Onze pays ont ratifié l’accord d’Escazú, qui entrera donc en vigueur début 2021. C’est le seul accord contraignant émanant de Rio+20 et le premier accord sur l’environnement adopté par la région Amérique latine et Caraïbes. À ce titre, et dans un contexte où le multilatéralisme est remis en question, tiendra-t-il ses promesses de gouvernance environnementale et de démocratie dans la région, et au-delà ?

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Un processus de ratification lent

Dans le sillage de la Convention d’Aarhus1 – signée il y a 22 ans – les pays d’Amérique latine et des Caraïbes sont convenus en 2012 à Rio+20 de lancer un processus de négociation visant à concrétiser dans la région les droits inscrits dans le principe 10 de la Déclaration de Rio2 . Après plus de 4 ans de négociations sans précédent – caractérisées par une forte participation des représentants de la société civile et d’innombrables experts du droit de l’environnement et des droits de l’homme –, l’accord régional3 a été adopté à Escazú (Costa Rica) le 4 mars 2018.

À ce jour, 24 pays l’ont signé4 et 11 l’ont ratifié : Antigua-et-Barbuda, Bolivie, Équateur, Guyane, Nicaragua, Panama, Saint-Christophe-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Uruguay ; et plus récemment Argentine et Mexique5 . L’accord entrera en vigueur 90 jours après la 11e ratification (celle du Mexique).

Cependant, depuis son adoption en 2018, le processus de signature et de ratification a été très lent, en partie à cause des changements politiques dans la région6 , de la crise de la Covid-19 et du retard dans les processus de ratification au sein des organes législatifs – résultant du lobbying des représentants du secteur privé et de la diffusion d’arguments inexacts ayant entraîné une confusion sur les impacts potentiels que cet accord pourrait avoir pour les pays une fois ratifié7 . Paradoxalement, le Chili, qui était l’un de ses fervents défenseurs, n’a ni signé ni ratifié l’accord. Le Costa Rica, qui a pourtant joué un rôle important dans les négociations, ne l’a pas encore ratifié. Il en va de même pour la Colombie, qui a également joué un rôle très actif dans les négociations mais ne l’a pas encore ratifié, bien que le pays ait enregistré le plus grand nombre d’assassinats de défenseurs de l’environnement dans le monde en 20198 .

Construire des bases communes pour le droit de l’environnement et la démocratie

La valeur ajoutée de l’accord réside d’abord dans sa nature multilatérale, qui offre un cadre commun permettant de jeter les bases de la démocratie environnementale dans la région et de promouvoir la coopération et le renforcement des capacités des États – en cherchant à soutenir les pays les moins avancés dans ce domaine. Parmi ses principales dispositions, l’accord d’Escazú reconnaît le droit de toute personne à vivre dans un environnement sain, et l’obligation de veiller à ce que les droits définis dans l’accord soient librement exercés. Il préconise l’adoption de mesures législatives, réglementaires, administratives et autres pour assurer la mise en œuvre de l’accord – conformément aux capacités propres et aux lois domestiques des Parties9 –, la diffusion d’informations au public pour faciliter l’acquisition de connaissances sur les droits d’accès, et l’obligation de conseil et d’assistance au public, en particulier aux personnes et aux groupes vulnérables.

L’accord d’Escazú constitue une véritable avancée du droit international de l’environnement en Amérique latine et dans les Caraïbes en soulignant clairement l’importance de la participation du public (participation active, accès à l’information et à la justice) pour aborder les questions environnementales. Selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), en ce qui concerne les droits définis dans l’accord d’Escazú, au niveau régional, 23 pays ont adopté des lois sur l’accès à l’information : 76 % prévoient des dispositions visant à promouvoir la participation des citoyens et seulement 20 % sont favorables à la mise en œuvre d’actions pour leur défense10 . Le Mexique est doté de l’une des réglementations les plus solides de la région dans ce domaine, ce qui invalide l’affirmation selon laquelle le traité est inutile, les pays disposant déjà d’une législation nationale suffisante pour réglementer ces droits. L’accord entérine également certains principes clés, notamment la non-régression et la progressivité11 .

Par ailleurs, tout au long du texte du traité, les droits environnementaux sont ancrés dans la protection des droits de l’homme. Il s’agit du premier traité au monde à inclure des dispositions sur les défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement (article 9), ce qui est loin d’être anodin dans une des régions du monde les plus touchées par les conflits socio-environnementaux et présentant un risque accru pour la vie et la sécurité des personnes et des groupes qui agissent en tant que défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement.

Reconstruire autrement : répondre aux revendications sociales

L’accord d’Escazú est un exemple concret de l’engagement de la région en faveur d’un développement plus égalitaire, plus juste et plus durable. La pandémie de la Covid-19 a mis en évidence les inégalités et les fragilités des pays de la région. Dans ce contexte, il est particulièrement important de mettre en œuvre des processus de planification complets, participatifs et inclusifs pour la conception des politiques publiques dans une perspective de relance. Et si les pays d’Amérique latine et des Caraïbes veulent réellement orienter le développement de leurs économies vers des trajectoires plus durables, il est essentiel de disposer de cadres juridiques qui favorisent la transparence, encouragent une réelle participation des communautés et, surtout, garantissent que les leaders qui se mettent en avant pour défendre leurs territoires ne le paient pas de leur vie.

La région a besoin d’un changement qui se traduise par un renforcement des institutions, la mise en place de systèmes d’information environnementale robustes et la mise en œuvre efficace de mécanismes de participation. L’accord d’Escazú fournit assurément une base solide pour amorcer un tel changement et ouvre la voie à des sociétés plus justes et plus équitables.

Et après ?

La prochaine étape sera l’organisation de la 1re Conférence des Parties (COP)12 , au plus tard un an après l’entrée en vigueur du traité, au cours de laquelle il conviendra de discuter des différents aspects administratifs et financiers nécessaires au bon fonctionnement du traité.

L’entrée en vigueur de l’accord d’Escazú permet de systématiser les réglementations existantes dans la région et offre la possibilité de renforcer les capacités des autorités environnementales, de bénéficier d’une assistance technique et d’une coopération régionale. La région Amérique latine et Caraïbes doit relever de nombreux défis pour la pleine application de ces droits, qui sont très différents d’un pays à l’autre ; pour certains, l’adoption de nouvelles lois sera nécessaire quand, pour d’autres, il s’agira plutôt de modifier les pratiques.

À terme, la mise en œuvre complète et efficace du traité pourrait indiquer une nouvelle dynamique en matière de défense et de promotion du développement durable dans la région. Une telle dynamique ferait de l’Agenda 2030 pour le développement durable et de l’Accord de Paris sur le climat les feuilles de route d’une relance résiliente et d’une trajectoire de développement plus durable.