Les défis du développement international sont, on le sait, considérables. Le nombre croissant de réfugiés, les crises humanitaires récurrentes dans les États fragiles et les impacts tous les jours plus visibles du changement climatique sont quelques-uns des signes qui nous rappellent que le développement « durable », le développement « inclusif » ou le « bon développement », peu importe le terme choisi, restent hors d’atteinte. Les besoins d’action collective ont rarement été aussi élevés, et notre capacité commune à inverser les tendances désastreuses du développement aussi limitée. L’Europe ne fait pas exception. Elle rassemble, certes, des pays champions de l’aide publique au développement, mais pour autant, les réponses qu’elle propose aux problèmes de développement ne sont pas à la hauteur des enjeux, ternies par la recherche de bénéfices politiques de court terme, et une vision étroite, nationaliste et populiste, de ce qui relève de l’intérêt commun des pays de l’Union.

C’est la raison pour laquelle il nous semble aujourd’hui nécessaire de compléter les modes de coopération internationale de l’Union par la recherche de coalitions et de réseaux plus souples, afin d’accroître sa capacité de répondre aux défis du développement. Un des moteurs pourrait être une coopération substantiellement rapprochée en l’Allemagne et la France. Voici pour quelles raisons.

Trois raisons pour une coopération rapprochée

Il existe tout d’abord des raisons historiques à une coopération internationale renforcée. Si on relit le Traité de l’Elysée signé par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer en 1963, on y trouve l’affirmation d’un haut niveau d’ambition en la matière : « En ce qui concerne l’aide aux pays en voie de développement, les deux Gouvernements confronteront systématiquement leurs programmes en vue de maintenir une étroite coordination. Ils étudieront la possibilité d’entreprendre des réalisations en commun. » Cependant, quoiqu’il existe des exemples probants de ces « réalisations en commun », le niveau d’ambition envisagé à l’origine n’a pas été atteint en dépit d’un besoin croissant au fil du temps.

En second lieu, le Président français comme la Chancelière allemande sont en début de mandat. Pour les deux gouvernements, un « nouveau départ » et une « nouvelle ambition » pour l’Europe figurent en haut de leurs agendas respectifs. Les deux chefs d’État se sont exprimés sur le besoin de refonder la stratégie européenne et ses modes d’action. Bien que des nuances existent, des avancées récentes montrent le chemin. Le Conseil des ministres franco-allemand en 2017, par exemple, a mis sur la table plusieurs sujets relatifs au développement. « L’alliance pour le Sahel », soutenue par la France, l’Allemagne et l’UE (et d’autres partenaires), pourrait servir de modèle pour un partenariat tout à la fois resserré et ouvert.

Nous sommes dans un moment politique aujourd’hui où une initiative conjointe des deux pays en matière de coopération pour le développement est possible. Celle-ci viendrait en renfort du surcroît d’ambition et de moyens pour l’action extérieure de l’UE, réclamé par la Haute Représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Federica Mogherini, dans sa Stratégie globale pour l’Europe. Elle serait aussi cohérente avec les propositions du Président Jean-Claude Juncker concernant le prochain cadre financier pluriannuel de l’UE (voir billet de blog sur « Verdir le budget européen »).

Enfin, il est dans l’intérêt tant de la prochaine UE à 27 pays que du Royaume-Uni de maintenir les liens les plus étroits possible entre les politiques de coopération des deux partenaires après le Brexit. Chacun a besoin de l’expertise et des instruments de financement de l’autre. Sans même prendre en considération l’actuelle contribution du Royaume-Uni au budget pour ce qui touche aux actions extérieures de l’UE (12 %), il est de l’intérêt commun de la France et de l’Allemagne d’associer le Royaume-Uni, par tous les moyens possibles, à la définition et à la mise en œuvre des politiques de développement international de l’UE, en particulier dans les États fragiles où les résultats de l’Union restent insatisfaisants. Une vision et une stratégie communes de la France et de l’Allemagne sur un « paquet EU-Royaume-Uni post-Brexit » pour ce qui touche aux grands enjeux de développement serait un atout diplomatique pour maintenir le Royaume-Uni dans le champ des politiques de coopération de l’UE. Elles renforceraient en même temps, pour reprendre une expression présidentielle, la signature continentale des politiques de développement de l’UE.

Comment procéder ?

Une coopération rapprochée entre l’Allemagne et la France ne constitue pas la solution miracle aux défis qui se présentent à l’Union européenne et ne saurait être considérée comme un pas vers une « Europe à deux vitesses ». Néanmoins, une telle coopération sur les sujets de développement pourrait renforcer la visibilité de l’UE ; elle pourrait se concrétiser de la manière suivante.

  • Au niveau politique, avec l’opportunité offerte par le prochain Conseil des ministres franco-allemand de préparer une initiative conjointe des deux pays à destination de l’Afrique, et en particulier des pays les plus vulnérables, qui pourrait être annoncée lors du G7 de 2019 placé sous présidence française.
     
  • Au niveau opérationnel, en démultipliant les initiatives conjointes des institutions de financement bilatéral du développement des deux pays. L’AFD et la KfW organisent des échanges de personnel depuis plusieurs années. Cette pratique pourrait être systématiquement étendue à des postes de direction, ainsi qu’à d’autres institutions des deux pays actives dans le champ du développement international. Le but de ces échanges à des postes et dans des institutions clés serait de mieux aligner les priorités stratégiques et d’explorer systématiquement les possibilités de programmation et de financement conjoint dans un contexte de montée en puissance de financeurs non européens et non souverains du développement.
     
  • À un niveau institutionnel, il y a un besoin très concret d’achever le processus de rapprochement de l’AFD et de la Caisse des dépôts et consignation (CDC) en France et faire de la nouvelle structure un partenaire de poids aux côtés de la KfW. Ceci faciliterait non seulement la co-construction d’une stratégie et d’une programmation communes, mais donnerait également à l’UE un effet de levier considérable dans le financement de ses actions extérieures et l’offre de paquets de financement « européens » ou « progressistes », en matière sociale et climatique en particulier, à destination des pays tiers – l’AFD/CDC, la Banque européenne d’investissement (BEI) et la KfW partageant des modalités de financement très comparables.
     
  • Au niveau de la production de connaissances, nous avons besoin de structurer une plateforme de réflexion et d’échange sur les priorités stratégiques, les performances et les options de politiques de développement international. Des thinks tanks des deux pays, tels que le German Development Institute (DIE) et l’Iddri, pourraient contribuer à organiser et nourrir ces échanges, avec le soutien d’autres réseaux de think tanks comme le European Think Tank Group (ETTG), des personnalités du monde universitaire, d’institutions de coopération, de parlementaires et du monde associatif. Des réflexions et des débats pourraient sortir une série de propositions destinées à accroître l’efficacité et la soutenabilité des actions de coopération de l’Allemagne et de la France, et, partant, de l’Europe.

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