Au cours d’une année 2022 marquée par un contexte géopolitique particulièrement tendu, mais riche en négociations de conventions issues du Sommet de Rio de 1992 (COP 15 sur la désertification, COP 27 sur le climat et COP 15 sur la biodiversité), la communauté internationale s’est engagée dans un processus, censé aboutir en quelques années seulement, de construction d’un accord mondial pour lutter contre la pollution par les plastiques. Deux chiffres et une tendance suffisent à saisir leur impact actuel et futur sur l’environnement : entre 8 et 10 millions de tonnes rejetées chaque année dans les océans (ce volume pourrait être multiplié par trois dans les 20 prochaines années), représentant 80 % de la pollution marine. L’urgence de réguler, réduire puis éliminer toute pollution plastique à l’échelle mondiale a donc fait consensus. C’est dans ce cadre que s’est tenu il y a quelques jours le premier round de négociations pour un futur « traité plastiques ». L’Iddri était présent sur place, et revient dans ce billet de blog sur les principaux enjeux de ces négociations, et les suites possibles.

Une résolution ambitieuse de l’ANUE 

Le lancement de la négociation d’un traité sur la pollution par les plastiques est certainement la bonne nouvelle de l’année 2022 en matière de gouvernance internationale de l’environnement. C’est l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement qui a lancé le processus lors de sa session de février-mars 2022. La résolution alors adoptée (UNEA 5/14) a mis en place un Comité intergouvernemental de négociation(INC en anglais) en vue de « développer un instrument international légalement contraignant sur la pollution plastique, y compris dans le milieu marin ». 

Cette décision, si appréciable et ambitieuse soit-elle dans sa rédaction, est venue  tardivement à l’issue d’une longue gestation au sein du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) alors que les constats et analyses scientifiques quant à la pollution plastique se sont multipliés depuis vingt ans. On rappellera qu’en France, l’IFREMER a évalué depuis 1994 la présence de macro-déchets sur le fond de la Méditerranée dans le golfe du Lion1 . Depuis cette date, la densité de déchets n’a fait que croître cependant que s’intensifiait la recherche sur les sources et les caractéristiques de cette pollution.

Le texte de la résolution de l’ANUE est ambitieux à la fois dans son titre sans ambiguïté (« instrument légalement contraignant ») et dans son dispositif, puisqu’il incite les négociateurs à traiter de l’ensemble du cycle de vie des plastiques, et non seulement de l’aval de celui-ci, c’est-à-dire le contrôle de la pollution de l’environnement. Il est également ambitieux dans la fixation des délais d’une négociation qui devrait déboucher sur une conférence de signature en 2025. Dès à présent, compte tenu de la complexité des questions en jeu et des autres négociations en cours, on peut s’interroger sur le réalisme de ce calendrier quand on considère la durée de négociation pour le traité Haute mer par exemple. 

Un premier round de négociations relativement consensuel

Mais le processus est désormais lancé, avec le premier round de négociations (INC-1) qui s’est tenu sous présidence péruvienne à Punta del Este (Uruguay) du 28 novembre au 2 décembre derniers. Le PNUE avait soigneusement préparé cette première conférence en produisant des documents de travail2  portant sur les options possibles pour la structure du futur accord ainsi que sur son champ d’application, un glossaire, un état de la science, une revue des instruments financiers existants permettant de traiter la pollution par les plastiques, et un aperçu des modalités possibles de participation de la société civile. L’ensemble de ces questions et d’autres ont été passés en revue au cours du premier round de négociations.

La conférence a débuté par l’élection du Bureau (qui n’a pu être que partielle) et l’adoption des règles de procédure (qui n’ont pu être appliquées qu’à titre provisoire). L’agression militaire russe contre l’Ukraine a été condamnée par des pays occidentaux et par l’Ukraine, conduisant à des répliques véhémentes de la Russie. Ces échanges n’ont cependant pas entamé la volonté des participants de traiter l’ensemble de l’agenda tel que proposé par le PNUE puis adopté en début de réunion.

Sur le champ d’application du futur traité, une grande majorité de pays suivant la Coalition pour une haute ambition (HAC en anglais) initiée par la Norvège et le Rwanda, et dont font partie l’Union européenne et la France, s'est prononcée en faveur d’un traité abordant la totalité du cycle de vie des plastiques depuis l’extraction des substances de base jusqu’à l’élimination des déchets. Cependant, les États-Unis, le Japon et l’Arabie Saoudite ont exprimé des vues plus restrictives. Sur la structure du traité, la plupart des pays sont favorables à un traité spécifique de type Convention Minimata sur le mercure comportant des objectifs, des principes et des obligations générales et spécifiques accompagnées d’annexes techniques, de préférence à un accord-cadre dont l’essentiel de la déclinaison serait laissé au niveau national, cette dernière option ayant la préférence des États-Unis. Dans les deux approches, des plans d’actions nationaux devraient être préparés pour la mise en œuvre du traité.

Sur les principes et les obligations concrètes, la HAC et de nombreux pays ont rappelé les principes de la Déclaration de Rio ainsi que des principes propres au sujet tels que la responsabilité élargie du producteur et se sont prononcés pour l’adoption de mesures visant à « restreindre la production et la consommation de plastiques à des niveaux durables » et à promouvoir une économie circulaire des plastiques afin de protéger l’environnement et la santé humaine tout en mettant en œuvre une gestion rationnelle et le recyclage des déchets plastiques. La nécessité d’un suivi scientifique, au besoin en mettant en place un organe de conseil, a également été pointée par de nombreux pays.

La question du soutien financier aux pays en développement (PED) a été abordée par les pays d’Afrique, d’Asie-Pacifique et d’Amérique du Sud, sans entraîner, à ce stade de réactions significatives des pays de l’OCDE, lesquels seront très vite appelés à exprimer leurs positions à l’égard de l’hypothèse d’un instrument autonome de type Fonds multilatéral pour la protection de la couche d’ozone, qui a la préférence des PED.

La participation des porteurs d’enjeux, notamment les entreprises, communautés locales et ONG, a été fortement souhaitée. La stratégie des entreprises mérite un suivi particulier. Si une « Business Coalition for a Global Plastics Treaty » a été constituée à l’initiative du WWF et de la Fondation Ellen Mac Arthur et plaide pour une « réduction de la production plastique et la production d’une économie circulaire », on note que des organisations professionnelles telles que Plastics Europe ou World Plastics Council, conscientes de l’impact très négatif de la pollution plastique dans l’opinion et s’exprimant en faveur du traité, s’efforceront de faire limiter le champ d’application du traité à une gestion rationnelle de l’aval du cycle (recyclage et gestion rationnelle des déchets). Des ONG telles que le WWF, la Fondation Ellen Mac Arthur et le Centre pour le droit international de l’environnement (CIEL en anglais) jouent un rôle majeur en développant des propositions concrètes pour le contenu du futur traité.

Et après ?

La prochaine session de négociations se tiendra à Paris en mai 2023. Le PNUE a été invité à préparer un document présentant, sans prendre parti, les positions exprimées par les pays et les porteurs d’enjeux sur les différentes options relatives à la structure et au contenu du traité. Autrement dit, INC-2 n’entrera pas encore dans la négociation proprement dite d’un projet de traité, mais devrait trancher entre les options possibles de structure et de contenu. On peut s’imaginer que le petit groupe des pays rétifs à un traité large et ambitieux s’exprimera et que la conférence sera confrontée à de véritables choix. 

Le désir collectif de progresser qui s’est exprimé au cours de cette première session ne doit pas occulter l’ampleur de l’effort qui reste à accomplir pour parvenir à l’adoption d’un traité en 2025. Comme toujours, un leadership sera indispensable pour produire une dynamique à la hauteur des enjeux.