Le sommet du G7 (26-28 juin, Elmau), sous présidence allemande, a revêtu une importance majeure, au moment où la stabilité financière et économique mondiale est fortement mise à mal par les conséquences de la pandémie de Covid-19 et de la guerre russe en Ukraine. C’est d’autant plus important que le G20 est bloqué politiquement alors qu’il constituait une des enceintes clés pour avancer sur les sujets de la dette et des capacités de relance économique des pays les plus pauvres. Pris entre l’offensive russe et le positionnement de la Chine qui présente les émergents comme porte-parole du Sud en opposition aux pays occidentaux, le G7 doit aussi réussir à construire des partenariats avec les autres pays du Sud pour en faire de véritables alliés stratégiques. Dans ce contexte, deux questions se posent : le G7 étant, même si c’est faute de mieux, une enceinte clé pour la gouvernance mondiale, quelles sont sa légitimité et ses marges de manœuvre en cette période si particulière ? Et l’annonce du Partnership for Global Infrastructure and Investment faite dimanche 26 juin permet-elle de reconstruire la confiance avec les non-alignés, économiquement vulnérables ? Pour répondre à ces questions, ce billet de blog s’appuie sur les réflexions menées par l’Iddri avec les autres think tanks des pays du G7 et d’autres régions du monde réunis à Berlin lors du sommet du T7 fin mai 2022, et dont les recommandations ont été présentées au chancelier allemand Olaf Scholz.

La Chine a convoqué juste avant Elmau un sommet des BRICS1 où elle a invité plusieurs pays du Sud également invités au G7 : elle se plait ainsi à souligner une opposition entre les pays occidentaux et les émergents comme représentants du Sud, pourtant idéologiquement extrêmement divers et peu convergents. Par ailleurs, les pays africains, latino-américains et asiatiques, dont certains ne se sont pas alignés derrière la dénonciation de l’agression russe en Ukraine, démontrent dans les négociations comme le financement du climat ou de la biodiversité leurs fortes attentes concernant un partenariat avec l’Europe, mais aussi un grand manque de confiance en ce partenariat, et qu’ils ne sont pas prêts à devoir choisir un camp entre l’Occident et la Chine, derrière laquelle ils se rangent souvent pour demander davantage de financement de la part des pays du Nord. L’annonce d’un Partnership for Global Infrastructure and Investment du G7, avec des montants conséquents (600 milliards de dollars sur 5 ans, dont 200 milliards apportés par les États Unis, venant compléter l’initiative Global Gateway de l’Union européenne annoncée en février), est censée répondre à cette demande des pays du Sud. Mais est-ce suffisant ? Quel changement d’approche permettrait au G7 de gagner de véritables partenariats stratégiques avec les pays non alignés ?

En quel nom parle encore le G7 ?

Le G7 a perdu beaucoup de sa légitimité : que représente-t-il ? Sûrement plus les économies les plus puissantes de la planète, et par conséquent pas non plus l’enceinte permettant de négocier les grandes convergences macroéconomiques : c’est le G20 qui joue ce rôle. Lorsque la France en a exercé la présidence en 2019, elle a essayé de le positionner comme incubateur de nouvelles formes de coopération, pouvant ensuite se déployer plus largement au sein du G20, puis du système multilatéral. Les initiatives pour la sécurité alimentaire mondiale que le G7 met en avant (Global Food Security Alliance allemande, au sein de laquelle vient se loger l’initiative française FARM – Food and Agriculture Resilience Mission) en sont l’exemple le plus frappant.

C’est aussi dans cet esprit que le chancelier allemand Olaf Scholz cherche à positionner l’offre d’un « club climat » rassemblant les pays ambitieux en matière de prix du carbone, non pas comme un club restreint au G7, mais ouvert à large participation. Le sommet d’Elmau a ainsi cherché à montrer l’ouverture de ce club, pour qu’il soit moins exclusif que moteur d’une dynamique inclusive, reliée à la dynamique nouvelle relancée lors de la récente session de l’Organisation mondiale du commerce. 

Par ailleurs, le G7 pourrait être en risque de vouloir s’ériger en club des démocraties, comme si les démocraties de ces 7 pays étaient des parangons sans défaut en la matière, alors que leurs failles sont actuellement exposées très largement dans les médias mondiaux. Les pays du G7 doivent au contraire chercher à mobiliser autour d’eux un club de pays engagés pour la démocratie, sur tous les continents.

Le G7 attendu comme principal soutien financier, mais en manque de crédibilité

Ce qui caractérise fortement le G7, c’est qu’il est encore le club des principaux bailleurs de l’aide au développement, dont la place reste importante pour les pays les plus pauvres. Ce rôle lui-même est fortement contesté par les pays du Sud, notamment ceux à revenus intermédiaire inférieurs et aussi les moins avancés, tous fortement touchés par la succession de crises (conséquences de la pandémie et de la guerre en Ukraine), et dont l’écart entre leur capacité très faible à financer la relance et les montants mobilisés en domestique par les pays du G7 et la Chine est devenu abyssal (« the great financial divide », selon un récent rapport de l’ONU). C’est parmi ces pays qu’on trouve de nombreux « non alignés », qui ont refusé de soutenir la résolution des pays occidentaux contre l’invasion russe en Ukraine, et qui signalent ainsi la crise profonde de confiance envers l’Europe et les États Unis, qui se manifeste aussi dans l’expression de défiance envers les engagements non tenus de ces pays en matière de finance climat ; mais la crédibilité des pays du G7 concernant la crédibilité de leurs engagements était déjà fortement érodée. Ces pays signalent aussi leur inquiétude qu’entre les deux camps en train de se reformer, ils ne sortent toujours perdants si on les oblige à choisir, compte tenu de la structure fortement asymétrique du système économique mondial et de la tentation des grandes puissances économiques de recentrer leurs économies sur leur marché intérieur et de rapatrier chez elles les emplois et la création de valeur, au nom de la résilience, de la sécurité et de la souveraineté.

Au-delà des montants, un indispensable changement de méthode

Le G7 est donc devenu un acteur minoritaire, très affaibli dans la géopolitique et le système économique mondial. Cela doit nécessairement le pousser à l’humilité, surtout dans un moment où les conflits sur les valeurs pourraient pousser ce groupe à se déclarer plus avancé que les autres. Cela ne doit pas l’empêcher de chercher une forme de leadership par l’exemplarité, mais la ligne est ténue avant de devenir donneur de leçons. Cette perte de position dominante a en revanche ouvert de nouvelles possibilités de recherche de partenaires stratégiques potentiels au G7, comme l’a souligné Imme Scholz (présidente de la Fondation Heinrich Böll) lors du Sommet du T7, mais un changement de méthode doit être démontré pour que ces partenariats deviennent réalité.

Apprendre le leadership partagé avec d’autres, c’est notamment accepter de coconstruire l’agenda lui-même avec les alliés, plutôt que de les convoquer une fois l’agenda établi, ce qui pourrait être perçu comme un appel à des supplétifs. Malgré les efforts des présidences de l’Union européenne et de l’Union africaine pour rendre le plus symétrique possible l’ordre du jour et les priorités du Sommet UA-UE de février 2022, la perception que c’est l’Europe qui dicte l’agenda a la peau dure, en partie aussi parce que les deux parties sont de toutes façons inégalement pourvues en ressources pour se coordonner en interne.

Investir pour le développement durable au Sud : la clé de partenariats stratégiques avec les non-alignés

Pour incarner ce changement de méthode, il faut partir des priorités des pays du Sud. Plus que le climat et l’Accord de Paris, c’est l’Agenda 2030 dans son ensemble, et notamment sa composante de transformation économique structurelle (industrialisation, emplois, innovation), qui constitue la référence politique majeure pour les pays du Sud et notamment en Afrique. Il est donc essentiel que le G7 soutienne davantage la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD), et surtout qu’il se prépare stratégiquement au bilan à mi-parcours l’an prochain, qui pourrait être désastreux et n’être que le point culminant d’une séquence où il sera trop aisé de pointer les engagements non tenus en matière de mobilisation des flux financiers du Nord vers le Sud. Cette séquence sera ouverte dès la COP 27 sur le climat en Égypte en novembre. 

Ce qui reste à accomplir dans la seconde moitié de la période de l’Agenda 2030 constitue donc un défi immense, pour le G7, à la fois de mise en œuvre dans les politiques nationales et d’accélération de la transformation et de la mobilisation des ressources financières, alors même que la succession des crises nous entraîne dans la mauvaise direction. L’Agenda de l’Action d’Addis Abeba sur le financement du développement durable ne pourra pas être considéré comme sur la bonne voie.

La séquence à risque qui mène au bilan à mi-parcours en 2023 constitue l’opportunité rêvée pour démontrer la nouvelle approche du G7 pour contribuer à la gouvernance mondiale, et un leadership partagé.

Un nouveau récit encore à construire, et des preuves d’un changement de méthode à consolider

Les pays du G7 doivent donc construire un nouveau récit et de nouvelles preuves pour que la seconde moitié de la période des ODD soit différente, et bien meilleure ("a better second half of the SDG period"). Il faut pour cela montrer le changement de méthode : s’assurer de la capacité des pays du Sud à être autant acteurs de cette mise en œuvre que les pays du Nord (une question d’agency autant que d’ownership), ce qui doit se refléter notamment dans la capacité à définir les priorités.  C’est le cœur de l’approche d’alignement de l’intervention des bailleurs du G7 et des banques multilatérales sur l’Agenda 2030 : soit l’alignement avec les priorités et les trajectoires de transformation, spécifiques à chaque pays, vers l’atteinte de l’ensemble des ODD. Le changement de méthode, c’est aussi pouvoir être très clair sur les intérêts propres des pays du G7, dans l’établissement de ces partenariats avec les pays du Sud, et de clarifier la spécificité et la « valeur ajoutée » de l’offre des pays du G7 : plutôt que des conditionnalités, les exigences en termes de transparence, d’impact environnemental et social, de gouvernance, de respect de l’État de droit et d’espace politique pour la contre-expertise et la voix de la société civile sont des gages de stabilité du contexte politique, de prévisibilité et de viabilité des projets.

Dans sa présentation du Partnership for Global Infrastructure and Investment, le G7 d’Elmau a beaucoup insisté sur les enjeux de transparence, essentielle en ce qu’elle concerne notamment la redevabilité et la crédibilisation des financements promis par les pays du G7 ; la transparence constitue en outre l’une des meilleurs manières de qualifier la valeur ajoutée des financements venant du G7. Mais les pays du Sud seront sensibles au fait qu’il ne s’agisse pas d’une offre par opposition aux financements chinois, mais autant que possible en complémentarité, si ce n’est en coopération ; les opportunités avec les opérateurs chinois en pays tiers devront pour cela exister en volume suffisant. Pour l’instant, le communiqué du G7 surjoue l’opposition front à front avec l’offre chinoise des Nouvelles Routes de la Soie.

Les pays du G7 pourront ainsi mieux faire valoir les approches innovantes et les éléments de preuve des financements mis sur la table : ces montants sont conséquents, comme dans le cas du partenariat « transition énergétique juste » avec l’Afrique du Sud annoncé à la COP 26 de Glasgow et dont la mise en œuvre rapide, qui dépend notamment des institutions sud-africaines elles-mêmes, constitue cependant un des chantiers clés pour renforcer la crédibilité des promesses des pays du Nord ; mais c’est aussi l’approche qu’il faut mettre en avant, centrée sur la définition des objectifs par les acteurs politiques sud-africains en toute indépendance avant que les pays du G7 ne viennent apporter les compléments de solution financière. C’est aussi au prix de cette clarté sur le changement de méthode, en montrant des projets construits depuis les besoins définis par les pays eux-mêmes, que les promesses en matière de financement des infrastructures, telles celles faites par l’Union européenne avec l’initiative Global Gateway pour l’Afrique présentée au Sommet UA-UE de février dernier ou avec le Global Investment and Infrastructure Partnership, apparaîtront effectivement comme une réponse aux besoins immenses de financement pour la relance du développement au Sud. À défaut, ils risquent de n’apparaître que comme un ré-étiquetage de promesses déjà faites.

On pourra noter par ailleurs que la Chine est elle-même déjà passée d’un discours sur le financement des infrastructures avec les Nouvelles routes de la Soie à un discours sur les investissements productifs en Afrique et l’ouverture de canaux commerciaux privilégiés vers la Chine2 . Alors que l’Europe avait déjà un partenariat Afrique-Caraïbe-Pacifique (ACP) sur l’accès privilégié à son marché, il a fait l’objet de critiques fortes et sa nouvelle étape peine à se conclure. Quelle place les pays du G7 sont-ils prêts à faire aux pays économiquement vulnérables dans les reconfigurations des rapports de force économiques mondiaux ?

Expliciter le partage équitable des opportunités dans cette nouvelle étape de la mondialisation

Malgré les annonces d’Elmau, la crédibilité de l’Europe et des pays du G7 pour conclure de véritables partenariats stratégiques avec les pays du Sud est donc encore en jeu. Il serait essentiel que les pays du G7 affirment explicitement, en pleine période où les attaques contre les règles internationales sont brutales et où les puissances se replient sur leurs intérêts matériels, que c’est dans leur propre intérêt bien compris, en complément de motivations altruistes réelles, que les pays du G7 cherchent à combattre les inégalités mondiales et les asymétries structurelles dans le système économique mondial.

Partager avec les pays du Sud la création de valeur, la capacité d’innovation et les emplois dans les chaînes de valeur de l’économie décarbonée et résiliente de demain est non seulement un bon calcul économique pour toutes les parties, mais aussi un bon calcul stratégique pour les pays du Nord.