda 2030 : politiques environnementales et socio-économiques, et financements, afin de favoriser une transformation fondamentale de la société et de l’économie, de manière à apporter une contribution positive au développement durable et à ne pas nuire à l’ensemble des ODD.

En dépit du retard pris dans l’atteinte des ODD, l’année à venir offre des opportunités d’agir et de changer, enfin, de paradigme. 

Le rôle de l’Union européenne

Dans cette logique, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a plaidé pour un nouveau pacte mondial (New Global Deal) afin de rééquilibrer le partage du pouvoir et des ressources financières et de permettre à tous les pays en développement d'investir dans les ODD4 . Cela s’appuierait notamment sur : un cadre opérationnel d'allégement et de restructuration de la dette ; une réduction des coûts d'emprunt pour les pays en développement ; et un investissement dans la résilience à long terme plutôt que dans le profit à court terme.

L’une des difficultés rencontrées par l’Agenda 2030 est l’absence de figure de proue, de « champion », pour l’incarner et entraîner la mobilisation de l’ensemble des acteurs, en particulier au niveau international. En 2023, le HLPF devrait être l’occasion de la présentation des revues volontaires de la France, la dernière datant de 20165 , et surtout pour la première fois de l’Union européenne. Celle-ci pourrait combler le leadership manquant si elle s’emparait réellement des ODD pour en faire un axe important de son action extérieure. Tandis que « la géopolitique se structure progressivement autour d’une compétition entre les États-Unis et la Chine »6 , l’Europe, y compris dans une dynamique « Team Europe »7 , gagnerait à se mobiliser pour faire de l’Agenda 2030 la boussole effective de la communauté internationale en faveur « d’une relance verte qui ne laisse personne de côté ». 

L’enjeu n’est ici pas d’utiliser cette échéance pour simplement rappeler à la communauté internationale tout le bien que l’Europe fait déjà pour l’Agenda 2030 en s’appuyant sur le Pacte vert ou le Global Gateway8 . Nous savons déjà que cela ne suffit pas face aux enjeux9 , et encore moins pour entraîner les autres régions de la planète, et assumer un leadership global en faveur du développement durable. 

L’Europe peut aller plus loin, et cela passe en particulier par la mise en œuvre des propositions du Parlement européen10 , mais aussi, en matière de financement, par une mobilisation européenne renforcée, y compris dans le cadre des G711 et G20, en faveur de profonds changements dans les institutions financières, y compris européennes, et les banques multilatérales de développement pour une augmentation de l'ordre de grandeur et de l'échelle des opérations, une réforme de la gouvernance axée sur les résultats et, probablement, une restructuration du modèle économique de ces institutions pour mieux contribuer à la réalisation des ODD12

L’année à venir et la perspective du sommet de 2023 doivent engendrer une véritable dynamique entre les pairs, y compris entre institutions financières, capables d’inspirer et de mobiliser grâce à des exemples concrets démontrant et illustrant la manière de rendre opérationnel l’alignement sur les ODD.