Aujourd'hui, la toute première loi européenne sur le climat est présentée comme la première pièce du Pacte vert (Green Deal) de la Commission européenne. Il s'agit d'une proposition d'une importance capitale, qui vise à graver dans le marbre un objectif européen de neutralité climatique et à renforcer les mécanismes de gouvernance en matière d'énergie et de climat au sein de l'UE. Quelles seraient les priorités pour renforcer la solidité de ces mécanismes ? Ce billet de blog détaille quelques-unes des propositions en la matière de COP21 RIPPLES, important projet de recherche européen coordonné par l'Iddri de 2017 à 2020.

L'importance des transformations sectorielles et de la coopération internationale

La loi climat avait été annoncée dans le cadre de la publication du Pacte vert européen en décembre 2019 comme le mécanisme permettant d'inscrire l'objectif de neutralité climatique de 2050 dans la législation et de garantir que toutes les politiques de l'UE et tous les secteurs contribuent à cet objectif1 . Pour l'atteindre, la Commission européenne (CE) doit analyser les changements concrets nécessaires ainsi que leurs implications socio-économiques, en s'attachant à surmonter les obstacles technologiques, financiers, politiques, culturels et de gouvernance. Le projet COP21 RIPPLES a été conçu pour contribuer à cette analyse grâce à une approche multidisciplinaire combinant des recherches à plusieurs niveaux, des États membres de l'UE, du niveau de l'UE elle-même, aux principaux émetteurs et à l'échelle mondiale.

Les recherches du projet COP21 RIPPLES montrent qu'il existe des lacunes et des possibilités de combler le manque d'ambition actuel dans le cadre de différentes dimensions – économique et sociale, gouvernance – qui ont tendance à être négligées lorsqu'on cherche à réduire les émissions. Si l'on considère les contributions déterminées au niveau national (CDN, NDC en anglais) actuelles, en tant que principal instrument de planification pour combler le fossé d'ambition au niveau international conformément à l'Accord de Paris sur le climat, elles se concentrent généralement sur les émissions de l'ensemble de l'économie, avec peu ou pas de détails sur les transformations sectorielles ou sur le potentiel de la coopération internationale permettant de renforcer l'ambition nationale. Seules des approches globales qui abordent ces deux aspects, en tenant compte de leurs interrelations, sont susceptibles de maintenir l'objectif de 1,5°C à portée de main. Plutôt que de sur-compliquer les choses, des plans nationaux plus substantiels, ancrés dans les réalités des différentes géographies et pour chacun des secteurs, et tirant le meilleur parti du potentiel de coopération internationale, faciliteront la conception de nouvelles voies pour rendre possible une transition plus rapide et plus efficace d'un point de vue environnemental.

Le « cadre de cohérence » et ses implications en termes de gouvernance du climat

L'un des récents briefs de COP21 RIPPLES suggère spécifiquement aux pays d'adopter un « cadre de cohérence » pour suivre les progrès de leur CDN actuelle, identifier les obstacles économiques, sociaux et de gouvernance à la mise en œuvre et trouver des moyens de renforcer l'ambition, notamment en identifiant les possibilités de coopération internationale. Les évaluations de cohérence devraient jouer un rôle important à deux niveaux : premièrement, avec des approches sectorielles, qui sont plus susceptibles de donner des résultats ambitieux et peuvent permettre une transformation sur le terrain ; deuxièmement, avec des approches à plusieurs niveaux qui sont nécessaires pour coordonner les différents niveaux de gouvernance et d'action.

Au niveau européen, l'application de ce cadre implique d'apporter quelques changements prioritaires au cadre de gouvernance :

Premièrement, à l'interface des États membres et de l'UE, il s'agit de s'assurer que les outils existants du Règlement sur la gouvernance (les plans nationaux intégrés énergie-climat (PNEC) à 2030 et les stratégies nationales à long terme (SNLT) à 2050) produisent le niveau de détail nécessaire pour révéler comment ils entendent remplir leur part de l'effort d'atténuation du changement climatique de l'UE. Tant les PNEC que les SNLT devraient donner suffisamment de détails sur les transformations sectorielles, intégrer les réalités socio-économiques et identifier les domaines de coopération à la fois avec les pays voisins, au sein de l'UE et au niveau international. Cela est important car, à ce jour, une grande partie de la décarbonation a été réalisée par des instruments politiques qui fonctionnent de manière largement invisible. Toutefois, lorsque leurs effets (par exemple, l'augmentation des prix à la consommation) deviennent apparents, ils peuvent perdre leur légitimité. Pour réduire ce risque, les décideurs politiques qui cherchent à augmenter le rythme de la décarbonation doivent le faire de manière plus explicite. Il faut pour cela adopter une approche axée sur les pays, qui permette de saisir les spécificités des différentes situations nationales et de recomposer une perspective européenne composite. Ainsi, les politiques nationales et européennes peuvent être élaborées de manière à impliquer plus efficacement les communautés concernées et à produire des transformations économiques et sociétales dont les avantages sont clairement identifiables. L'adoption de cette approche peut nécessiter le renforcement des capacités au niveau des États membres et l'extension des activités d'engagement avec toutes les parties de la société. À cette fin, COP21 RIPPLES propose d'inviter tous les États membres à envisager la création d'organes consultatifs indépendants (comme le Haut Conseil pour le climat) et à veiller à ce que les institutions européennes existantes soutiennent leur collaboration au niveau de l'UE. En contrepartie d'une capacité accrue, les États membres seront en mesure de fournir des informations sur les investissements, les stratégies de coopération et les mécanismes de solidarité cohérents au niveau de l'UE en vue d'atteindre l'objectif de neutralité. La capacité de l'UE à évaluer les mesures nationales devra également être renforcée. Une partie de ces points semble être traitée par la Commission, car la loi climat publiée aujourd’hui révèle que la Commission prévoit « d'évaluer régulièrement les mesures nationales pertinentes et d'émettre des recommandations » lorsque les mesures nationales d'un État membre peuvent être incohérentes, et charge les États membres de convoquer un « dialogue à plusieurs niveaux sur le climat et l'énergie » impliquant les autorités locales, les entreprises, les investisseurs, etc. Bien que les organes consultatifs nationaux ne soient pas spécifiquement mentionnés, la Commission prévoit de consulter des « experts désignés par les États-membres » au moment de décider des révisions quinquennales de sa trajectoire vers la neutralité climatique.

Deuxièmement, COP21 RIPPLES fournit également des recommandations liées à la gouvernance concernant la manière dont le régime climatique international pourrait être renforcé et la manière dont l'UE pourrait y contribuer par le biais de sa stratégie de politique climatique nationale et internationale. L'UE doit ainsi prendre l'initiative : en encadrant les NDC de manière à inviter les autres à révéler ces dimensions sectorielles, leur cadrage multidimensionnel et les hypothèses politiques afférentes (au-delà du niveau national) ; et en promouvant le développement de SNLT qui permettent une réflexion et une exploration politique nationales dans le cadre de la vision globale de la neutralité de Paris à long terme. Le Bilan mondial de l'Accord de Paris est une occasion critique d'évaluer la cohérence, et donc d'établir un débat politique au-delà des émissions, y compris les évaluations sectorielles. Les approches sectorielles sont une condition préalable au renforcement de la gouvernance internationale car elles facilitent la compréhension des moteurs de transformation et l'évaluation des options politiques et ouvrent la porte à des discussions structurées en termes de progrès économique et social. Dans cette optique, le projet estime qu'un club transnational de la décarbonation du secteur de l'acier peut faire progresser la décarbonation nationale et mondiale de ce secteur et pourrait même constituer un banc d'essai idéal pour piloter l'introduction d'ajustements carbone aux frontières, comme le prévoit le Pacte vert européen. Il pourrait également instaurer un environnement politique favorable qui permette d'éliminer totalement la production d'acier primaire conventionnel émettant du CO2 d'ici 2050 en Europe, et peu après dans les pays émergents.
Enfin, COP21 RIPPLES estime que la gouvernance internationale a le potentiel d'influencer positivement les processus nationaux de politique climatique. La fonction d'orientation et de signal du régime international a eu une influence significative sur la création d'une dynamique pour lancer les processus politiques et la mise en œuvre en dépit des contraintes de la concurrence de l'économie politique nationale. Ce pouvoir des normes internationales ne doit pas être sous-estimé et peut potentiellement faire une grande différence dans les économies à forte intensité d'émissions, notamment en Inde et en Chine. Cela confirme l'importance de l'échéance de la COP 26 et la responsabilité qui incombe à l'UE si elle veut renforcer cette fonction de signal. Le récent appel de Macron-Conte à publier l'analyse d'impact d'ici juin et à annoncer la nouvelle CDN européenne lors de la pré-COP à Milan est un pas positif dans cette direction.

  • 1European Commission (2019). Communication from the Commission to the European Parliament, the European Council, the Council, the European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions